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CCXIX

(Tom. I, p. 422.)

Cependant l'Aurore se levant quittait le sein de l'Océan et le jour se montrait: une jeunesse d'élite sort des portes et avec des filets à grandes mailles, des toiles, des épieux garnis de large fer, les cavaliers Massyliens s'élancent, suivis de chiens à l'odorat subtil. Sur le seuil du palais, les chefs carthaginois attendent la reine qui tarde à sortir, et son coursier, brillant de pourpre et d'or, est là qui, dans sa superbe ardeur, mord son frein écumant. Enfin elle s'avance au milieu d'une nombreuse escorte: elle porte une chlamyde tyrienne bordée de riches broderies; son carquois est d'or; le nœud de ses cheveux est retenu par un ornement d'or; une agrafe d'or relève son manteau de pourpre. En même temps s'avancent le groupe des Phrygiens et le charmant Iule; lui-même Enée, parmi tous de beaucoup le plus beau, se porte auprès de la reine et réunit son cortège au sien. Tel Apollon, quittant la froide Lycie. et les rives du Xanthe pour visiter Délos, l'ile de sa mère, y revient célébrer ses fêtes; tous ensemble les Crétois, les Dryopes et les Agathyrses qui se peignent de diverses couleurs, dansent bruyamment autour des autels; lui s'avance sur le sommet du Cynthe; le laurier presse mollement sa chevelure flottante, enlacant sa couronne d'or, et ses flèches retentissent sur ses épaules. Avec non moins d'agilité marchait Énée et sur son noble visage brillait tout autant debeauté.

CCXX
(Tom. 1, p. 422.)

Aussitôt la Renommée va parcourant les grandes villes de la Libye, la Renommée que nul autre fléau ne surpasse en rapidité. Le mouvement est sa vie et elle acquiert des forces en courant. Petite et timide d'abord, bientôt elle s'élève dans les airs; elle marche sur la terre et cache sa tête dans les nues. On dit qu'irrité de la vengeance des

Parva metu primo, mox sese attollit in auras,
Ingrediturque solo et caput inter nubila condit.
Illam Terra parens, ira irritata deorum',

Extremam, ut perhibent, Coo Enceladoque sororem
Progenuit, pedibus celerem et pernicibus alis.
Monstrum horrendum, ingens, cui quot sunt corpore plumæ,
Tot vigiles oculi subter (mirabile dictu),

Tot linguæ, totidem ora sonant, tot subrigit aures.
Nocte volat cæli medio terræque. per umbram
Stridens, nec dulci declinat lumina somno;
Luce sedet custos aut summi culmine tecti,
Turribus aut altis, et magnas territat urbes,
Tam ficti pravique tenax quam nuntia veri.
Hæc tum multiplici populos sermone replebat
Gaudens, et pariter facta atque infecta canebat:
Venisse Ænean, Trojano sanguine cretum,
Cui se pulchra viro dignetur jungere Dido;
Nunc hiemem inter se luxu, quam longa, fovere,
Regnorum immemores turpique cupidine captos.
Hæc passim dea fœda virum diffundit in ora.
Virg., En., IV, v. 173-195.

CCXXI

Plaintes et imprécations de Didon à la vue de la flotte d'Énée s'éloignant de Carthage.

Pro Juppiter! ibit

Hic, ait, et nostris illuserit advena regnis.

Non arma expedient totaque ex urbe sequentur,
Diripientque rates alii navalibus ? Ite,

Ferte citi flammas, date vela, impellite remos!

Quid loquor, aut ubi sum? Quæ mentem insania mutat,

Infelix Dido! nunc te facta impia tangunt?

Tum decuit, cum sceptra dabas. En dextra fidesque,
Quem secum patrios aiunt portare Penates,

(1) Les dieux avaient tué les Titans enfants de la Terre.

dieux, la Terre enfanta cette dernière sœur de Céus et. d'Encelade, aux pieds rapides et aux ailes infatigables. Monstre horrible, énorme, qui, sur toutes les plumes deson corps, cache, ô prodige! un nombre pareil d'yeux toujours ouverts, de langues et de bouches toujours retentissantes, d'oreilles toujours dressées. La nuit, elle vole entre le ciel et la terre en bruissant au milieu des ténèbres et jamais la douceur du sommeil ne ferme ses yeux; le jour, elle veille assise sur le faîte des édifices et sur le sommet des tours et répand la terreur à travers les cités, messagère tenace du mensonge et de la calomnie tout autant que de la vérité. Elle prenait plaisir alors à semer parmi les peuples mille bruits divers où se mêlaient également et le vrai et le faux : elle publiait qu'Énée, issu du sang troyen, était arrivé en Afrique et que la belle Didon ne dédaignait pas de s'unir au héros; qu'ils passaient tous les deux l'hiver entier dans les délices, oubliant leurs royaumes, sous l'empire d'une honteuse passion. Voilà ce qu'en tous lieux. l'odieuse déesse faisait circuler de bouche en bouche.

CCXXI

(Tom. I, p. 427.)

O Jupiter il s'en ira, s'écria-t-elle, un étranger aura. insulté à mon empire. Et les Tyriens ne prendront pas les armes, tous en masse ils ne le poursuivront pas, ne lanceront pas de mes arsenaux mes vaisseaux après lui? Allez, courez, la flamme à la main; donnez voiles au vent, faites force de rames!... Que dis-je? et où suis-je ? Quel délire trouble mon esprit ? Malheureuse Didon! tu gémis maintenant sur sa perfidie; c'est quand tu lui donnais la couronne qu'il eût fallu gémir! Voilà donc ses serments et sa foi; voilà l'homme qui, dit-on, porte pieusement ses Pénates avec lui, et qui a chargé sur ses épaules son père exténué

Quem subiisse humeris confectum ætate parentem !
Non potui abreptum divellere corpus et undis
Spargere, non socios, non ipsum absumere ferro
Ascanium, patriisque epulandum ponere mensis?
Verum anceps pugnæ fuerat fortuna. Fuisset!
Quem metui moritura? Faces in castra tulissem,
Implessemque foros flammis, natumque patremque
Cum genere exstinxem, memet super ipsa dedissem.
Sol, qui terrarum flammis opera omnia lustras,
Tuque harum interpres curarum et conscia Juno,
Nocturnisque Hecate triviis ululata per urbes,
Et Diræ ultrices, et di morientis Elissæ,
Accipite hæc, meritumque malis advertite numen,
Et nostras audite preces. Si tangere portus
Infandum caput ac terris adnare necesse est,
Et sic fata Jovis poscunt, hic terminus hæret :
At bello audacis populi vexatus et armis,
Finibus extorris, complexu avulsus Iuli,
Auxilium imploret, videatque indigna suorum
Funera; nec, cum se sub leges pacis iniquæ
Tradiderit, regno aut optata luce fruatur;

1

Sed cadat ante diem, mediaque inhumatus 1 arena.

Hæc precor, hanc vocem extremam cum sanguine fundo.
Tum vos, o Tyrii, stirpem et genus omnc futurum

Exercete odiis, cinerique hæc mittite nostro
Munera. Nullus amor populis nec fœdera sunto.
Exoriare aliquis nostris ex ossibus ultor,
Qui face Dardanios ferroque sequare colonos,
Nunc, olim, quocumque dabunt se tempore vires.
Litora litoribus contraria, fluctibus undas

Imprecor, arma armis; pugnent ipsique nepotesque.

Virg., En., IV, v. 590-629.

(1) Voir, sur la légende de la mort d'Énée, tom. I, p. 387. Cf. Preller, Roem. Myt. p. 682-683.

(2) Vers hypermètre.

de vieillesse.... Je n'ai pu le saisir, déchirer son corps, en semer les lambeaux dans les flots, je n'ai pu massacrer ses compagnons, égorger Ascagne lui-même pour lui faire de ce fils un horrible festin.... Mais la fortune du combat eût été incertaine. Eh bien, elle l'eût été ! Qu'avais-je à craindre, résolue à mourir ? J'aurais porté le feu dans sa flotte à l'ancre, incendié tous ses vaisseaux, exterminé en son fils et lui toute sa race, et je me serais tuée moi-même après eux... Soleil, qui de tes rayons éclaires tout ce qui se fait en ce monde; et toi, Junon, qui, confidente et témoin de mes douleurs, t'es prêtée et as assisté à mes malheurs ; Hécate, dont le nom s'invoque par les carrefours des villes en hurlements nocturnes; Furies vengeresses, et vous, dieux d'Élise mourante, écoutez ma voix, mettez votre puissance, dont je mérite le secours, au service de mon malheur et exaucez mes prières. S'il faut que l'infâme touche au port et aborde au rivage désirė, si tel est fatalement l'arrêt de Jupiter et tel le terme de ses courses, que, du moins, assailli par les armes d'un peuple belliqueux, loin de son camp, arraché aux embrassements d'Iule, il ait besoin d'implorer des secours et voie affreusement mourir ses guerriers; que même, après s'être soumis aux conditions d'une alliance honteuse, il ne puisse jouir ni du trône, ni de la lumière si douce de la vie; mais qu'il meure avant le temps et reste sans sépulture au milieu de l'arène. Voilà mon vou, voilà le dernier cri que j'émets avec mon sang. Et vous, ò Tyriens, poursuivez de votre haine sa race et toute la suite de ses descendants; et donnez à mon ombre cette satisfaction. Jamais d'amitié, jamais d'alliance entre les deux peuples. Que de mes cendres sorte quelque vengeur qui par le fer et par la flamme poursuive les enfants de Dardanus, maintenant, plus tard et tant que la lutte sera possible. Rivages contre rivages, flots contre flots, armées contre armées, que les deux nations se combattent aujourd'hui et toujours!

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