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ici que Nitard, un des plus judicieux historiens que nous ayons, Nitard, petit-fils de Charlemagne, qui étoit attaché au parti de Louis-leDébonnaire, et qui écrivoit l'histoire par ordre de Charles-le-Chauve, doit être écouté.

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Il dit : « qu'un certain Adelhard avoit eu pen« dant un temps un tel empire sur l'esprit de l'empereur, que ce prince suivoit sa volonté en <<< toutes choses; qu'à l'instigation de ce favori, il << avoit donné les biens fiscaux à tous ceux qui << en avoient voulu, et par là avoit anéanti la

république'. » Ainsi il fit dans tout l'empire ce que j'ai dit ' qu'il avoit fait en Aquitaine; chose que Charlemagne répara, et que personne ne répara plus.

L'état fut mis dans cet épuisement où CharlesMartel le trouva lorsqu'il parvint à la mairie; et l'on étoit dans ces circonstances, qu'il n'étoit plus question d'un coup d'autorité pour le rétablir.

Le fisc se trouva si pauvre, que, sous Charlesle-Chauve, on ne maintenoit personne dans les honneurs, on n'accordoit la sûreté à personne, que pour de l'argent : quand on pouvoit détruire

1 Hinc libertates, hinc publica in propriis usibus distribuere suasit. Nitard, liv. Iv, à la fin.

2 Rempublicam penitus annullavit. ibid.

3 Voyez le liv. xxx, chap. xIII.

▲ Hincmar, lettre 1 à Louis-le-Bègue.

I

les Normands', on les laissoit échapper pour de l'argent : et le premier conseil que Hincmar donne à Louis-le-Bègue, c'est de demander dans une assemblée de quoi soutenir les dépenses de sa

maison.

CHAPITRE XXIII.

Continuation du même sujet.

Le clergé eut sujet de se repentir de la protection qu'il avoit accordée aux enfants de Louis-le-Débonnaire. Ce prince, comme j'ai dit, n'avoit jamais donné de préceptions des biens de l'église aux laïques : mais bientôt Lothaire en Italie, et Pepin en Aquitaine, quittèrent le plan de Charlemagne, et reprirent celui de Charles-Martel. Les ecclésiastiques eurent recours à l'empereur contre ses enfants mais ils avoient affoibli eux-mêmes l'autorité qu'ils réclamoient. En Aquitaine on eut quelque condescendance; en Italie on n'obéit pas.

:

Les guerres civiles qui avoient troublé la vie de Louis-le-Débonnaire furent le germe de celles

1

1 Voyez le fragment de la chronique du monastère de Saint-Serge d'Angers, dans Duchesne, t. 11, p. 401.

2 Voyez ce que disent les évêques dans le synode de l'an 845, apud Teudonis villam, art. 4.

qui suivirent sa mort. Les trois frères, Lothaire, Louis et Charles, cherchèrent chacun de leur côté à attirer les grands dans leur parti et à se faire des créatures. Ils donnèrent à ceux qui voulurent les suivre des préceptions des biens de l'église; et pour gagner la noblesse ils lui livrèrent le clergé.

On voit dans les capitulaires' que ces princes furent obligés de céder à l'importunité des demandes, et qu'on leur arracha souvent ce qu'ils n'auroient pas voulu donner: on y voit que le clergé se.croyoit plus opprimé par la noblesse que par les rois. Il paroît encore que Charles-le-Chauve fut celui qui attaqua le plus le patrimoine du clergé, soit qu'il fût le plus irrité contre lui parce qu'il avoit dégradé son père à son occasion, soit qu'il fût le plus timide. Quoi qu'il en soit, on voit

'

1 Voyez le synode de l'an 845, apud Teudonis villam, art. 3 et 4, qui décrit très-bien l'état des choses; aussi bien que celui de la même année, tenu au palais de Vernes, art. 12; et le synode de Beauvais, encore de la même année, art. 3, 4, et 6; et le capitulaire in villa Sparnaco, de l'an 846, art. 20; et la lettre que les évêques assemblés à Reims écrivirent l'an 858 à Louis-le-Germanique, art. 8.

2 Voyez le capitulaire in villa Sparnaco, de l'an 846. La noblesse avoit irrité le roi contre les évêques; de sorte qu'il les chassa de l'assemblée : on choisit quelques canons des synodes, et on leur déclara que ce seroient les seuls qu'on observeroit; on ne leur accorda que ce qu'il étoit impossible de leur refuser. Voyez les art. 20, 21 et 22. Voyez aussi la lettre que les évêques assemblés écrivirent, l'an 858, à Louis-le-Germanique, art. 8; et l'éd. de Pistes, de 864, art. 5.

DE L'ESPRIT DES LOIS. T. III.

12

dans les capitulaires des querelles continuelles entre le clergé, qui demandoit ses biens, et la noblesse qui refusoit, qui éludoit, ou qui différoit de les rendre; et les rois entre deux.

C'est un spectacle digne de pitié de voir l'état des choses en ces temps-là. Pendant que Louis-leDébonnaire faisoit aux églises des dons immenses de ses domaines, ses enfants distribuoient les biens du clergé aux laïques.Souvent la même main qui fondoit des abbayes nouvelles dépouilloit les anciennes. Le clergé n'avoit point un état fixe. On lui ôtoit; il regagnoit; mais la couronne perdoit toujours.

Vers la fin du règne de Charles-le-Chauve et depuis ce règne, il ne fut plus guère question des démêlés du clergé et des laïques sur la restitution des biens de l'église. Les évêques jetèrent bien encore quelques soupirs dans les remontrances à Charles-le-Chauve, que l'on trouve dans le capitulaire de l'an 856, et dans la lettre qu'ils écri

Voyez le même capitulaire de l'an 846, in villa Sparaco. Voy. aussi le capitulaire de l'assemblée tenue apud Marsnam, de l'an 847, art. 4, dans laquelle le clergé se retrancha à demander qu'on le remît en possession de tout ce dont il avoit joui sous le règne de Louis-le-Débonnaire. Voyez aussi le capitulaire de l'an 851, apud Marsnam, art. 6 et 7, qui maintient la noblesse et le clergé dans leurs possessions; et celui apud Bonoilum, de l'an 856, qui est une remontrance des évêques au roi sur ce que les maux, après tant de lois faites, n'avoient pas été réparés; et enfin la lettre que les évêques assemblés à Reims écrivirent, l'an 858, à Louis-le-Germanique, article 8.

2 Voyez la note précédente.

virent à Louis-le-Germanique l'an 858: mais ils proposoient des choses et ils réclamoient des promesses tant de fois éludées, que l'on voit qu'ils n'avoient aucune espérance de les obtenir.

Il ne fut plus question' que de réparer en général les torts faits dans l'église et dans l'état. Les rois s'engageoient de ne point ôter aux leudes leurs hommes libres, et de ne plus donner les biens ecclésiastiques par des préceptions'; de sorte que le clergé et la noblesse parurent s'unir d'intérêts. Les étranges ravages des Normands, comme j'ai dit, contribuèrent beaucoup à mettre fin à ces querelles.

Les rois, tous les jours moins accrédités, et par les causes que j'ai dites et par celles que je dirai, crurent n'avoir d'autre parti à prendre que de se mettre entre les mains des ecclésiastiques. Mais le clergé avoit affoibli les rois, et les rois avoient affoibli le clergé.

En vain Charles-le-Chauve et ses successeurs appelèrent-ils le clergé pour soutenir l'état et

1 Voyez le capit. de l'an 851, art. 6 et 7.

2 Charles-le-Chauve, dans le synode de Soissons, dit qu'il avoit promis aux évêques de ne plus donner de préceptions des biens de l'église. Capitulaire de l'an 853, art. 11, édit. de Baluze, tome 11, page 56.

"Voyez dans Nitard, liv. rv, comment, après la fuite de Lothaire, les rois Louis et Charles consultèrent les évêques pour savoir s'ils pourroient prendre et partager le royaume qu'il avoit abandonné. En effet, comme les évêques formoient entre eux un corps plus

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