Page images
PDF
EPUB

Théodoric et son maire 'acheva de dégrader les rois'; celle que remporta' Charles-Martel sur Chilpéric et son maire Rainfroy confirma cette dégradation. L'Austrasie triompha deux fois de la Neustrie et de la Bourgogne; et la mairie d'Austrasie étant comme attachée à la famille des Pepins, cette mairie s'éleva sur toutes les autres mairies, et cette maison sur toutes les autres. maisons. Les vainqueurs craignirent que quelque homme accrédité ne se saisît de la personne des rois pour exciter des troubles. Ils les tinrent dans une maison royale comme dans une espèce de prison. Une fois chaque année ils étoient montrés au peuple. Là ils faisoient des ordonnances, mais c'étoient celles du maire'; ils répondoient aux ambassadeurs, mais c'étoient les réponses du maire. C'est dans ce temps que les historiens nous parlent du gouvernement des maires sur les rois qui leur étoient assujettis.

1 Voyez les Annales de Metz, sur l'an 687 et 688.

2 Illis quidem nomina regum imponens, ipse totius regni habens privilegium, etc. Ibid. sur l'an 695.

3 Ibid. sur l'an 719.

4 Sedemque illi regalem sub sua ditione concessit. Ibid. sur l'an 719.

• Ex chronico Centulensi, lib. 11. Ut responsa quæ erat edoctus, vel potius jussus, ex sua velut potestate redderet.

6 Annales de Metz, sur l'an 691. Anno principatus Pippini super Theodoricum... Annales de Fulde ou de Laurishan. Pippinus, dux Francorum, obtinuit regnum Francorum per annos 27 cum regibus sibi subjectis.

Le délire de la nation pour la famille de Pepin alla si loin qu'elle élut pour maire un de ses petits-fils qui étoit encore dans l'enfance '; elle l'établit sur un certain Dagobert, et mit un fantôme sur un fantôme.

CHAPITRE VII.

Des grands offices et des fiefs sous les maires du palais.

Les maires du palais n'eurent garde de rétablir l'amovibilité des charges et des offices; ils ne régnoient que par la protection qu'ils accordoient à cet égard à la noblesse : ainsi les grands offices continuèrent à être donnés pour la vie, et cet usage se confirma de plus en plus.

Mais j'ai des réflexions particulières à faire sur les fiefs. Je ne puis douter que dès ce temps-là la plupart n'eussent été rendus héréditaires.

Dans le traité d'Andely', Gontran et son neveu Childebert s'obligent de maintenir les libéralités faites aux leudes et aux églises par les rois leurs

1 Posthac Theudoaldus, filius ejus (Grimoaldi) parvulus, in loco ipsius, cum prædicto rege Dagoberto, major domus palatii effectus est. Le continuateur anonyme de Frédégaire, sur l'an 714,

ch. civ.

1 Rapporté par Grégoire de Tours, liv. Ix. Voyez aussi l'édit de Clotaire II, de l'an 615, art. 16.

prédécesseurs; et il est permis aux reines, aux filles, aux veuves des rois, de disposer par testament et pour toujours des choses qu'elles tiennent du fisc '.

Marculfe écrivoit ses formules du temps des maires'. On en voit plusieurs où les rois donnent et à la personne et aux héritiers : et comme les formules sont images des actions ordinaires de la vie, elles prouvent que, sur la fin de la première race, une partie des fiefs passoit déjà aux héritiers. Il s'en falloit bien que l'on eût dans ces temps-là l'idée d'un domaine inaliénable; c'est une chose très-moderne et qu'on ne connoissoit alors ni dans la théorie ni dans la pratique.

On verra bientôt sur cela des preuves de fait : et, si je montre un temps où il ne se trouva plus de bénéfice pour l'armée ni aucun fonds pour son entretien, il faudra bien convenir que les anciens bénéfices avoient été aliénés. Ce temps est celui de Charles-Martel, qui fonda de nouveaux fiefs, qu'il faut bien distinguer des premiers.

Ut si quid de agris fiscalibus vel speciebus atque præsidio, pro arbitrii sui voluntate facere, aut cuiquam conferre voluerint, fixa stabilitate perpetuo conservetur.

2 Voyez la 24 et la 34 du liv. 1.

3 Voyez la formule 14 du liv. 1, qui s'applique également à des biens fiscaux donnés directement pour toujours, ou donnés d'abord en bénéfice, et ensuite pour toujours : Sicut ab illo aut a fisco nostro, fuit possessa. Voyez aussi la formule 17, ibid.

Lorsque les rois commencèrent à donner pour toujours, soit par la corruption qui se glissa dans le gouvernement, soit par la constitution même qui faisoit que les rois étoient obligés de récompenser sans cesse, il étoit naturel qu'ils commençassent plutôt à donner à perpétuité les fiefs que les comtés. Se priver de quelques terres étoit peu de chose; renoncer aux grands offices, c'étoit perdre la puissance même.

CHAPITRE VIII.

Comment les aleux furent changés en fiefs.

La manière de changer un aleu en fief se trouve dans une formule de Marculfe'. On donnoit sa terre au roi; il la rendoit au donateur en usufruit ou bénéfice, et celui-ci désignoit au roi sês héritiers.

Pour découvrir les raisons que l'on eut de dénaturer ainsi son aleu, il faut que je cherche, comme dans des abîmes, les anciennes prérogatives de cette noblesse qui, depuis onze siècles, est couverte de poussière, de sang et de sueur. Ceux qui tenoient des fiefs avoient de très

4 Liv. 1, formule 13.

grands avantages. La composition pour les torts qu'on leur faisoit étoit plus forte que celle des hommes libres. Il paroît, par les formules de Marculfe, que c'étoit un privilége du vassal du roi que celui qui le tueroit paieroit six cents sous de composition. Ce privilége étoit établi par la loi salique' et par celle des Ripuaires'; et pendant que ces deux lois ordonnoient six cents sous pour la mort du vassal du roi, elles n'en donnoient que deux cents pour la mort d'un ingénu, Franc, barbare, ou homme vivant sous loi salique '; et que cent pour celle d'un Romain.

Ce n'étoit pas le seul privilége qu'eussent les vassaux du roi. Il faut savoir que quand un homme étoit cité en jugement, et qu'il ne se présentoit point ou n'obéissoit ou n'obéissoit pas aux ordonnances des juges, il étoit appelé devant le roi; et, s'il persistoit dans sa contumace, il étoit mis hors de la protection du roi, et personne ne pouvoit le recevoir chez soi, ni même lui donner du pain3: or, s'il étoit d'une condition ordinaire, ses biens étoient confisqués ; mais s'il étoit vassal du roi,

1 Tit. XLIV. Voyez aussi les titres LXVI, § 3 et 4; et le tit. LXXIV. 2 Tit. XI.

3 Voyez la loi des Ripuaires, tit. vII; et la loi salique, tit. XLIV, art. I et 4.

4 La loi salique, tit. LIX et LXXVI.

5 Extra sermonem regis. Loi salique, tit. LIX et LXXVI.

6 Ibid. tit. LIX, S 1.

« PreviousContinue »