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santé, une vie de bonheur. Insensé que j'étais ! Le dieu me l'a refusé. Je cultiverai mes champs, me disais-je, et ma. Délie sera là pour surveiller les blés au magasin, quand, sur l'aire, on battra les gerbes en plein soleil; elle aura l'œil sur les mannes remplies de raisins et sur les vendangeurs qui d'un pied rapide écrasent et font couler le vin doux; elle s'accoutumera à compter les bêtes de mes troupeaux, à écouter le babil du jeune esclave qui, sans crainte d'une maîtresse si douce, viendra jouer dans ses bras ; elle saura offrir aux dieux des champs du raisin pour prix de la vendange, des épis pour la moisson, une victime en vue du troupeau. Qu'elle ait autorité sur tous, qu'elle s'occupe de tout; je me plairai à n'être rien dans la maison. Mon cher Messala y viendra; pour lui Délie cueillera sur les plus beaux arbres les meilleurs fruits, et, pleine de respect pour un si grand personnage, elle l'entourera de soins obligeants, lui servira elle-même un repas préparé de ses mains. Tels étaient mes rêves, vains souhaits qu'aujourd'hui l'Eurus et et le Notus dispersent sur les bords embaumés de l'Arménie!

CCLXXXII

(Tom. II, p. 459.)

Quel est celui qui le premier mit au jour l'horrible glaive? Comme il fut barbare et combien vraiment son cœur eut la dureté du fer! Alors le genre humain connut les meurtres et les combats; alors s'ouvrit un chemin plus rapide à la mort cruelle. Mais non, il ne fut coupable de rien nous-mêmes contre nous avons tourné l'arme qu'il nous donnait contre les bêtes sauvages. C'est le crime de l'or et de sa richesse: il n'y avait pas de guerres, lorsqu'une simple coupe de bois de hêtre servait aux repas. Point de citadelles, point de remparts; et le berger trouvait un paisible sommeil au milieu de ses nombreuses

:

Non arces, non vallus erat, somnumque petebat
Securus varias1 dux gregis inter oves.
Tunc mihi vita foret dulcis, nec tristia nossem
Arma, nec audissem corde micante tubam.
Nunc ad bella trahor, et jam quis forsitan hostis
Hæsura in nostro tela gerit latere.

Sed patrii servate Lares: aluistis et idem,
Cursarem vestros cum tener ante pedes.

Tibul., I, 10, v. 1-16.

CCLXXXIII

Tibulle se plaint des tourments que lui fait subir Némésis et de son avarice.

Hic mihi servitium video dominamque paratam :
Jam mihi, libertas illa paterna, vale.
Servitium sed triste datur. teneorque catenis,
Et nunquam misero vincla remittit Amor;
Et, seu quid merui, seu quid peccavimus, urit :
Uror, io! remove, sæva puella, faces.

O ego ne possim tales sentire dolores,

Quam mallem in gelidis montibus esse lapis,
Stare vel insanis cautes obnoxia ventis,

Naufraga quam vasti tunderet unda maris!
Nunc et amara dies, et noctis amarior umbra est,
Omnia nunc tristi tempora felle madent.
Nec prosunt elegi, nec carminis auctor Apollo :
Illa cava pretium flagitat usque manu.
Ite procul, Musæ, si non prodestis amanti :
Non ego vos, ut sint bella canenda, colo,
Nec refero Solisque vias, et qualis, ubi orbem
Complevit, versis Luna recurrit equis;
Ad dominam faciles aditus per carmina quæro :
Ite procul, Musæ, si nihil ista valent.

Tibul., II, 4, v. 1-20.

(1) Var.: saturas.

brebis. Alors la vie m'eût été douce; je n'eusse pas connu les armes sanglantes et mon cœur n'eût pas palpité aux accents de la trompette. Maintenant on m'entraîne à la guerre et déjà peut-être quelque ennemi porte le trait qui doit s'attacher à mon flanc. Mais vous, veillez sur moi, Lares paternels, vous qui m'avez nourri, lorsque, dans ma tendre enfance, je prenais mes ébats à vos pieds.

CCLXXXIII

(Tom. II, p. 471.)

Ici je trouve l'esclavage et une maîtresse qui veut m'imposer son joug; adieu, liberté que je tiens de mes pères ! Mais elle est dure sa servitude, je me suis mis aux fers et malheureux que je suis! jamais l'Amour ne détend mes liens. De quoi donc suis-je coupable? quel crime ai-je commis, pour brûler ainsi? Oui, je brûle! éloigne, beauté cruelle, tes torches ardentes. Oh! pour ne plus ressentir de telles douleurs, j'aimerais mieux être un roc sur les monts couverts de glaces ou une roche escarpée en butte à la fureur des vents et que battraient les flots immenses d'une mer fertile en naufrages. Mais le jour m'est amer et l'ombre de la nuit plus amère encore. Tous mes instants sont abreuvés de fiel noir. Et à rien ne me servent, ni mes vers, ni Apollon qui les inspire; c'est de l'or que me réclame sans cesse le creux de sa main. Éloignez-vous, Muses, puisque vous ne pouvez rien pour un amant. Si je vous invoque, ce n'est point pour chanter les combats; je ne décris pas non plus le cours du Soleil et je ne dis pas comment la Lune, dès qu'elle a complété son disque, mène son attelage en sens inverse; un accès facile auprès de ma maîtresse, voilà ce que je demande aux vers. Éloignezvous, Muses, s'ils n'ont aucun pouvoir.

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CCLXXXIV

Prophétie de la Sibylle à Énée.

Impiger Ænea, volitantis frater Amoris,
Troica qui profugis sacra vehis ratibus,
Jam tibi Laurentes assignat Juppiter agros,
Jam vocat errantes hospita terra Lares.
Illic sanctus eris, cum te veneranda Numici
Unda deum cælo miserit Indigetem.
Ecce super fessas volitat Victoria puppes;
Tandem ad Trojanos diva superba venit.
Ecce mihi lucent Rutulis incendia castris:
Jam tibi prædico, barbare Turne, necem.
Ante oculos Laurens castrum', murusque Lavini est,.
Albaque ab Ascanio condita Longa duce.
Te quoque jam video, Marti placitura sacerdos,
Ilia, Vestales deseruisse focos,

Concubitusque tuos furtim, vittasque jacentes,
Et cupidi ad ripas arma relicta dei.

Carpite nunc, tauri, de septem montibus herbas,
Dum licet hic magnæ jam locus urbis erit.
Roma, tuum nomen terris fatale regendis,
Qua sua de cælo prospicit arva Ceres,
Quaque patent ortus, et qua fluitantibus undis
Solis anhelantes abluit amnis equos.
Troja quidem tunc se mirabitur, et sibi dicet
Vos bene tam longa consuluisse via.

Vera cano: sic usque sacras innoxia laurus
Vescar, et æternum sit mihi virginitas.

CCLXXXV

Tibul., II, 5, v. 39-64.

Tibulle, ne pouvant vaincre son amour pour Némésis, se tuerait sans l'espérance qui lui promet un lendemain meilleur.

Castra peto, valeatque Venus, valeantque puellæ:
Et mihi sunt vires, et mihi facta tuba est,

(1) Non pas la ville latine de Laurente, mais le camp qu'Énée fortifia en

CCLXXXIV

(Tom. II, p. 475.)

Infatigable Énée, frère de l'Amour ailé, toi qui, sur tes vaisseaux fugitifs, emportes les dieux de Troie, dès maintenant Jupiter t'assigne les terres de Laurente, dès maintenant cette terre hospitalière attend tes Lares errants. Tu y seras l'objet d'un culte religieux lorsque les ondes vénérées du Numicius t'auront envoyé dans les cieux comme dieu indigète. Voilà qu'au-dessus de tes navires fatigués voltige la victoire et que la déesse superbe prend enfin parti pour les Troyens! Voilà que je vois luire l'incendie du camp des Rutules! Je te prédis, barbare Turnus, la mort qui t'attend. A mes yeux se présentent le camp laurentin, les murs de Lavinium et Albe-la-Longue fondée par Ascagne. Toi aussi, je te vois, prêtresse qui dois plaire à Mars, Ilia; je vois le foyer de Vesta délaissé par toi, ton hymen furtif, tes bandelettes à terre, et les armes du dieu amoureux laissées sur la rive. En ce moment, taureaux, paissez l'herbe des sept collines, tandis que vous le pouvez encore: c'est là que doit bientôt s'élever une grande ville. Rome, ton destin est de régner sur la terre, sur toutes les plaines fécondes que Cérès contemple du haut du ciel, depuis les pays d'Orient jusqu'aux ondes mobiles où se baignent les coursiers haletants du Soleil. Troie s'étonnera d'elle-même et se dira que par votre si long voyage vous l'avez bien servie. Mes oracles disent vrai: ainsi puissé-je, toujours sans reproche, me nourrir du laurier sacré et conserver à jamais ma virginité!

CCLXXXV

(Tom. II, p. 473.)

Je cours à la guerre, adieu Vénus, adieu les beautés! Moi aussi je suis fort; moi aussi la trompette m'appelle.

débarquant sur le rivage laurentin et que Virgile, au 1. X de l'Énéide, appelle Laurentia castra.

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