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CCCXIV

Sur la mort de Tibulle.

Memnona si mater, mater ploravit Achillem,
Et tangunt magnas tristia fata deas,
Flebilis indignos, Elegeia, solve capillos!
Ah! nimis ex vero nunc tibi nomen erit.
Ille tui vates operis, tua fama, Tibullus
Ardet in extructo, corpus inane, rogo.
Ecce puer Veneris fert eversamque pharetram
Et fractos arcus et sine luce facem.
Adspice demissis ut eat miserabilis alis,
Pectoraque infesta tundat aperta manu.
Excipiunt lacrimas sparsi per colla capilli,
Oraque singultu concutiente sonant,
Fratris in Æneæ sic illum funere dicunt
Egressum tectis, pulcher Iule, tuis.
Nec minus est confusa Venus, moriente Tibullo,
Quam juveni rupit cum ferus inguen aper.

At sacri vates et Divum cura vocamur:

Sunt etiam, qui nos numen habere putent.
Scilicet omne sacrum mors importuna profanat,
Omnibus obscuras injicit illa manus!

Quid pater Ismario, quid mater profuit Orpheo?
Carmine quid vietas obstupuisse feras?
Elinon in silvis idem pater, Ælinon, altis
Dicitur invita concinuisse lyra.

Adjice Mæoniden, a quo, ceu fonte perenni,
Vatum Pieriis ora rigantur aquis;

Hunc quoque summa dies nigro submersit Averno;
Diffugiunt avidos carmina sola rogos.

Durat opus vatum, Trojani fama laboris,

Tardaque nocturno tela retexta dolo:

Sic Nemesis longum, sic Delia nomen habebunt,
Altera cura recens, altera primus amor.

Ov., Am., III, 9, v. 1-32.

CCCXIV

(Tom. II, p. 75 et 81.)

Si la mère de Memnon, si la mère d'Achille a pleuré la mort d'un fils et si les coups du sort atteignent les plus grandes déesses, plaintive Élégie, laisse tomber aussi tes cheveux en désordre. Car jamais tu n'auras mieux mérité ton nom qu'aujourd'hui. Le poète que tu inspirais et qui fut ta gloire, Tibulle n'est plus qu'un corps inanimé que dévore la flamme du bûcher. Voici que vient le fils de Vénus, le carquois renversé, l'arc brisé, le flambeau éteint; vois comme il marche triste, les ailes basses, comme d'une main cruelle il se frappe la poitrine découverte; ses cheveux épars sur son cou s'inondent de ses larmes et de sa bouche par secousses s'échappent des sanglots bruyants. Tel, pour les funérailles de son frère Énée, il sortit, dit-on, de ton palais, charmant Iule. Et Vénus ne fut pas plus émue qu'à la mort de Tibulle lorsque le farouche sanglier déchira le flanc du jeune Adonis.

Cependant on nous dit, nous poètes, sacrés et chéris des dieux. Il en est même qui nous attribuent une nature divine. Seulement la mort impitoyable traite comme profane tout ce qui est sacré; elle étend sur tous sa main ténébreuse. Que servit à Orphée l'Ismarien son origine et paternelle et maternelle? Que lui servit d'avoir dompté et charmé par ses chants les animaux féroces? Linus eut le même père et Linus, au fond des forêts, fut, dit-on, amèrement pleuré sur la lyre du dieu. Ajoutez le chantre de Méonie dont le génie est comme une source intarissable à laquelle les poètes vont s'abreuver de l'eau des Muses; lui aussi il a eu son dernier jour qui l'a précipité dans les ténèbres de l'Averne. Les vers seuls échappent à l'avidité du bûcher. L'œuvre du poète est impérissable: on connaît toujours le siège de Troie et celle qui par une ruse nocturne retardait indéfiniment l'achèvement de sa toile. Ainsi se perpétueront et le nom de Némésis et celui de Délia, l'une, dernière amante de Tibulle, et l'autre, son premier

amour.

CCCXV

Partagé entre la haine et l'amour, Ovide sent qu'il ne pourra cesser d'aimer celle qui le trahil.

Luctantur pectusque leve in contraria tendunt
Hac amor, hac odium; sed, puto, vincit amor.
Odero, si potero; si non, invitus amabo:

Nec juga taurus amat; quæ tamen odit, habet.
Nequitiam fugio: fugientem forma reducit.

Aversor morum crimina, corpus amo.

Sic ego nec sine te nec tecum vivere possum,

Et videor voti nescius esse mei.

Aut formosa fores minus, aut minus improba, vellem:
Non facit ad mores tam bona forma malos.

Facta merent odium, facies exorat amorem :
Me miserum! vitiis plus valet illa suis!
Parce, per o lecti socialia jura, per omnes,
Qui dant fallendos se tibi sæpe, Deos,

Perque tuam faciem, magni mihi numinis instar,
Perque tuos oculos, qui rapuere meos!

Quidquid eris, mea semper eris; tu selige tantum,
Me quoque velle velis, anne coactus amem.
Lintea dem potius ventisque ferentibus utar,
Ut, quamvis nolim, cogar, amare velim1.

Ov., Am., III, 11, v. 33–52.

CCCXVI

Hypsipyle est renseignée par un hôte Thessalien sur les hauts faits

et la trahison de Jason.

Nuper ab Hæmoniis hospes mihi Thessalus oris
Venerat; et tactum vix bene limen erat,

<< Æsonides, dixi, quid agit meus! » Ille pudore
Hæsit, in opposita lumina fixus humo.

(1) La construction de ce dernier vers est pénible: ut gouverne velim et il faut sous-entendre si devant cogar auquel est subordonné quamvis nolim.

CCCXV

(Tom. III, p. 78 et 82.)

Je sens dans mon pauvre cœur tiré en sens divers lutter à la fois et la haine et l'amour; mais ce qui l'emporte, je pense, c'est l'amour. Je haïrai, si je puis; sinon, j'aimerai sans le vouloir: ainsi le taureau n'aime pas le joug, et bien qu'il le haïsse, il le porte. Je fuis ta perfidie et ta grâce me ramène vers toi; je hais les vices de ton âme, j'aime ton corps; ainsi je ne puis vivre ni avec toi ni sans toi, et je ne sais moi-même ce que je désire. Je voudrais que tu fusses ou moins belle ou moins perfide. Tant de beauté va mal avec ta méchante conduite; tes actes appellent la haine, tes charmes commandent l'amour, et malheureux que je suis! ceux-ci ont plus de pouvoir que tes défauts! Ah! pardonne-moi, je t'en conjure, par les droits de cette couche qui nous a unis, par tous les dieux qui souvent se prêtent à tes parjures, par ton visage qui pour moi est celui d'une puissante divinité, par tes beaux yeux qui ont captivé les miens! Quelle que tu sois, je t'aimerai toujours; choisis seulement si tu veux que je t'aime de bon cœur ou malgré moi. Allons, déployons les voiles, usons du vent qui nous porte, et puisqu'il faudrait aimer sans le vouloir, aimons de bon grė.

CCCXVI

(Tom. III, p. 99 et 126.) ·

Naguère, du côté de l'Hémonie, un hôte Thessalien était venu me visiter. A peine avait-il touché le seuil de ma demeure: Et le fils d'Eson, mon cher Jason, lui dis-je, que fait-il? » Lui confus, interdit, restait devant moi les yeux fixés sur la terre. Soudain je m'élançai et déchirant la tunique qui recouvrait ma poitrine : « Vit-il, m'écriai-je, et le destin réclame-t-il aussi ma mort?» — « Il vit !» dit-il,

Protinus exsilui, tunicisque a pectore ruptis,

« Vivit? an, exclamo, me quoque fata vocant? »
<<< Vivit », ait, timidumque mihi jurare coegi.
Vix mihi, teste Deo, credita vita tua est.
Utque animus rediit, tua facta requirere cœpi.
Narrat aënipedes Martis arasse boves;
Vipereos dentes in humum pro semine jactos,
Et subito natos arma tulisse viros;
Terrigenas populos, civili Marte peremptos,
Implesse ætatis fata diurna suæ.

Devictus serpens. Iterum, si vivat Iason,
Quærimus. Alternant spesque timorque fidem.
Singula dum narrat, studioque cursuque loquendi
Detegit ingenio vulnera nostra suo.

Heus! ubi pacta fides? ubi connubialia jura?

Faxque sub arsuros dignior ire rogos?

Ov., Her., VI, v. 23-42.

CCCXVII

Hermione rappelle la fuite de sa mère Hélène et se plaint de l'abandon dans lequel se sont passées son enfance et sa jeunesse.

Tyndaris, Idæo trans æquor ab hospite rapta,
Argolicas pro se vertit in arma manus.

Vix equidem memini; memini tamen: omnia luctus,
Omnia solliciti plena timoris erant.

Flebat avus, Phoebeque soror, fratresque gemelli;
Orabat superos Leda suumque Jovem.

Ipsa ego, non longos etiam nunc scissa capillos,
Clamabam: << Sine me, me sine, mater, abis! »....

Quæ mea cælestes injuria fecit iniquos?

Quod mihi, væ miseræ! sidus obesse querar!
Parva mea sine matre fui; pater arma ferebat:
Et, duo cum vivant, orba duobus eram.
Non tibi blanditias primis, mea mater, in annis
Incerto dictas ore puella tuli.

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