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CHAPITRE XVI.

Confusion de la royauté et de la mairie. Seconde race.

L'ordre des matières a fait que j'ai troublé l'ordre des temps; de sorte que j'ai parlé de Charlemagne avant d'avoir parlé de cette époque fameuse de la translation de la couronne aux Carlovingiens, faite sous le roi Pepin; chose qui, à la différence des événements ordinaires, est peutêtre plus remarquée aujourd'hui qu'elle ne le fut dans le temps même qu'elle arriva.

Les rois n'avoient point d'autorité, mais ils avoient un nom; le titre de roi étoit héréditaire, et celui de maire étoit électif. Quoique les maires, dans les derniers temps, eussent mis sur le trône · celui des Mérovingiens qu'ils vouloient, ils n'avoient point pris de roi dans une autre famille; et l'ancienne loi qui donnoit la couronne à une certaine famille n'étoit point effacée du cœur des Francs. La personne du roi étoit presque inconnue dans la monarchie; mais la royauté ne l'étoit pas. Pepin, fils de Charles-Martel, crut qu'il étoit à propos de confondre ces deux titres; confusion qui laisseroit toujours de l'incertitude si la royauté nouvelle étoit héréditaire ou non ; et cela suffi

soit à celui qui joignoit à la royauté une grande puissance. Pour lors l'autorité du maire fut jointe à l'autorité royale. Dans le mélange de ces deux autorités, il se fit une espèce de conciliation. Le maire avoit été électif, et le roi héréditaire : la couronne, au commencement de la seconde race, fut élective, parceque le peuple choisit; elle fut héréditaire, parcequ'il choisit toujours dans la même famille '.

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Le père Le Cointe, malgré la foi de tous les monuments', nie ' que le pape ait autorisé ce grand changement une de ses raisons est qu'il auroit fait une injustice. Et il est admirable de voir un historien juger de ce que les hommes ont fait par ce qu'ils auroient dù faire. Avec cette manière de raisonner, il n'y auroit plus d'histoire.

Quoi qu'il en soit, il est certain que, dès le moment de la victoire du duc Pepin, sa famille fut régnante, et que celle des Mérovingiens ne le fut plus. Quand son petit-fils Pepin fut couronné

1 Voyez le testament de Charlemagne, et le partage que Louisle-Débonnaire fit à ses enfants dans l'assemblée des états tenue à Quierzy, rapportée par Goldast : Quem populus eligere velit, ut patri suo succedat in regni hæreditate.

2 L'anonyme, sur l'an 752; et chron. Centul. sur l'an 754.

3 Fabella quæ post Pippini mortem excogitata est, æquitati ac sanctitati Zachariæ papæ plurimum adversatur... Annales ecclésiastiques des François, t. 11, p. 319.

DE L'ESPRIT DES LOIS. T. III.

II

roi, ce ne fut qu'une cérémonie de plus et un fantôme de moins : il n'acquit rien par là, que les ornements royaux; il n'y eut rien de changé dans la nation.

J'ai dit ceci pour fixer le moment de la révolution, afin qu'on ne se trompe pas en regardant comme une révolution ce qui n'étoit qu'une conséquence de la révolution.

Quand Hugues Capet fut couronné roi au commencement de la troisième race, il y eut un plus grand changement, parceque l'état passa de l'anarchie à un gouvernement quelconque : mais, quand Pepin prit la couronne, on passa d'un gouvernement au même gouvernement.

Quand Pepin fut couronné roi, il ne fit que changer de nom; mais quand Hugues Capet fut couronné roi, la chose changea, parcequ'un grand fief uni à la couronne fit cesser l'anarchie.

Quand Pepin fut couronné roi, le titre de roi fut uni au plus grand office; quand Hugues Capet fut couronné, le titre de roi fut uni au plus grand fief.

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CHAPITRE XVII.

Chose particulière dans l'élection des rois de la seconde race,

On voit dans la formule de la consécration de Pepin', que Charles et Carloman furent aussi oints et bénis, et que les seigneurs françois s'obligèrent, sous peine d'interdiction et d'excommunication, de n'élire jamais personne d'une

autre race'.

Il paroît, par les testaments de Charlemagne et de Louis-le-Débonnaire, que les Francs choisissoient entre les enfants des rois; ce qui se rapporte très-bien à la clause ci-dessus. Et, lorsque l'empire passa dans une autre maison que celle de Charlemagne, la faculté d'élire, qui étoit restreinte et conditionnelle, devint pure et simple, et on s'éloigna de l'ancienne constitution.

Pepin, se sentant près de sa fin, convoqua les seigneurs ecclésiastiques et laïques à Saint-Denis', et partagea son royaume à ses deux fils, Charles et Carloman. Nous n'avons point les actes de

1 Tome v des Historiens de France, par les PP. bénédictins, page 9.

2 Ut nunquam de alterius lumbis regem in ævo præsumant eligere, sed ex ipsorum. Ibid. p. 10.

L'an 768.

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cette assemblée mais on trouve ce qui s'y passa dans l'auteur de l'ancienne collection historique mise au jour par Canisius', et celui des annales de Metz, comme l'a remarqué M. Baluze. Et j'y vois deux choses en quelque façon contraires, qu'il fit le partage du consentement des grands, ét ensuite qu'il le fit par un droit paternel. Cela prouve ce que j'ai dit, que le droit du peuple, dans cette race, étoit d'élire dans la famille : c'étoit, à proprement parler, plutôt un droit d'exclure qu'un droit d'élire.

firmée

Čette espèce de droit d'élection se trouve conpar les monuments de la seconde race. Tel est ce capitulaire de la division de l'empire que Charlemagne fait entre ses trois enfants, où, après avoir formé leur partage, il dit ' que, « si un des << trois frères a un fils tel que le peuple veuille « l'élire pour qu'il succède au royaume de son «<<< père, ses oncles y consentiront. >>

Cette même disposition se trouve dans le partage que Louis-le-Débonnaire fit entre ses trois enfants Pepin, Louis et Charles, l'an 837, dans l'assemblée d'Aix-la-Chapelle, et encore dans un

1 T. 11, Lectionis antiquæ,

2 Édit. des capit. t. I, p. 188.

3 Dans le capitulaire 1 de l'an 806, édition de Baluze, page 439, article 5.

• Dans Goldast, Constitutions impériales, t. 11, p. 19.

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