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un esprit corrompu, voulut corriger les abus de la corruption ancienne. Ses caprices n'étoient point ceux d'un esprit foible : les leudes et les grands officiers se crurent perdus; ils la perdirent.

Il s'en faut bien que nous ayions tous les actes qui furent passés dans ces temps-là; et les faiseurs de chroniques, qui savoient à peu près de l'histoire de leur temps ce que les villageois savent aujourd'hui de celle du nôtre, sont très-stériles. Cependant nous avons une constitution de Clotaire, donnée dans le concile de Paris' pour la réformation des abus, qui fait voir que ce prince fit cesser les plaintes qui avoient donné lieu à la révolution'. D'un côté, il y confirme tous les dons qui avoient été faits ou confirmés par les rois ses prédécesseurs ; et il ordonne de l'autre que tout ce qui a été ôté à ses leudes ou fidèles leur soit rendu '.

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Ce ne fut pas la seule concession que le roi fit dans ce concile; il voulut que ce qui avoit été fait contre les priviléges desecclésiastiques fût corrigé3;

1 Quelque temps après le supplice de Brunehault, l'an 615. Voyez l'édition des capitulaires de Baluze, p. 21.

2 Quæ contra rationis ordinem acta vel ordinata sunt, ne in anjea, quod avertat divinitas, contingant, disposuerimus, Christo præsule, per hujus edicti nostri tenorem generaliter emendare. In proœmio, édit. des capitul. de Baluze, art. 16.

Ibid.

Ibid. art. 17.

* Et quod per tempora ex hoc prætermissum est vel dehinc perpetualiter observetur. Ibid. in proœmio.

il modéra l'influence de la cour dans les élections aux évêchés. Le roi réforma de même les affaires fiscales; il voulut que tous les nouveaux cens fussent ôtés ; qu'on ne levât aucun droit de passage établi depuis la mort de Gontran, Sigebert et Chilpéric '; c'est-à-dire qu'il supprimoit tout ce qui avoit été fait pendant les régences de Frédégonde et de Brunehault: il défendit que ses troupeaux fussent menés dans les forêts des particuliers: et nous allons voir tout à l'heure que la réforme fut encore plus générale, et s'étendit aux affaires civiles.

CHAPITRE II.

Comment le Gouvernement civil fut réformé.

On avoit vu jusqu'ici la nation donner des marques d'impatience et de légèreté sur le choix ou la conduite de ses maîtres; on l'avoit vue régler les différends de ses maîtres entre eux, et leur im

▲ Ita ut, episcopo decedente, in loco ipsius qui a metropolitano ordinari debet cum provincialibus, a clero et populo eligatur; et si persona condigna fuerit, per ordinationem principis ordinetur; vel certe si de palatio eligitur, per meritum personæ et doctrina ordinetur. Ibid. art. 1.

Ut ubicumque census novus impie additus est.... emendetur.

Art. 8.

Ibid. art. 9.

▲ Voyez l'édit. des capitul. de Baluze, art. 21.

poserla nécessité de la paix. Mais, ce qu'on n'avoit pas encore vu, la nation le fit pour lors; elle jeta les yeux sur sa situation actuelle; elle examina ses lois de sang-froid; elle pourvut à leur insuffisance; elle arrêta la violence; elle régla le pouvoir.

Les régences mâles, hardies et insolentes, de Frédégonde et de Brunehault avoient moins étonné cette nation qu'elles ne l'avoient avertie. Frédégonde avoit défendu ses méchancetés par ses méchancetés mêmes; elle avoit justifié le poison et les assassinats par le poison et les assassinats; elle s'étoit conduite de manière que ses attentats étoient encore plus particuliers que publics. Frédégonde fit plus de maux; Brunehault en fit craindre davantage, Dans cette crise, la nation ne se contenta pas de mettre ordre au gouvernement féodal; elle voulut aussi assurer le gouvernement civil : car celui-ci étoit encore plus corrompu que l'autre; et cette corruption étoit d'autant plus dangereuse qu'elle étoit plus ancienne, et tenoit plus en quelque sorte à l'abus des mœurs qu'à l'abus

des lois.

L'histoire de Grégoire de Tours et les autres monuments nous font voir, d'un côté, une nation féroce et barbare, et, de l'autre, des rois qui ne l'étoient pas moins. Ces princes étoient meurtriers, injustes et cruels, parce que toute la nation l'étoit. Si le christianisme parut quelquefois les

adoucir, ce ne fut que par les terreurs que le christianisme donne aux coupables. Les églises se défendirent contre eux par les miracles et les prodiges de leurs saints. Les rois n'étoient point sacriléges, parce qu'ils redoutoient les peines des sacrileges; mais d'ailleurs ils commirent ou par colère ou de sang-froid, toutes sortes de crimes et d'injustices, parce que ces crimes et ces injustices ne leur montroient pas la main de la divinité si présente. Les Francs, comme j'ai dit, souffroient des rois meurtriers, parce qu'ils étoient meurtriers eux-mêmes ; ils n'étoient point frappés des injustices et des rapines de leurs rois, parce qu'ils étoient ravisseurs et injustes comme eux. Il y avoit bien des lois établies, mais les rois les rendoient inutiles par de certaines lettres appelées précep tions', qui renversoient ces mêmes lois : c'étoit à-peu-près comme les rescripts des empereurs romains, soit que les rois eussent pris d'eux cet usage, soit qu'ils l'eussent tiré du fond même de leur naturel. On voit dans Grégoire de Tours qu'ils faisoient des meurtres de sang-froid, et faisoient mourir des accusés qui n'avoient pas seule ment été entendus; ils donnoient des préceptions pour faire des mariages illicites ; ils en donnoient

1 C'étoient des ordres que le roi envoyoit aux juges, pour faire ou souffrir de certaines choses contre la loi.

2 Voyez Grégoire de Tours, liv. IV, p. 227. L'histoire et les chartres sont pleines de ceci; et l'étendue de ces abus paroît surtout

pour transporter les successions; ils en donnoient pour ôter le droit des parents; ils en donnoient pour épouser les religieuses. Ils ne faisoient point à la vérité des lois de leur seul mouvement, mais ils suspendoient la pratique de celles qui étoient faites.

L'édit de Clotaire redressa tous les griefs. Personne ne put plus être condamné sans être entendu '; les parents durent toujours succéder selon l'ordre établi par la loi '; toutes préceptions pour épouser des filles, des veuves ou des religieuses, furent nulles, et on punit sévèrement ceux qui les obtinrent et en firent usage. Nous saurions peutêtre plus exactement ce qu'il statuoit sur ces préceptions, si l'article 13 de ce décret et les deux suivants n'avoient péri par le temps. Nous n'avons que les premiers mots de cet article 13 qui ordonne que les préceptions seront observées; ce qui ne peut pas s'entendre de celles qu'il venoit d'abolir par la même loi. Nous avons une autre constitution du même prince", qui se rapporte à son édit, et corrige de même de point en point tous les abus des préceptions.

dans l'édit de Clotaire II, de l'an 615, donné pour les réformer. Voyez les capitulaires, édition de Baluze, tome 1, p. 22.

Ibid. art. 22.

2 Ibid. art 6.

Ibid. art. 18.

◆ Dans l'édit. des capitulaires de Baluze, tome 1, p. 7.

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