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dans de plus grands détails sur ce qui regarde les maires de Bourgogne dans les temps de la révolution dont nous parlons, que sur les maires d'Austrasie et de Neustrie : mais les conventions qui furent faites en Bourgogne furent, par les mêmes raisons, faites en Neustrie et en Austrasie.

La nation crut qu'il étoit plus sûr de mettre la puissance entre les mains d'un maire qu'elle élisoit, et à qui elle pouvoit imposer des conditions, qu'entre cellés d'un roi dont le pouvoir étoit héréditaire.

CHAPITRE IV.

Quel étoit à l'égard des maires le génie de la nation.

Un gouvernement dans lequel une nation qui avoit un roi élisoit celui qui devoit exercer la puissance royale, paroît bien extraordinaire : mais indépendamment des circonstances où l'on se trouvoit, je crois que les Francs tiroient à cet égard leurs idées de bien loin.

Ils étoient descendus des Germains, dont Tacite dit que, dans le choix de leur roi, ils se déterminoient par sa noblesse ', et, dans le choix de

1 Reges ex nobilitate, duces ex virtute sumunt. De moribus Germ.

leur chef, par sa vertu. Voilà les rois de la première race, et les maires du palais; les premiers étoient héréditaires, les seconds étoient électifs.

On ne peut douter que ces princes qui, dans l'assemblée de la nation, se levoient et se proposoient pour chefs de quelque entreprise à tous ceux qui voudroient les suivre, ne réunissent pour la plupart dans leur personne et l'autorité du roi et la puissance du maire. Leur noblesse leur avoit donné la royauté; et leur vertu, les faisant suivre par plusieurs volontaires qui les prenoient pour chefs, leur donnoit la puissance du maire. C'est par la dignité royale que nos premiers rois furent à la tête des tribunaux et des assemblées, et donnèrent des lois du consentement de ces assemblées : c'est par la dignité de duc ou de chef qu'ils firent leurs expéditions et commandèrent leurs armées.

Pour connoître le génie des premiers Francs à cet égard, il n'y a qu'à jeter les yeux sur la conduite que tint Arbogaste', Franc de nation, à qui Valentinien avoit donné le commandement de l'armée. Il enferma l'empereur dans le palais; il ne permit à qui que ce fût de lui parler d'aucune affaire civile ou militaire. Arbogaste fit pour lors ce que les Pepins firent depuis.

1 Voyez Sulpicius Alexander dans Grégoire de Tours, liv. 11.

CHAPITRE V.

Comment les maires obtinrent le commandement des armecs.

Pendant que les rois commandèrent les armées, la nation ne pensa point à se choisir un chef. Clovis et ses quatre fils fùrent à la tête des François, et les menèrent de victoire en victoire. Thibault, fils de Théodebert, prince jeune, foible et malade, fut le premier des rois qui resta dans son palais '. Il refusa de faire une expédition en Italie contre Narsês, et il eut le chagrin de voir les Francs se choisir deux chefs qui les y menèrent'. Des quatre enfans de Clotaire I, Gontran fut celui qui négligea le plus de commander les armées d'autres rois suivirent cet exemple; et, pour remettre sans péril le commandement en d'autres mains, ils le donnèrent à plusieurs chefs ou ducs".

▲ L'an 552.

3

2 Leutheris vero et Butilinus, tametsi id regi ipsorum minime placebat, belli cum eis societatem inierunt. Agathias, liv. 1; Grégoire de Tours, liv. iv, ch. ix.

3. Gontran ne fit pas même l'expédition contre Gondovalde, se disoit fils de Clotaire, et demandoit sa part du royaume.

qui

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Quelquefois au nombre de vingt. Voyez Grégoire de Tours, liv. v, ch. xxvII; liv. vIII, ch. xviii et xxx; liv. x, ch. III. Dagobert, qui n'avoit point de maire en Bourgogne, eut la même politique, et envoya contre les Gascons dix ducs, et plusieurs comtes qui n'avoient point de ducs sur eux. Chronique de Frédégaire, ch. LXXVIII, sur l'an 636.

On en vit naître des inconvénients sans nombre: il n'y eut plus de discipline, on ne sut plus obéir; les armées ne furent plus funestes qu'à leur propre pays; elles étoient chargées de dépouilles avant d'arriver chez les ennemis. On trouve dans Grégoire de Tours une vive peinture de tous ces maux'. « Comment pourrons-nous » obtenir la victoire, disoit Gontran', nous qui >> ne conservons pas ce que nos pères ont acquis? >> notre nation n'est plus la même..... » Chose singulière! elle étoit dans la décadence dès le temps des petits-fils de Clovis.

Il étoit donc naturel qu'on en vint à faire un duc unique; un duc qui eût de l'autorité sur cette multitude infinie de seigneurs et de leudes qui ne connoissoient plus leurs engagements; un duc qui rétablît la discipline militaire, et qui menât contre l'ennemi une nation qui ne savoit plus faire la guerre qu'à elle-même. On donna la puissance aux maires du palais.

La première fonction des maires du palais fut le gouvernement économique des maisons royales. Ils eurent, concurremment avec d'autres officiers, le gouvernement politique des fiefs; et

4 Grégoire de Tours, liv. vIII, ch. xxx; et liv. x, ch. 111. Ibid. liv. vIII, ch. xxx.

2 Ibid.

à la fin ils en disposèrent seuls'. Ils eurent aussi l'administration des affaires de la guerre et le commandement des armées; et ces deux fonctions se trouvèrent nécessairement liées avec les deux autres. Dans ces temps-là, il étoit plus difficile d'assembler les armées que de les commander : et quel autre que celui qui disposoit des grâces pouvoit avoir cette autorité? Dans cette nation indépendante et guerrière, il falloit plutôt inviter que contraindre, il falloit donner ou faire espérer les fiefs qui vaquoient par la mort du possesseur, récompenser sans cesse, faire craindre les préférences: celui qui avoit la surintendance du palais devoit donc être le général de l'armée.

CHAPITRE VI.

Seconde époque de l'abaissement des rois de la première

race.

Depuis le supplice de Brunehault, les maires avoient été administrateurs du royaume sous les rois; et, quoiqu'ils eussent la conduite de la les rois étoient pourtant à la tête des guerre, armées, et le maire et la nation combattoient sous eux. Mais la victoire du duc Pepin sur

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1 Voyez le second supplément à la loi des Bourguignons, tit. xIII; et Grégoire de Tours, liv. Ix, ch. xxxvI.

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