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CHAPITRE X.

Que les lois qui paroissent contraires dérivent quelquefois du même esprit.

On va aujourd'hui dans la maison d'un homme pour l'appeler en jugement: cela ne pouvoit se faire chez les Romains .

L'appel en jugement étoit une action violente et comme une espèce de contrainte par corps3; et on ne pouvoit pas plus aller dans la maison d'un homme pour l'appeler en jugement, qu'on ne peut aller aujourd'hui contraindre par corps dans sa maison un homme qui n'est condamné que pour des dettes civiles.

Les lois romaines 4 et les nôtres admettent également ce principe, que chaque citoyen a sa maison pour asile, et qu'il n'y doit recevoir aucune violence 5.

'Leg. xvIII, ff. de in jus vocando.

Voyez la loi des douze tables.

3 Rapit in jus. Horat., sat. ix, liv. 1. C'est pour cela qu'on ne pouvoit appeler en jugement ceux à qui on devoit un certain

respect.

4 Voyez la loi XVIII, ff. de in jus vocando.

5 Cette jurisprudence a changé à Paris en 1772.

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De quelle manière deux lois diverses peuvent être comparées.

En France la peine contre les faux témoins est capitale; en Angleterre elle ne l'est point. Pour juger laquelle de ces deux lois est la meilleure, il faut ajouter, En France la question contre les criminels est pratiquée, en Angleterre elle ne l'est point; et dire encore, En France l'accusé ne produit point ses témoins, et il est très rare qu'on y admette ce que l'on appelle les faits justificatifs; en Angleterre l'on reçoit les témoignages de part et d'autre. Les trois lois françoises forment un système très lié et très suivi; les trois lois angloises en forment un qui ne l'est pas moins. La loi d'Angleterre, qui ne connoît point la question contre les criminels, n'a que peu d'espérance de tirer de l'accusé la confession de son crime; elle appelle donc de tous côtés les témoignages étrangers, et elle n'ose les décourager par la crainte d'une peine capitale. La loi françoise, qui a une ressource de plus, ne craint pas tant d'intimider les témoins; au contraire la raison demande qu'elle les intimide : elle n'écoute que les témoins d'une part'; ce sont ceux que produit la partie

Par l'ancienne jurisprudence françoise les témoins étoient ouis des deux parts. Aussi voit-on dans les Établissements de saint Louis,

publique, et le destin de l'accusé dépend de leur seul témoignage. Mais en Angleterre on reçoit les témoins des deux parts, et l'affaire est, pour ainsi dire, discutée entre eux; le faux témoignage y peut donc être moins dangereux; l'accusé y a une ressource contre le faux témoignage, au lieu que la loi françoise n'en donne point. Ainsi, pour juger lesquelles de ces lois sont les plus conformes à la raison, il ne faut pas comparer chacune de ces lois à chacune; il faut les prendre toutes ensemble, et les comparer toutes ensemble.

CHAPITRE XII.

Que les lois qui paroissent les mêmes sont réellement
quelquefois différentes.

Les lois grecques et romaines punissoient le ' receleur du vol comme le voleur : la loi françoise fait de même. Celles-là étoient raisonnables, celleci ne l'est pas. Chez les Grecs et chez les Romains, le voleur étant condamné à une peine pécuniaire, il falloit punir le receleur de la même peine; car tout homme qui contribue de quelque façon que ce soit à un dommage doit le réparer. Mais parmi nous, la peine du vol étant capitale, on n'a pas

liv. 1, chap. vII, que la peine contre les faux témoins en justice étoit pécuniaire.

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pu, sans outrer les choses, punir le receleur comme le voleur. Celui qui reçoit le vol peut, en mille occasions, le recevoir innocemment; celui qui vole est toujours coupable: l'un empêche la conviction d'un crime déjà commis; l'autre commet ce crime tout est passif dans l'un; il y a une action dans l'autre; il faut que le voleur surmonte plus d'obstacles et que son ame se roidisse plus long-temps contre les lois.

Les jurisconsultes ont été plus loin : ils ont regardé le receleur comme plus odieux que le voleur 1; car sans eux, disent-ils, le vol ne pourroit être caché long-temps. Cela, encore une fois, pouvoit être bon quand la peine étoit pécuniaire; il s'agissoit d'un dommage, et le receleur étoit ordinairement plus en état de le réparer : mais la peine devenue capitale, il auroit fallu se régler sur d'autres principes.

CHAPITRE XIII.

Qu'il ne faut point séparer les lois de l'objet pour lequel elles sont faites. Des lois romaines sur le vol.

Lorsque le voleur étoit surpris avec la chose volée avant qu'il l'eût portée dans le lieu où il avoit résolu de la cacher, cela étoit appelé chez les

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Romains un vol manifeste; quand le voleur n'étoit découvert qu'après, c'étoit un vol non manifeste.

La loi des douze tables ordonnoit que le voleur manifeste fût battu de verges, et réduit en servitude, s'il étoit pubère; ou seulement battu de verges, s'il étoit impubère : elle ne condamnoit le voleur non manifeste qu'au paiement du double de la chose volée.

Lorsque la loi Porcia eut aboli l'usage de battre de verges les citoyens et de les réduire en servitude, le voleur manifeste fut condamné au 1 quadruple, et on continua à punir du double le voleur non manifeste.

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Il paroît bizarre que ces lois missent une telle différence dans la qualité de ces deux crimes et dans la peine qu'elles infligeoient en effet, que le voleur fût surpris avant ou après avoir porté le vol dans le lieu de sa destination, c'étoit une circonstance qui ne changeoit point la nature du crime. Je ne saurois douter que toute la théorie des lois romaines sur le vol ne fût tirée des institutions lacédémoniennes. Lycurgue, dans la vue de donner à ses citoyens de l'adresse, de la ruse et de l'activité, voulut qu'on exerçât les enfants au larcin, et qu'on fouettât rudement ceux qui s'y laisseroient surprendre : cela établit chez les Grecs, et ensuite chez les Romains, une grande Voyez ce que dit Favorinus sur Aulu-Gelle, liv. xx,

ch. I.

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