Page images
PDF
EPUB

rés et ta dépouille mutilée ? Voilà donc ce que de toi, ô mon fils, tu me rapportes? Voilà ce que j'ai suivi par terre et par mer! Frappez-moi, si vous avez quelque pitié, lancez sur moi tous vos traits, Rutules, tuez-moi la première; ou toi, père tout-puissant des dieux, aie compassion et d'un coup de ta foudre précipite au fond du Tartare ma personne haïe du ciel, puisque je ne puis autrement finir ma misérable vie. Ces plaintes émeuvent tous les cœurs ; un triste gémissement court dans tous les rangs, et l'abattement brise pour les combats la force des guerriers.

CCXXXIII

(Tom. 1, p. 503.)

Pallas de toutes ses forces lance un javelot et tire du fourreau son étincelante épée. Le trait fend l'air, arrive sur la cuirasse au sommet de l'épaule, et, se frayant un chemin à travers les bords du bouclier, effleure à la fin le corps même du gigantesque Turnus. Mais lui, de son côté, après avoir brandi longuement un bois que termine un fer acéré, le lance contre Pallas, en disant : « Vois si mon trait ne perce pas mieux que le tien!» Il dit, et déjà le bouclier, malgré les lames de fer et d'airain, malgré les peaux de taureaux qui le recouvrent, est transpercé en plein milieu. par la pointe vibrante que n'arrête pas la cuirasse et qui se fait une profonde ouverture dans la poitrine de Pallas. Celui-ci arrache, mais en vain, le trait tout fumant de sa blessure: par la même voie s'échappent à la fois et son sang et sa vie ; il tombe en avant; ses armes en retentissent, et de sa bouche sanglante il mord, en expirant, cette terre ennemie. Turnus est debout devant lui: «Arcadiens, s'écriet-il, rappelez-vous bien mes paroles et reportez-les à Évandre tel qu'il l'a mérité, je lui renvoie Pallas. Les honneurs du tombeau, les consolations de la sépulture, je les lui

(4) Les uns expliquent : « qualem remitti Pallas meruit »; les autres: « qualem sibi remitti Pallanta Evander meruit. »

Quisquis honos tumuli, quidquid solamen humandi est,
Largior. Haud illi stabunt Æneia parvo
Hospitia. » Et lævo pressit pede, talia fatus,
Exanimem, rapiens immania pondera baltei',
Impressumque nefas: una sub nocte jugali
Cæsa manus juvenum foede thalamique cruenti;
Quæ Clonus Eurytides multo cælaverat auro;
Quo nunc Turnus ovat spolio gaudetque potitus.
Nescia mens hominum fati sortisque futuræ
Et servare modum, rebus sublata secundis!
Turno tempus erit, magno cum optaverit emptum
Intactum Pallanta, et cum spolia ista diemque
Oderit. At socii multo gemitu lacrimisque
Impositum scuto referunt Pallanta frequentes.
O dolor atque decus magnum rediture parenti!
Hæc te prima dies bello dedit, hæc eadem aufert,
Cum tamen ingentes Rutulorum linquis acervos.
Virg., En., X, v. 474-509.

CCXXXIV

Mort de Mézence.

Atque hic Enean magna ter voce vocavit.
Eneas agnovit enim, lætusque precatur:
<< Sic pater ille deum faciat, sic altus Apollo
Incipias conferre manum! »

Tantum effatus, et infesta subit obvius hasta.
Ille autem: « Quid me, erepto, sævissime, nato,
Terres? Hæc via sola fuit, qua perdere posses.
Nec mortem horremus, nec divum parcimus ulli.
Desine: nam venio moriturus, et hæc tibi porto
Dona prius. » Dixit, telumque intorsit in hostem;
Inde aliud super atque aliud figitque volatque

(1) Baltei en deux syllabes.

laisse il aura payé cher l'hospitalité donnée à Énée ! » A ces mots, il presse du pied gauche le corps inanimé du vaincu et lui enlève son baudrier, d'un grand poids, où est représenté l'horrible forfait des Danaïdes inondant atrocement en une seule nuit leurs couches nuptiales du sang de leurs jeunes époux, scène gravée dans l'épaisseur de l'or par la main de Clonus, fils d'Euryte. En ce moment, Turnus fait fièrement parade de ces dépouilles et s'applaudit de les posséder. Triste aveuglement des hommes qui, dans l'ignorance du destin et de ce que leur réserve l'avenir, ne savent point garder de mesure au milieu d'un triomphe! Pour Turnus un jour viendra où il voudra racheter bien cher la vie de Pallas, où il maudira ces dépouilles et cette heure de victoire ! Cependant les compagnons du mort l'entourent en grand nombre; au milieu des gémissements et des larmes, ils l'étendent sur son bouclier et l'emportent. Que de douleur et que de gloire, ô Pallas, ton retour va causer à ton père! Le même jour qui t'a ouvert la carrière des armes te l'a fermée; mais tu laisses du moins derrière toi des monceaux de Rutules tombés sous tes coups.

CCXXXIV

(Tom. 1, p. 506.)

Trois fois Mézence appelle Énée de toute la force de sa voix; Énée le reconnaît et, transporté de joie, exprime ce vœu : « Fasse le père des dieux, fasse le grand Apollon que tu veuilles entrer en lice avec moi ! » Sans en dire plus, il s'avance au devant de lui, la lance prête à le frapper. Mézence lui répond: «A quoi bon, barbare, après m'avoir ravi mon fils, chercher à m'effrayer? Tu n'avais pas en ton pouvoir d'autre moyen de me faire périr. Je ne redoute pas la mort et n'ai nul souci d'aucun dieu. Cesse donc tes menaces; je viens mourir; mais voici les dons que je t'apporte auparavant. » Ce disant, il lance contre son ennemi un javelot, puis un second, puis un troisième, et, dans une course rapide, décrit un large cercle autour de lui;

Ingenti gyro, sed sustinet aureus umbo.
Ter circum adstantem lævos equitavit in orbes,
Tela manu jaciens; ter secum Troius heros
Immanem ærato circumfert tegmine silvam.
Inde, ubi tot traxisse moras, tot spicula tædet
Vellere, et urgetur pugna congressus iniqua,
Multa movens animo, jam tandem erumpit, et inter
Bellatoris equi cava tempora conjicit hastam.
Tollit se arrectum quadrupes, et calcibus auras
Verberat, effusumque equitem super ipse secutus
Implicat, ejectoque1 incumbit cernuus armo.
Clamore incendunt cælum Troesque Latinique.
Advolat Eneas, vaginaque eripit ensem,

Et super hæc: « Ubi nunc Mezentius acer, et illa
Effera vis animi? » Contra Tyrrhenus, ut auras
Suspiciens hausit cælum mentemque recepit:

Hostis amare, quid increpitas mortemque minaris?
Nullum in cæde nefas; nec sic ad prælia veni,
Nec tecum meus hæc pepigit mihi foedera Lausus.
Unum hoc, per, si qua est victis venia hostibus, oro;
Corpus humo patiare tegi. Scio acerba meorum
Circumstare odia: hunc, oro, defende furorem,
Et me consortem nati concede sepulcro. >>

Hæc loquitur, juguloque haud inscius accipit ensem,
Undantique animam diffundit in arma cruore.

Virg., Æn., X, 873-908.

CCXXXV

Le vieux Evandre en présence du cadavre de son fils.

Non hæc, o Palla, dederas promissa parenti.

Cautius ut sævo velles te credere Marti!

(1) On sous-entend ordinairement equiti; mais Benoist, rapportant ejecto à armo, explique « le paleron disloqué ».

(2) Comme utinam.

mais le bouclier d'or résiste. Trois fois, par la gauche, dans ce mouvement circulaire de son coursier autour du hérso debout à la même place, il le couvre de traits; trois fois, le héros, en tournant sur lui-même, lui présente constamment son bouclier, que charge une forêt de dards. Mais, impatient de tous ces retards, ennuyé d'avoir à arracher tant. de javelots, et fatigué d'une lutte si inégale, Enée, après. avoir hésité longtemps sur le parti qu'il doit prendre, se décide enfin, s'élance et entre les tempes du belliqueux coursier darde son javelot. L'animal se cabre, bat l'air de ses pieds, renverse son maître, et, s'abattant sur lui, l'embarrasse et l'accable de son poids. Troyens et Latins ébranlent le ciel de leurs cris; Enée se précipite, du fourreau tire son épée et s'écrie: « Où donc est maintenant le terrible Mézence? Qu'est devenue son indomptable audace ?» Le Tyrrhénien, levant les yeux au ciel, reprend ses esprits et. répond: << Ennemi cruel, pourquoi ces outrages et ces menaces de mort? Tu peux sans crime m'égorger, et ce n'est point pour te demander la vie que je suis venu te combattre, mon Lausus n'a pas fait, à sa mort, ce honteux traité avec toi. Je ne te demande qu'une chose, si toutefois un ennemi vaincu peut réclamer une faveur ; permets qu'un peu de terre couvre mon corps. Je sais que mes sujets me poursuivent d'une haine implacable; préserve-moi, je t'en prie, de leur fureur, et accorde-moi la grâce de partager le tombeau de mon fils. » En achevant ces mots, il reçoit dans la gorge le coup d'épée qu'il attendait et rend l'âme avec les flots de sang qui inondent ses armes.

CCXXXV

(Tom. 1, p. 508.)

Ce n'est pas là, ô Pallas, ce que tu avais promis à ton père. Que n'as-tu avec plus de prudence affronté les cruautés de Mars! Je savais bien ce que peut sur un jeune cœur la gloire des armes, l'attrait de la victoire dans un premier combat. Prémices malheureuses de ta juvénile

« PreviousContinue »