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des vallées, les antres sombres que rafraîchissent des eaux toujours nouvelles. Et quelle existence est plus fortunée, plus digne d'envie que celle de l'homme dont l'âme sans tache et la pensée sans reproche ignorent l'avidité des richesses, qui ne craint ni les tristes guerres, ni les funestes combats des flottes redoutables, qui ne va point, pour orner de dépouilles brillantes les temples sacrés des dieux ou pour dépasser dans son élévation les bornes de la puissance, offrir de lui-même sa tête aux coups de cruels ennemis. Le dieu qu'il adore, c'est la faux et non l'art qui l'a façonné; il a pour palais les bois, pour parfums d'Arabie les fleurs qui mêlent leurs mille couleurs à l'agreste verdure des herbes. Doux repos, volupté pure et libre, simplicité de soins, telle est sa vie. Ce qu'il veut, ce à quoi tendent toutes ses pensées, toute son ambition, c'estd'avoir sans fatigue le vivre, quel qu'il soit, en abondance, et de pouvoir, lorsqu'il en sent le besoin, livrer ses membres à la douceur du sommeil. O troupeaux! ô dieux Pans! ô délicieuses Tempés aux ombrages aimés des Hamadryades! simple est le culte que leur vouent les pâtres, tous émules du poète d'Ascra, et, le cœur tranquille, ils mènent une vie sans orage.

CXCVIII

(Tom. 1, p. 262).

La souveraine de l'empire azuré, l'épouse de Neptune, métamorphosa les déplorables membres de la jeune fille. Toutefois recouvrir la vierge d'une enveloppe d'écailles, lancer la frêle créature au milieu des poissons à la dent perfide, ne fut pas son dessein: trop grande est la voracité du troupeau d'Amphitrite. Elle aima mieux lui donner des ailes qui l'élevassent bien haut dans l'espace en sorte que la terre, en souvenir de son forfait, lui attribuât le nom de Ciris, Ciris plus belle que le cygne amycléen de Léda.

Ainsi que dans l'oeuf, blanc comme la neige, lorsqu'elle

Ciris Amyclæo formosior ansere Ledæ.

Hic velut in niveo, tenera est cum primitus, ovo
Effigies animantis et internodia membris
Imperfecta novo fluitant concreta calore:
Sic liquido Scyllæ circumfusum æquore corpus
Semiferi incertis etiam nunc partibus artus
Undique mutabant atque undique mutabantur.
Oris honos primum et multis optata labella
Et patulæ frontis species concrescere in unum
Cœpere et gracili mentum producere rostro.
Tum qua se medium capitis discrimen agebat,
Ecce repente velut patrios imitatus honores 1
Puniceam concussit apex in vertice cristam;
At mollis varios intexens pluma colores
Marmoreum volucri vestivit tegmine corpus,
Lentaque perpetuas fuderunt brachia pinnas.
Inde alias partes minioque infecta rubenti
Crura nova macies obduxit squalida pelle
Et pedibus teneris ungues adfixit acutos....
Quæ simul ut sese cano de gurgite velox
Cum sonitu ad cælum stridentibus extulit alis
Et multum late dispersit in æquora rorem :
Infelix virgo nequicquam a morte recepta
Incultum solis in rupibus exigit ævum,
Rupibus et scopulis et litoribus desertis.

Ciris, v. 482-507; 514-519.

CXCIX

Jardin de Simylus.

Hortus erat junctus casulæ, quem vimina pauca
Et calamo rediviva levi munibat arundo,
Exiguus spatio, variis sed fertilis herbis.
Nil illi deerat quod pauperis exigit usus:
Interdum locuples a paupere plura petebat.

(1) Le cheveu de pourpre de Nisus.

est toute frêle encore, l'ébauche de l'être et les imparfaits ligaments de ses membres flottent et s'agrègent par l'effet de la chaleur naissante, au milieu de la plaine liquide le corps de Scylla flottant et ses membres, mi-partie humains seulement et déjà de forme indécise, enfantaient et subissaient mille modifications. Ce visage charmant, aux lèvres qui ont provoqué tant de désirs, ce large et beau front commencent à se confondre; le menton s'allonge en un bec effilé. Alors, sur la ligne qui partage en deux le haut de la tête, voilà que paraît, comme pour rivaliser avec le signe paternel, une aigrette de pourpre dont la pointe s'agite au sommet. En même temps un moëlleux plumage, où se combinent toutes sortes de nuances, revêt de sa légère enveloppe l'albâtre du corps, et les bras avec souplesse s'étendent en larges ailes. Mais, par contre, sur les jambes affreusement colorées de rouge minium et maigres se colle une peau rugueuse, et aux pieds délicats s'attachent des griffes acérées... Sitôt que du sein de la vague blanchissante, rapide et sonore, elle a déployé vers les cieux ses ailes bruyantes, en en secouant au loin sur la mer l'abondante rosée, la malheureuse jeune fille, à qui rien ne sert d'avoir été ravie à la mort, s'en va traîner dans la solitude des rochers une vie sauvage, sur les rocs, les écueils et les grèves désertes.

CXCIX

(Tom. 1, p. 268).

A la chaumière attenait un jardin dont quelques plants d'osier et les tiges renaissantes de légers roseaux formaient le rempart, jardin peu spacieux, mais fertile en herbes diverses. Rien n'y manquait de ce que réclament les besoins du pauvre, et souvent le riche venait en demander des produits au pauvre Simylus. Il le cultivait à peu de frais, se réglant sur ses occupations: se trouvait-il retenu au logis

Nec sumptus erat illud opus, sed regula curæ1
Siquando vacuum casula pluviæve tenebant
Festave lux, si forte labor cessabat aratri,
Horti opus illud erat. Varias disponere plantas
Norat et occultæ committere semina terræ
Vicinosque apte cura submittere rivos.

Hic olus, hic late fundentes brachia betæ,
Fecundusque rumex malvæque inulæque virebant,
Hic siser et nomen capiti debentia porra,

2

Hic etiam nocuum capiti gelidumque papaver3,
Grataque nobilium requies lactuca ciborum,
Et gravis in latum dimissa cucurbita ventrem.
Verum hic non domini (quis enim contractior illo ?)
Sed populi proventus erat, nonisque diebus
Venales humero fasces portabat in urbem :
Inde domum cervice levis, gravis ære redibat,
Vix umquam urbani comitatus merce macelli,
Cepa rubens sectique famem domat area porri
Quæque trahunt acri vultus nasturtia morsu
Intibaque et Venerem revocans eruca morantem.
Moretum, v. 61-85.

CC

Apothéose de Daphnis.

Candidus insuetum miratur limen Olympi
Sub pedibusque videt nubes et sidera Daphnis.
Ergo alacris silvas et cetera rura voluptas
Panaque pastoresque tenet Dryadasque puellas.
Nec lupus insidias pecori, nec retia cervis

Ulla dolum meditantur: amat bonus otia Daphnis.
Ipsi lætitia voces ad sidera jactant

(1) Var. regula vitæ ou recula curæ.

(2) On distinguait le poireau capitatum du poireau sectivum. (3) Beaucoup d'éditeurs considèrent ce vers comme interpolé.

(4) Entre le vers qui finit par ciborum et celui qui commence par Et

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par le mauvais temps ou par quelque fête, les travaux agricoles étaient-ils suspendus, il travaillait à son jardin. Il savait planter toutes sortes de végétaux, confier des semences au sein de la terre, et leur ménager habilement l'eau des ruisseaux voisins. Là croissaient des légumes, la bette qui épand ses bras au loin, l'oseille féconde, la mauve et l'aunée; le chervis et le poireau qui doit son nom à sa tête; puis, le froid pavot qui trouble l'esprit; la laitue qui délasse agréablement des nobles festins, et la massive citrouille étendue sur son vaste ventre. Toutefois ce n'était pas pour le maître du jardin (qui mieux que lui savait se restreindre?), mais pour le public que tout cela poussait: tous les neuf jours, il portait à la ville, pour les vendre, une charge de légumes; il en revenait le dos léger, mais la bourse pesante, et ne rapportant guère de provisions achetées au marché de la cité. Pour dompter sa faim, il a recours à l'oignon rougeâtre, au poireau taillé, au cresson alénois dont l'âpreté crispe la bouche, à l'endive, à la roquette qui ranime Vénus languissante.

CC
(Tom. 1, p. 292).

Daphnis, tout brillant de lumière, contemple avec étonnement le palais nouveau pour lui de l'Olympe et voit sous ses pieds les nuages et les astres. Aussi une vive allégresse remplit les forêts et le reste des campagnes, et Pan, et les bergers et les jeunes Dryades. La brebis n'a plus à craindre les embûches du loup, ni le cerf la perfidie d'aucun filet: le bon Daphnis aime la paix. Les montagnes, couvertes de

gravis on donne parfois celui-ci : « Plurima surgit ibi crescitque in acumina radix »; mais les trois premiers mots ne se trouvent pas dans les manuscrits et la fin y figure sous des formes si diverses que je me suis abstenu de le reproduire.

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