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Mais le bas peuple n'est guère capable d'abandonner ses intérêts par des exemples. Le synode de Francfort lui présenta un motif plus pressant pour payer les dîmes. On y fit un capitulaire dans lequel il est dit que, dans la dernière famine, on avoit trouvé les épis de blé vides', qu'ils avoient été dévorés par les démons, et qu'on avoit entendu leurs voix qui reprochoient de n'avoir pas payé la dime; et en conséquence il fut ordonné à tous ceux qui tenoient les biens ecclésiastiques de payer la dîme; et, en conséquence encore, on l'ordonna à tous.

Le projet de Charlemagne ne réussit pas d'abord; cette charge parut accablante'. Le paiement des dimes chez les Juifs étoit entré dans le plan de la fondation de leur république, mais ici le paiement des dimes étoit une charge indépendante de celles de l'établissement de la monarchie. On peut voir, dans les dispositions ajoutées à la loi des Lombards, la difficulté qu'il y eut à

1 Tenu sous Charlemagne, l'an 794.

2 Experimento enim didicimus in anno quo illa valida fames irrepsit, ebullire vacuas annonas a dæmonibus devoratas, et voces exprobationis auditas, etc. Édition de Baluze, p. 267, art. 23.

3 Voyez entre autres le capitulaire de Louis-le-Débonnaire, de l'an 829, édit. de Baluze, page 663, contre ceux qui, dans la vue de ne pas payer la dîme, ne cultivoient point leurs terres; et art. 5. Nonis quidem et decimis, unde et genitor noster et nos frequenter in diversis placitis admonitionem fecimus.

faire recevoir les dîmes par les lois civiles '; on peut juger par les différents canons des conciles, de celle qu'il y eut à les faire recevoir par les lois ecclésiastiques.

Le peuple consentit enfin à payer les dîmes, à condition qu'il pourroit les racheter. La constitution de Louis-le-Débonnaire', et celle de l'empereur Lothaire ', son fils, ne le permirent pas.

Les lois de Charlemagne, sur l'établissement des dîmes, étoient l'ouvrage de la nécessité; la religion seule y eut part, et la superstition n'en

eut aucune.

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La fameuse division qu'il fit des dîmes en quatre parties, pour la fabrique des églises, pour les pauvres, pour l'évêque, pour les clercs, prouve bien qu'il vouloit donner à l'église cet état fixe et permanent qu'elle avoit perdu.

Son testament' fait voir qu'il voulut achever de réparer les maux que Charles-Martel, son aïeul, avoit faits. Il fit trois parties égales de ses biens mobiliers: il voulut que deux de ces parties fussent divisées en vingt-une, pour les vingt-une

Entre autres celle de Lothaire, liv. 111, tit. 11, ch. vi.

De l'an 829, art. 7, dans Baluze, t. 1, p. 663.

Loi des Lombards, liv. III, tit, III, §. 8.

Ibid. § 4.

C'est une espèce de codicille rapporté par Eginhard, et qui est différent du testament même qu'on trouve dans Goldast et Baluze.

métropoles de son empire; chaque partie devoit être subdivisée entre la métropole et les évêchés qui en dépendoient. Il partagea le tiers qui restoit en quatre parties; il en donna une à ses enfants et ses petits-enfants; une autre fut ajoutée aux deux tiers déjà donnés; les deux autres furent employées en œuvres pies. Il sembloit qu'il regardât le don immense qu'il venoit de faire aux églises, moins comme une action religieuse que comme une dispensation politique.

CHAPITRE XIII..

Des élections aux évêchés et abbayes.

Les églises étant devenues pauvres, les rois abandonnèrent les élections aux évêchés et autres bénéfices ecclésiastiques'. Les princes s'embarrassèrent moins d'en nommer les ministres, et les compétiteurs réclamèrent moins leur autorité. Ainsi l'église recevoit une espèce de compensapour les biens qu'on lui avoit òtés.

tion

Et si Louis-le-Débonnaire laissa au peuple

1 Voyez le capitulaire de Charlemagne, de l'an 803, art. 2, édit. de Baluze, p. 379; et l'éd. de Louis-le-Debonnaire, de l'an 834, dans Goldast, constitution impériale, t. 1.

2 Cela est dit dans le fameux canon ego Ludovicus, qui est visiblement supposé. Il est dans l'édition de Baluze, page 591, sur l'an 817.

romain le droit d'élire les papes, ce fut un effet de l'esprit général de son temps. On se gouverna à l'égard du siège de Rome comme on faisoit à l'égard des autres.

CHAPITRE XIV.

Des fiefs de Charles-Martel.

Je ne dirai point si Charles-Martel donnant les biens de l'église en fief, il les donna à vie ou à perpétuité. Tout ce que je sais, c'est que, du temps de Charlemagne ' et de Lothaire I, il y avoit de ces sortes de biens qui passoient aux héritiers et se partageoient entre eux.

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Je trouve de plus qu'une partie 'fut donnée en aleu, et l'autre partie en fief.

J'ai dit que les propriétaires des aleux étoient

1 Comme il paroît par son capitulaire de l'an 801, art. 17; dans Baluze, t. 1, p. 360.

2 Voyez sa constitution insérée dans le code des Lombards, liv. 111, tit. 1, § 44.

3 Voyez la constitution ci-dessus, et le capitulaire de Charles-leChauve, de l'an 846, chap. xx, in villa Sparnaco, édit. de Baluze, t. 11, p. 31; et celui de l'an 853, ch. III et v, dans le synode de Soissons, édit. de Baluze, t. 11, p. 54, et celui de l'an 854, apud Attiniacum, ch. x, édit. de Baluze, t. 11, p. 70. Voyez aussi le capitulaire premier de Charlemagne, incerti anni, art. 49 et 56, édit. de Baluze, tome 1, p. 519.

soumis au service comme les possesseurs des fiefs. Cela fut sans doute en partie cause que CharlesMartel donna en aleu aussi bien qu'en fief.

CHAPITRE XV.

Continuation du même sujet.

Il faut remarquer que les fiefs ayant été changés en biens d'église, et les biens d'église ayant été changés en fiefs, les fiefs et les biens d'église prirent réciproquement quelque chose de la nature de l'un et de l'autre. Ainsi les biens d'église eurent les priviléges des fiefs, et les fiefs eurent les priviléges des biens d'église tels furent les droits honorifiques dans les églises qu'on vit naître dans ces temps-là. Et comme ces droits ont toujours été attachés à la haute justice préférablement à ce que nous appelons aujourd'hui le fief, il suit que les justices patrimoniales étoient établies dans le temps même de ces droits.

1 Voyez les capitulaires, liv. v, art. 44; et l'édit de Pistes, de l'an 866, art. 8 et 9, où l'on voit les droits honorifiques des seigneurs établis tels qu'ils sont aujourd'hui.

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