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Tandis qu'ils s'étonnent et déplorent le sort de leurs voisins, voici que cette vieille cabane, si petite même pour ses deux maîtres, se change en temple; des colonnes remplacent les poteaux qui la soutenaient; le chaume prend la couleur de l'or; le toit a l'éclat du brillant métal; les portes s'ornent de ciselures et le sol se revêt de marbre. Alors le fils de Saturne, d'une voix pleine de bonté : « Dites-moi, toi, pieux vieillard, et toi, digne femme d'un tel mari, quels sont vos vœux. » Après avoir un instant consulté Baucis, Philemon fait connaître aux Immortels leur décision commune: << Être les prêtres et les gardiens de votre temple, voilà ce que nous demandons, et, comme nous avons passé nos années dans une union parfaite, puisse la même heure nous emporter ensemble; puissé-je ne point voir le bûcher de mon épouse et puisse-t-elle aussi ne pas avoir à m'ensevelir ! »

Leurs vœux furent exaucés. Ils restèrent gardiens du temple tant qu'ils vécurent. Affaiblis par de longues années, un jour qu'ils se tenaient devant les marches du temple dont ils racontaient l'histoire, Baucis vit tout à coup Philémon et Philémon vit Baucis se couvrir de feuillage. Déjà l'écorce s'élevant montait sur leurs visages que gagnait le froid de la mort; ils s'adressaient. tant qu'ils le purent, de tendres paroles. « Adieu! adieu! » dirent-ils ensemble en même temps que l'écorce leur ferma à tous deux la bouche.

Le pâtre de Dinies montre encore en ces lieux, l'un à côté de l'autre, les deux arbres formés de leurs corps. Le fait m'a été raconté par des vieillards dignes de foi et n'ayant aucun intérêt à mentir; moi-même j'ai vu les guirlandes suspendues aux branches et j'en ai posé de nouvelles en disant << Les hommes pieux sont chers aux dieux et, pour les avoir honorés, sont honorés à leur tour. »

CCCXXXI

Personnification de la Faim. Cérès, voulant punir l'impie Erisichton, charge une nymphe d'aller porter à celle déesse l'ordre d'infliger au coupable le supplice dont elle dispose.

Montani numinis unam

Talibus agrestem compellat Oreada dictis:

Est locus extremis Scythia glacialis in oris,
Triste solum, sterilis, sine fruge, sine arbore tellus:
Frigus iners illic habitant Pallorque Tremorque
Et jejuna Fames. Ea se in præcordia condat
Sacrilegi scelerata jube: nec copia rerum
Vincat eam, superetque meas certamine vires.
Neve viæ spatium te terreat, accipe currus,
Accipe, quos frenis alte moderere, dracones. >
Et dedit. Illa dato subvecta per aera curru
Devenit in Scythiam, rigidique cacumine montis,
(Caucason adpellant) serpentum colla levavit;
Quæsitamque Famem lapidoso vidit in agro
Unguibus et raras vellentem dentibus herbas.
Hirtus erat crinis, cava lumina, pallor in ore,
Labra incana situ, scabri rubigine dentes,
Dura cutis, per quam spectari viscera possent;
Ossa sub incurvis extabant arida lumbis;
Ventris erat pro ventre locus; pendere putares
Pectus, et a spinæ tantummodo crate teneri.
Auxerat articulos macies, genuumque tumebat
Orbis, et immodico prodibant tubere tali.

Hanc procul ut vidit, neque enim est accedere juxta
Ausa, refert mandata Deæ. Paulumque morata,

Quamquam aberat longe, quamquam modo venerat illuc,
Visa tamen sensisse famem! Retroque dracones
Egit in Hæmoniam, versis sublimis habenis.
Dicta Fames Cereris, quamvis contraria semper
Illius est operi, peragit, perque aera vento
Ad jussam delata domum est, et protinus intrat
Sacrilegi thalamos, altoque sopore solutum

CCCXXXI

(Tom. III, p. 173 et 199.)

Elle appelle une de ces divinités champêtres qui sous le nom d'Oréades habitent les monts et lui parle ainsi : « A l'extrémité de la Scythie couverte de glaces se trouve un lieu désolé où la terre stérile n'a jamais ni moissons ni arbres : c'est là qu'avec le Froid sans mouvement, la Pâleur etla Crainte, habite la Faim toujours à jeun. Dis-lui qu'elle aille se glisser dans le sein maudit du sacrilège, et que, sans céder à l'abondance, elle triomphe des forces qu'il tient de moi-même. Pour ne pas t'effrayer de la longueur du voyage, prends mon char, prends mes dragons que tu mèneras par le frein à travers les hautes régions du ciel. >> Elle les lui donne.Sur le char qu'elle a reçu, l'Oréade voyage par les airs, arrive en Scythie et sur la cime d'un mont escarpé qu'on appelle Caucase elle met au repos les dragons. Elle cherche la Faim et l'aperçoit dans un champ rempli de pierres, qui des ongles et des dents s'efforce d'y arracher quelques brins d'herbe. Ses cheveux sont hérissés; ses yeux, caves; son visage, pâle; ses lèvres, livides et nauséabondes; sa bouche. sale, avec les dents gâtées; à travers sa peau rude on pourrait voir ses entrailles; à la courbe des reins percent des os décharnés; en fait de ventre, elle n'en a que la place et vous diriez que sa poitrine est suspendue, retenue seulement par les côtes. La maigreur fait paraître énormes ses articulations; la rotule de ses genoux forme une saillie considérable, et la cheville de ses pieds sort démesurément.Sitôt que de loin la nymphe l'aperçoit, sans oser l'approcher, elle lui transmet l'ordre de la déesse. A peine reste-t-elle un instant, et bien qu'elle se tienne éloignée, bien qu'elle ne fasse qu'arriver, il lui a semblé déjà ressentir les atteintes de la faim! Elle fait reprendre aussitôt aux dragons le chemin de l'Hémonic, refaisant en sens inverse son voyage aérien. La Faim, qui sans cesse

(Noctis erat tempus) geminis amplectitur ulnis;
Seque viro inspirat, faucesque et pectus et ora
Adflat, et in vacuis spargit jejunia venis;
Functaque mandato fecundum deserit orbem,
Inque domos inopes, assucta revertitur antra.

Ov., Metam., VIII, v. 786-822.

CCCXXXII

La Renommée.

Orbe locus medio est inter terrasque fretumque
Cælestesque plagas, triplicis confinia mundi:
Unde, quod est usquam, quamvis regionibus absit,
Inspicitur, penetratque cavas vox omnis ad aures.
Fama tenet, summaque domum sibi legit in arce,
Innumerosque aditus ac mille foramina tectis
Addidit, et nullis inclusit limina portis.
Nocte dieque patet; tota est ex ære sonanti;
Tota fremit, vocesque refert, iteratque quod audit;
Nulla quies intus, nullaque silentia parte.

Nec tamen est clamor, sed parvæ murmura vocis ;
Qualia de pelagi, si quis procul audiat, undis
Esse solent; qualem ve sonum, quum Juppiter atras
Increpuit nubes, extrema tonitrua reddunt.
Atria turba tenet; veniunt leve vulgus, euntque;
Mixtaque cum veris passim commenta vagantur
Milia rumorum, confusaque verba volutant.
E quibus hi vacuas implent sermonibus aures.
Hi narrata ferunt alio, mensuraque ficti
Crescit, et auditis aliquid novus adjicit auctor.
Illic Credulitas, illic temerarius Error,
Vanaque Lætitia est, consternatique Timores,
Seditioque repens, dubioque auctore Susurri.

agit à l'opposé de Cérès, exécute cependant son ordre. Sur un tourbillon de vent elle se transporte dans l'espace au palais désigné, pénètre sans retard jusqu'à la couche de l'impie, et tandis qu'il est plongé dans un profond sommeil (car il faisait nuit), elle l'entoure de ses deux bras, pénètre en lui, remplit de son haleine sa bouche, sa gorge, sa poitrine, creuse et affame ses entrailles. Une fois sa mission remplie, elle quitte ce pays trop fertile pour elle et regagne son habitation sans ressources, son antre accoutumé.

CCCXXXII

(Tom. III, p. 179 et 199.)

Il est au centre du monde, entre les terres, les mers et les plaines célestes, aux confins des trois parties qui le composent, un lieu, d'où se voit ce qui s'y passe partout, si loin que ce soit, et où arrivent à des oreilles toujours attentives tout ce qui se dit. C'est le séjour de la Renommée; elle y a son palais sur le haut d'une montagne; l'entrée en a été facilitée par mille accès, mille ouvertures, sans qu'aucune porte en ferme les murs. Nuit et jour, il est ouvert; construit entièrement d'airain retentissant, il résonne de de toutes parts, réfléchit et répète les paroles et tous les bruits qui le frappent. Au dedans, jamais de repos, jamais de silence. Non pas qu'il s'y produise du fracas; c'est le bruit sourd d'un long murmure, comme celui des eaux de la mer entendues au loin ou celui des derniers roulements que fait entendre dans les nues obscurcies la foudre de Jupiter. Les portiques sont remplis de peuple; une multitude inconstante va et vient; et mille rumeurs imaginaires, mêlées à la vérité, ne cessent de circuler dans un bruissement continu de paroles confuses. De tous ces bruits les oreilles avides se repaissent; ils sont redits et portés ailleurs, et la part faite au mensonge va croissant, chacun ajoute à ce qu'il a entendu quelque invention nouvelle. Là sont la Crédulité, l'Erreur téméraire, la fausse Joie, la Crainte désordonnée, la Sédition aux mouvements sou

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