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tiennent ces énormes rochers qui sont votre demeure, Eurus; qu'Éole donc commande fièrement dans ce palais et règne en cette prison où sont enfermés les vents. >>

Il dit et sa volonté soudain aplanit les vagues gonflées, dissipe les nuages amoncelės, ramène le soleil. Cymothoé et Triton, par leurs efforts réunis, dégagent les vaisseaux de l'arête des rochers; Neptune lui-même les soulève avec son trident, il leur ouvre les vastes syrtes et de son char léger effleure la surface des eaux. De même, lorsque dans une grande cité s'élève parfois une sédition et que la vile populace déchaîne ses fureurs, déjà les brandons et les pierres volent dans l'air, la rage arme les bras; mais qu'alors se montre un homme imposant par sa piété et par les services qu'il a rendus, on se tait, on prête l'oreille, on s'arrête; sa parole subjugue les esprits et adoucit les cœurs. Ainsi tomba tout le fracas des flots, dès que, jetant les yeux sur la mer, le dieu apparaît sous un ciel asséréné, lance ses coursiers et lâche les rênes à son char qui, sans obstacle, vole sur les eaux.

CCXV
(Tom. 1, p. 497.)

C'était l'heure où le premier sommeil commence pour les malheureux mortels et par un don des dieux répand en eux toutes ses douceurs. En songe voilà que devant moi il me semble voir apparaître Hector, accablé de tristesse, le visage inondé de larmes et tel que naguère il devint lorsque des coursiers le traînèrent, souillé de sang et de poussière, les pieds gonflés et percés par des courroies. Hélas! en quel état je le revoyais! Combien peu il ressemblait à cet Hector qui revenait couvert des dépouilles d'Achille ou fier d'avoir lancé les feux phrygiens sur les vaisseaux des Grecs! Il avait la barbe hérissée, les cheveux collés par un sang glacé, et portait sur son corps toutes les blessures reçues autour des murs de sa patrie. Il me semblait que moi-même, en pleurant, je parlais le premier au héros et dans ma dou

Compellare virum et mæstas expromere voces:

<< O lux Dardaniæ, spes o fidissima Teucrum,
Quæ tantæ tenuere moræ ? quibus, Hector, ab oris
Expectate venis? ut te post multa tuorum
Funera, post varios hominumque urbisque labores,
Defessi aspicimus! quæ causa indigna serenos
Fœdavit vultus! aut cur hæc vulnera cerno? »
Ille nihil, nec me quærentem vana moratur,
Sed graviter gemitus imo de pectore ducens :
<< Heu fuge, nate dea, teque his, ait, eripe flammis.
Hostis habet muros; ruit alto1 a culmine Troja.
Sat patriæ Priamoque datum: si Pergama dextra
Defendi possent, etiam hac defensa fuissent.
Sacra suosque tibi commendat Troja Penates*.
Hos cape fatorum comites, his moenia quære,
Magna pererrato statues quæ denique ponto. >>
Sic ait, et manibus vittas Vestamque potentem
Eternumque adytis effert penetralibus ignem.

Virg., Æn., II, v. 268-297.

CCXVI

Invasion du palais de Priam.

At domus interior gemitu miseroque tumultu
Miscetur, penitusque cavæ plangoribus ædes
Femineis ululant; ferit aurea sidera clamor.
Tum pavidæ tectis matres ingentibus errant
Amplexæque tenent postes atque oscula figunt.
Instat vi patria Pyrrhus; nec claustra neque ipsi
Custodes sufferre valent; labat ariete3 crebro

(1) Var.: alta.

(2) La légende grecque représentait Énée n'emportant d'llion que son père et le Palladium; mais Virgile relic la fable hellénique et troyenne aux traditions italiques en donnant cette origine asiatique au culte national de Vesta et des Pénates. Cf. Preller, Ræm. myth., p. 677 sq.

leur proférais ces mots : « O toi, la lumière de la Dardanie, le plus ferme espoir des Troyens, qui t'a retenu loin de nous si longtemps? De quels bords nous viens-tu, cher Hector, si vivement attendu ? Après le trépas d'un grand nombre des tiens, à la suite des maux qui ont assailli les Troyens et leur ville, nous sommes bien épuisés à l'heure où nous te revoyons. Mais quel outrage a subi ton noble front? Pourquoi ces plaies sanglantes que j'aperçois ? » Il ne répond rien et ne s'arrête pas à mes vaines questions; mais, tirant du fond de son cœur un douloureux soupir: «Ah! fuis, me dit-il, fils d'une déesse, et dérobe-toi à l'incendie qui commence. L'ennemi est en possession de nos murs; Troie tombe du faîte de sa grandeur; nous avons assez fait pour Priam et pour la patrie; si le bras d'un mortel avait pu sauver Pergame, le mien l'eût sauvé. Troie te recommande les objets de son culte et ses dieux Pénates; prendsles pour compagnons de tes destins; cherche leur un asile dans la grande cité que tu finiras par élever après avoir erré longtemps sur les mers. » Il dit et dans ses bras il emporte du sanctuaire la puissante Vesta avec ses bandelettes et son feu éternel.

CCXVI

(Tom. I, p. 408.)

Cependant à l'intérieur du palais tout n'est que gémissements et tumulte lamentable; dans la profondeur des voûtes sonores retentissent les cris perçants des femmes ; leurs clameurs montent jusqu'aux brillantes régions des astres. Alors les mères épouvantées courent par les vastes galeries, tiennent les portes embrassées, y impriment leurs baisers. Pyrrhus arrive avec l'impétuosité de son père, et ni les barrières, ni les gardes ne peuvent l'arrêter; sous les coups répétés du bélier les portes chancellent et tombent arrachées de leurs gonds. Le fer s'ouvre un chemin; les

(3) Ariete forme un dactyle, l'i devenant consonne.

Janua et emoti procumbunt cardine postes.
Fit via vi; rumpunt aditus primosque trucidant
Immissi Danai et late loca milite complent.
Non sic, aggeribus ruptis cum spumeus amnis
Exiit oppositasque evicit gurgite moles,

Fertur in arva furens cumulo camposque per omnes
Cum stabulis armenta trahit. Vidi ipse furentem
Cæde Neoptolemum geminosque in limine Atridas;
Vidi Hecubam centumque nurus Priamumque per aras
Sanguine fœdantem, quos ipse sacraverat, ignes.
Quinquaginta illi thalami, spes tanta' nepotum,
Barbarico postes auro spoliisque superbi
Procubuere; tenent Danai, qua deficit ignis.

Virg., En., II, v. 486-505.

CCXVII

Rencontre d'Énée et d'Andromaque.

Progredior portu, classes et litora linquens,
Sollemnes cum forte dapes et tristia dona,
Ante urbem in luco, falsi Simoentis3 ad undam,
Libabat cineri Andromache, Manesque vocabat
Hectoreum ad tumulum, viridi quem cæspite inanem'
Et geminas, causam lacrimis, sacraverat aras.
Ut me conspexit venientem et Troia circum
Arma amens vidit, magnis exterrita monstris,
Deriguit visu in medio, calor ossa reliquit.
Labitur, et longo vix tandem tempore fatur:
<< Verane te facies, verus mihi nuntius affers,

(1) Var.: magna.

(2) Bien qu'ici on traduise souvent barbarico auro comme s'il y avait Phrygio auro, j'aime mieux, avec Forbiger, Ladewig et Benoist, entendre par ces mots l'or enlevé par les Phrygiens aux barbares qu'ils ont vaincus, le mot qui suit, spoliis, semblant bien indiquer ce sens.

(3) Nom donné par Hélénus à un fleuve du pays pour y rappeler le souvenir de Troie.

(4) Le vrai tombeau d'llector était à Troie.

Grecs, dans leur élan, forcent l'entrée, massacrent ceux qu'ils rencontrent et remplissent de leurs armes tous ces lieux à la fois. Avec moins de violence, un fleuve écumant, qui a rompu ses digues et brisé par sa force toute résistance, porte dans la campagne la fureur de ses eaux amoncelées et entraîne à travers champs les troupeaux avec leurs étables. J'ai vu moi-même Néoptolème enivré de carnage et les deux Atrides sur le seuil du palais; j'ai vu Hécube et ses cent brus, et Priam devant les autels souillant de son sang les feux sacrés que de sa propre main il avait allumés. Ces cinquante chambres nuptiales, immense espérance de postérité, ces portes superbement enrichies de l'or pris sur les barbares et des dépouilles des vaincus, tout s'est écroulé; les Grecs occupent l'espace que n'atteint pas l'incendie.

CCXVII
(Tom. I, p. 414.)

Je m'éloigne du port, laissant ma flotte et le rivage. En ce moment même, il se fit que, devant la ville, dans un bois près des rives d'un faux Simoïs, Andromaque offrait à la cendre d'Hector les libations d'un de ces festins funèbres qu'on présente solennellement aux morts; elle invoquait les mânes près d'un tombeau vide, formé de vert gazon, qu'elle lui avait consacré ainsi que deux autels où sans cesse elle venait pleurer. Dès qu'elle me vit approcher et qu'elle reconnut autour de moi des armes troyennes, éperdue, épouvantée par cette étrange apparition, elle resta immobile les yeux fixés sur moi; son sang se glaça dans ses veines. Elle tombe défaillante, et longtemps après seulement elle prononce avec peine ces paroles: «Est-ce vous que je vois? Êtes-vous bien, en vérité, celui qu'annonce votre aspect, fils d'une déesse? Vivez-vous? Ou si la douce lumière du jour vous a été ravie, où est Hector? » Elle dit, fond en larmes et remplit l'endroit de ses gémissements. Ému de son désespoir, je puis à peine répondre, et, dans

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