CCLXXVI (Tom. II, p. 378.) Délicat et circonspect dans l'emploi des termes, vous direz bien si une alliance ingénieuse fait d'un mot connu un mot nouveau. Devient-il parfois nécessaire d'exprimer par des termes neufs des idées encore ignorées, vous pourrez créer des mots que n'entendirent point les vieux Céthėgus; on vous accordera cette liberté, pourvu que vous en usiez avec réserve, et ces mots tout naissants, dès leur formation, auront du crédit s'ils viennent d'une source grecque et en dérivent discrètement. Quoi! les Romains accorderont à Cæcilius et à Plaute ce qu'ils refusent à Virgile et à Varius! Et moi, pourquoi donc, si je puis faire quelque acquisition, m'en envie-t-on l'honneur, lorsque le parler de Caton et d'Ennius a enrichi la langue de la patrie en y introduisant des expressions nouvelles? Il a toujours été et il sera toujours permis de mettre en circulation des mots frappés au coin du temps présent. Dans les bois qui, au déclin de l'année, se dépouillent de leurs feuilles, les premières venues tombent les premières; ainsi s'en vont les vieilles générations des mots, tandis que ceux qui viennent d'éclore ont la fraîcheur et la force de la jeunesse. Nous sommes voués à la mort, nous et nos œuvres. Que la mer, par un vrai travail de roi, s'établisse dans nos terres pour abriter nos flottes contre les aquilons; qu'un marais longtemps stérile et où pouvait se mouvoir la rame supporte le soc pesant de la charrue et alimente les villes voisines; qu'un fleuve change son cours funeste aux moissons en apprenant une route nouvelle, tous ces travaux des mortels périront; comment donc les expressions du langage resteraient-elles toujours en crédit, en faveur et en vie? Beaucoup de mots renaîtront qui déjà sont tombés, et d'autres tomberont qui maintenant sont en honneur, si le veut l'usage, ce seul arbitre, ce juge et ce maître régulateur de la langue. CCLXXVII Le poète dramatique, pour dépeindre ses personnages, doit tenir compte des mœurs propres à chaque ȧge. Tu, quid ego, et populus mecum desideret, audi. Hor., Ad Pis., v. 152-178. (1) Bentley propose à tort « spe lentus... pavidusque futuri. » Le caractère du vieillard est ici ce qu'il sera dans la fable de La Fontaine La mort et le mourant. CCLXXVII (Tom. II, p. 380.) Quant à vous, ce que je réclame et ce que le public réclame avec moi, je vais vous le dire. S'il vous faut l'approbation de spectateurs attentifs jusqu'à la fin et qui ne quittent pas leurs places avant que l'acteur n'ait dit : << Applaudissez ! » sachez marquer les mœurs propres à chaque âge et donner aux caractères, qui changent avec les années, les traits qui leur conviennent. L'enfant, dès qu'il sait parler et poser sur la terre son pied assuré, prend plaisir à jouer avec les autres enfants de son âge, entre en colère et se calme sans raison, change à tout instant. Le jeune homme sans barbe encore, qu'enfin ne suit plus un surveillant, fait ses délices des chevaux, des chiens, des exercices du poudreux Champ de Mars; maniable comme la cire pour se façonner au vice, rebelle aux avis, peu soucieux de l'utile, prodigue d'argent, visant haut, ardent dans ses désirs et prompt à délaisser ce qu'il a aimé. Tout autres sont les goûts de l'âge mûr: l'homme se ménage alors des ressources et des amis, devient esclave des honneurs et prend garde de commettre aucun acte sur lequel bientôt il lui faudrait à grand'peine travailler à revenir. Beaucoup de maux assiègent le vieillard; il amasse et, misérable, s'abstient de toucher à ce qu'il s'est acquis, craint d'en user, et puis, en toute affaire, il ne montre que timidité et froideur, temporise, aime le long espoir, n'agit pas, considère avidement l'avenir; difficile, grondeur, il vante le passé, le temps où il était jeune, il censure et blâme ceux qui sont moins vieux. Les années, quand elles viennent, apportent avec elles beaucoup d'avantages; elles nous en retirent, sur le retour, beaucoup aussi. Pour éviter de donner à un jeune homme le rôle d'un vieillard et à un enfant celui d'un homme mûr, attachons-nous toujours aux traits caractéristiques de chaque âge. CCLXXVIII Bienfaits que l'humanité doit à la poésie. Sic honor et nomen divinis vatibus atque Hor., Ad Pis., v. 391-407. CCLXXIX Préférence qu'un auteur doit donner à l'ami scrupuleux qui le censure sur le flatteur qui l'admire. Ut præco, ad merces turbam qui cogit emendas, a (1) Remissio oblectatio animorum per poesin scænicam in Dionysiis Tois nat' dypoús mense Posideone (s. Decembri) celebratis, quæ simul operum rusticorum finem faciebant. » Orelli-Mewes, p. 640. Cf. Hor., Ep., 1, 139 sqq. CCLXXVIII (Tom. II, p. 385.) Les hommes erraient dans les forêts lorsque, fils des dieux et leur interprète, Orphée les détourna du meurtre et de leur horrible manière de vivre. Voilà pourquoi l'on a dit qu'il apprivoisait les tigres et les lions pleins de rage. De même on a dit d'Amphion, qui éleva les remparts de Thèbes, qu'il faisait mouvoir les pierres aux sons de sa lyre et par le charme de ses accents les menait où il voulait. Ce fut alors le propre de la sagesse de distinguer l'intérêt public de l'intérêt privé, le sacré du profane, d'imposer des règles à l'union de l'homme et de la femme, d'instituer le mariage, de fortifier des villes, de graver sur le bois les premières lois : de là l'honneur et la gloire acquis aux chantres divins et à leurs vers. Ensuite le grand Homère et Tyrtée, par les leurs, animèrent aux combats de Mars les mâles courages. Les vers rendirent aussi les oracles, enseignèrent le chemin de la vie; on chercha par leur art à gagner la faveur des princes; on inventa les jeux scéniques, délassements de longs travaux. Ne rougissez donc pas de la lyre savante des Muses et des chants d'Apollon. CCLXXIX (Tom. II, p 386.) De même qu'un crieur public appelle la foule auprès des marchandises qu'il doit vendre, un poète, par l'appât du gain, fait accourir les flatteurs, quand il est riche en terres, riche en argent bien placé. Mais s'il est homme à offrir bonne chère, à répondre pour un pauvre sans crédit, à dégager un plaideur des difficultés d'un procès, je m'étonnerais qu'il pût, dans son bonheur, discerner le faux ami de l'ami véritable. Quant à vous, lorsque vous faites ou manifestez l'intention de faire un présent à quelqu'un, n'allez pas conduire votre obligé, tout plein de sa joie, droit en face de vers de votre composition; il s'écriera en effet : « Beau ! |