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Il est vrai que M. Baluze, trouvant cette constitution sans date, et sans le nom du lieu où elle a été donnée, l'a attribuée à Clotaire I. Elle est de Clotaire II. J'en donnerai trois raisons.

1. Il y est dit que le roi conservera les immunités accordées aux églises par son père et son aïeul'. Quelles immunités auroit pu accorder aux églises Childeric, aïeul de Clotaire I, lui qui n'étoit pas chrétien et qui vivoit avant que la monarchie eût été fondée? Mais si l'on attribue ce décret à Clotaire II, on lui trouvera pour aïeul Clotaire I lui-même, qui fit des dons immenses aux églises pour expier la mort de son fils Cramne, qu'il avoit fait brûler avec sa femme et ses enfans.

2o Les abus que cette constitution corrige subsistèrent après la mort de Clotaire I, et furent même portés à leur comble pendant la foiblesse du règne de Gontran, la cruauté de celui de Chilpéric, et les détestables régences de Frédégonde et de Brunehault. Or, comment la nation auroitelle pu souffrir des griefs si solennellement prescrits, sans s'être jamais récriée sur le retour continuel de ces griefs? Comment n'auroit-elle pas fait pour lors ce qu'elle fit lorsque Chilpéric II ayant

1 J'ai parlé au livre précédent de ces immunités, qui étoient des concessions de droits de justice, et qui contenoient des défenses aux juges royaux de faire aucune fonction dans le territoire, et étoient équivalentes à l'érection ou concession d'un fief,

repris les anciennes violences', elle le pressa d'ordonner que, dans les jugements, on suivît la loi et les coutumes comme on faisoit ancienne: ment1?

Enfin cette constitution, faite pour redresser les griefs, ne peut point concerner Clotaire I, puisqu'il n'y avoit point sous son règne de plaintes dans le royaume à cet égard, et que son autorité y étoit très-affermie, surtout dans le temps où l'on place cette constitution; au lieu qu'elle convient très-bien aux événements qui arrivèrent sous le règne de Clotaire II, qui causèrent une révolution dans-l'état politique du royaume. Il faut éclairer l'histoire par les lois, et les lois pår l'histoire.

CHAPITRE III.

Autorité des maires du palais.

J'ai dit que Clotaire II s'étoit engagé à ne point ôter à Warnachaire la place de maire pendant sa vie. La révolution eut un autre effet; avant ce temps le maire étoit le maire du roi, il devint le maire du royaume; le roi le choisissoit, la nation le choisit. Protaire, avant la révolution, avoit été fait maire

▲ Il commença à régner vers l'an 670.

2 Voyez la vie de saint Léger.

par Théodoric', et Landéric par Frédégonde'; mais, depuis, la nation fut en possession d'élire'.

Ainsi il ne faut pas confondre, comme ont fait quelques auteurs, ces maires du palais avec ceux qui avoient cette dignité avant la mort de Brunehault, les maires du roi avec les maires du royaume. On voit par la loi des Bourguignons que chez eux la charge de maire n'étoit point une des premières de l'état '; elle ne fut pas non plus une des plus éminentes chez les premiers rois francs'.

Clotaire rassura ceux qui possédoient des charges et des fiefs; et, après la mort de Warnachaire, ce prince ayant demandé aux seigneurs assemblés à Troyes qui ils vouloient mettre en sa place, ils s'écrièrent tous qu'ils n'éliroient point '; et lui

Instigante Brunichilde, Theodorico jubente, etc. Frédégaire, ch. xxvii, sur l'an 605.

1 Gesta regum Francorum, ch. xxXVI.

8 Voyez Frédégaire, chronique, ch. LIV, sur l'an 626; et son continuateur anonyme, ch. ci, sur l'an 695; et ch. cv, sur l'an 715; Aimoin, liv. iv, ch. xv; Éginhard, vie de Charlemagne, ch. XLVIII; Gesta regum Francorum, ch. XLV.

▲ Voyez la loi des Bourguignons, in præfat., et le second supplément de cette loi, tit. XIII.

• Voyez Grégoire de Tours, liv. Ix, ch. xxxvi.

Eo anno Clotarius cum proceribus et leudibus Burgundia Trecassinis conjungitur: cum eorum esset sollicitus si vellent jam, Warnachario discesso, alium in ejus honoris gradum sublimare: sed omnes unanimiter denegantes se nequaquam velle majorem domus eligere, regis gratiam obnixe petentes, cum rege transegere, Chronique de Frédégaire, ch. LIV, sur l'an 626.

demandant sa faveur, ils se mirent entre ses

mains.

Dagobert réunit, comme son père, toute la monarchie : la nation se reposa sur lui, et ne lui donna point de maire. Ce prince se sentit en liberté; et rassuré d'ailleurs par ses victoires, il reprit le plan de Brunehault. Mais cela lui réussit si mal, que les leudes d'Austrasie se laissèrent battre par les Sclavons', s'en retournèrent chez eux, et les marches de l'Austrasie furent en proie aux barbares.

Il prit le parti d'offrir aux Austrasiens de céder l'Austrasie à son fils Sigebert avec un trésor, et de mettre le gouvernement du royaume et du palais entre les mains de Cunibert, évêque de Cologne, et du duc Adalgise. Frédégaire n'entre point dans le détail des conventions qui furent faites pour lors: mais le roi les confirma toutes par ses chartres, et d'abord l'Austrasie fut mise hors de danger'.

Dagobert, se 'sentant mourir, recommanda à Ega, sa femme Nentechilde et son fils Clovis. Les

1 Istam victoriam quam Vinidi contra Francos meruerunt, non tantùm Sclavinorum fortitudo obtinuit, quantum dementatio Austrasiorum, dum se cernebant cum Dagoberto odium incurrisse, et assidue expoliarentur. Chron. de Frédégaire, ch. LXVIII, sur l'an 630.

* Deinceps Austrasii eorum studio limitem et regnum Francorum contra Vinidos utiliter defensasse noscuntur. Ibid. ch. LXXV, sur l'an 632.

leudes de Neustrie et de Bourgogne choisirent ce jeune prince pour leur roi'. Ega et Nentechilde gouvernèrent le palais '; ils rendirent tous les biens que Dagobert avoit pris '; et les plaintes cessèrent en Neustrie et en Bourgogne, comme elles avoient cessé en Austrasie.

Après la mort d'Ega, la reine Nentechilde engagea les seigneurs de Bourgogne à élire Floachatus pour leur maire. Celui-ci envoya aux évêques et aux principaux seigneurs du royaume de Bourgogne des lettres, par lesquelles il leur promettoit de leur conserver pour toujours, c'est-à-dire pendant leur vie, leurs honneurs et leurs dignités. Il confirma sa parole par un serment. C'est ici que l'auteur du livre des maires de la maison royale met le commencement de l'administration du royaume par des maires du palais'.

Frédégaire, qui étoit Bourguignon, est entré

Chron. de Frédégaire, ch. LXXIX, sur l'an 638.

2 Ibid.

3 Ibid. ch. LXXX, sur l'an 639.

Ibid. ch. LXXXIX, sur l'an 641.

• Ibid. Floachatus cunctis ducibus a regno Burgundiæ, seu et pontificibus, per epistolam etiam et sacramentis firmavit unicuique gradum honoris et dignitatem, seu et amicitiam, perpetuo con

servare.

6 Deinceps a temporibus Clodovei, qui fuit filius Dagoberti inclyti regis, pater vero Theodorici regnum Francorum decidens per majores domus cœpit ordinari. De major, domus regiæ.

DE L'ESPRIT DES LOIS. T. III.

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