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qui ont successivement régné sur nous. L'origine de leur grandeur n'iroit donc point se perdre dans l'oubli, la nuit, et le temps : l'histoire éclaireroit des siècles où elles auroient été des familles communes; et pour que Childéric, Pepin et Hugues Capet fussent gentilshommes, il faudroit aller chercher leur origine parmi les Romains ou les Saxons, c'est-à-dire parmi les nations subjuguées.

M. l'abbé Dubos fonde' son opinion sur la loi salique. Il est clair, dit-il, par cette loi qu'il n'y avoit point deux ordres de citoyens chez les Francs. Elle donnoit deux cents sous de composition pour la mort de quelque Franc que ce fût '; mais elle distinguoit chez les Romains le convive du roi, pour la mort duquel elle donnoit trois cents sous de composition, du Romain possesseur, à qui elle en donnoit cent, et du Romain tributaire, à qui elle n'en donnoit que quarante-cinq. Et, comme la différence des compositions faisoit la distinction principale, il conclut que, chez les Francs, il n'y avoit qu'un ordre de citoyens, et qu'il y en avoit trois chez les Romains.

Il est surprenant que son erreur même ne lui

Voyez l'Établissement de la monarchie françoise, tome 111, liv. vi, ch. IV, p. 304.

2 Il cite le titre XLIV de cette loi, et la loi des Ripuaires, tit. v11

et XXXVI.

ait pas fait découvrir son erreur. En effet il eût été bien extraordinaire que les nobles romains, qui vivoient sous la domination des Francs, y eussent eu une composition plus grande et y eussent été des personnages plus importants que les plus illustres des Francs et leurs plus grands capitaines. Quelle apparence que le peuple vainqueur eût eu si peu de respect pour lui-même, et qu'il en eût eu tant pour le peuple vaincu? De plus, M. l'abbé Dubos cite les lois des autres nations barbares qui prouvent qu'il y avoit parmi eux divers ordres de citoyens. Il seroit bien extraordinaire que cette règle générale eût précisément manqué chez les Francs. Cela auroit dû lui faire penser qu'il entendoit mal ou qu'il appliquoit mal les textes de la loi salique; ce qui lui est effectivement arrivé.

On trouve, en ouvrant cette loi, que la composition pour la mort d'un antrustion', c'est-àdire d'un fidèle ou vassal du roi, étoit de six cents sous, et que celle pour la mort d'un Romain convive du roi n'étoit que de trois cents'. On y trouve que la composition pour la mort d'un

1 Qui in truste dominica est, tit. XLIV, § 4; et cela se rapporte à la formule 13 de Marculfe, de regis antrustione. Voyez aussi le tit. LXVI de la loi salique, § 3 et 4; et le tit. LXXIV; et la loi des Ripuaires, tit. xI; et le capitulaire de Charles-le-Chauve, apud Carisiacum, de l'an 877, ch. xx. 2 Loi salique, tit. XLIV, § 4.

31bid. § 7.

simple Franc étoit de deux cents sous ', et que celle pour la mort d'un Romain 'd'une condition ordinaire n'étoit que de cent. On payoit encore pour la mort d'un Romain tributaire', espèce de serf ou d'affranchi, une composition de quarantecinq sous; mais je n'en parlerai point, non plus que de celle pour la mort du serf franc ou de l'affranchi franc: il n'est point ici question de ce troisième ordre de personnes.

Que fait M. l'abbé Dubos? il passe sous silence le premier ordre de personnes chez les Francs, c'est-à-dire l'article qui concerne les antrustions; et ensuite, comparant le Franc ordinaire pour la mort duquel on payoit deux cents sous de composition, avec ceux qu'il appelle des trois ordres chez les Romains, et pour la mort desquels on payoit des compositions différentes, il trouve qu'il n'y avoit qu'un seul ordre de citoyens chez les Francs, et qu'il y en avoit trois chez les Romains. Comme, selon lui, il n'y avoit qu'un seul ordre

de personnes chez les Francs, il eût été bon qu'il n'y en eût eu qu'un aussi chez les Bourguignons, parce que leur royaume forma une des principales pièces de notre monarchie. Mais il y a dans

Loi salique, tit. XLIV, § 1.

2 Ibid. § 15.

3. Ibid. § 4.

leurs codes trois sortes de compositions '; l'une pour le noble bourguignon ou romain, l'autre pour le Bourguignon ou Romain d'une condition médiocre, la troisième pour ceux qui étoient d'une condition inférieure dans les deux nations. M. l'abbé Dubos n'a point cité cette loi.

Il est singulier de voir comment il échappe aux passages qui le pressent de toutes parts *. Lui parle-t-on des grands, des seigneurs, des nobles, ce sont, dit-il, de simples distinctions, et non pas des distinctions d'ordre; ce sont des choses de courtoisie, et non pas des prérogatives de la loi. Ou bien, dit-il, les gens dont on parle étoient du conseil du roi; ils pouvoient même être des Romains: mais il n'y avoit toujours qu'un seul ordre de citoyens chez les Francs. D'un autre côté, s'il est parlé de quelque Franc d'un rang inférieur, ce sont des serfs; et c'est de cette manière qu'il interprète le décret de Childebert. Il est nécessaire que je m'arrête sur ce décret.

1 Si quis, quolibet casu, dentem optimati Burgundioni vel Romano nobili excusserit, solidos viginti quinque cogatur exsolvere; de mediocribus personis ingenuis, tam Burgundionibus quam Romanis, si dens excussus, fuerit, decem solidis componatur; de inferioribus personis, quinque solidos. Art. 1, 2 et 3 du tit. xxvi de la loi des Bourguignons.

2 Établissement de la monarchie françoise, tome 111, liv. vi,

ch. IV et v.

3 Établissement de la monarchie françoise, ch. v, p. 319 et 320.

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M. l'abbé Dubos l'a rendu fameux, parce qu'il s'en est servi pour prouver deux choses; l'une', que toutes les compositions que l'on trouve dans les lois des barbares n'étoient que des intérêts civils ajoutés aux peines corporelles, ce qui renverse de fond en comble tous les anciens monuments; l'autre, que tous les hommes libres étoient jugés directement et immédiatement par le roi', ce qui est contredit par une infinité de passages et d'autorités qui nous font connoître l'ordre judiciaire de ce temps-là 3.

Il est dit dans ce décret, fait dans une assemblée de la nation', que si le juge trouve un voleur fameux, il le fera lier pour être envoyé devant le roi, si c'est un Franc (Francus); mais si c'est une personne plus foible (debilior persona), il sera pendu sur le lieu. Selon M. l'abbé Dubos, Francus est un homme libre, debilior persona est un serf. J'ignorerai pour un moment ce que peut signifier ici le mot Francus, et je commencerai

1 Établissement de la monarchie françoise, tome 1, liv. vi, ch. iv, p. 307 et 308.

2 Ch. rv, p. 309; et au ch. suiv. p. 319 et 320.

3 Voyez

ch. VIII.

le liv. xxvi de cet ouvrage, ch. xxvi11; et le liv. xxxi,

4 Itaque colonia convenit et ita bannivimus, ut unusquisque judex criminosum latronem ut audierit, ad casam suam ambulet, et ipsum ligare faciat : ita ut, si Francus fuerit, ad nostram præsentiam dirigatur; et, si debilior persona fuerit, in loco pendatur. Capitulaires de l'édition de Baluze, tome 1, p. 19.

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