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de choses qui n'existe plus. La majorité du comité n'a pas changé de principe en changeant d'avis. Quelques-uns regardent l'investiture comme nécessaire; mais ils pourront peut-être se consoler par la proposition de donner au roi la nomination pure et simple des officiers du ministère public. Si l'on veut savoir l'avis du comité d'une manière plus précise, on peut ajourner à demain pour lui donner le temps de se rassembler.

M. de Toulongeon. Quelle que puisse être la décision sur la question, il me paraît nécessaire d'arrêter préalablement si l'institution aura lieu pour les juges réélus ou continués.

M. Charles de Lameth. Cet amendement n'est pas de nature à être délibéré avant la question principale. Il tendrait à la préjuger; il a l'air d'être une petite consolation pour déterminer à accorder l'institution au roi.

M. de Cazalès. L'amendement de M. de Toulongeon me paraît parfaitement justě. Le roi n'a pas le droit de faire cesser les fonctions des juges; il ne l'avait pas dans l'ancien ordre des choses, et les fonctions d'un juge ne seront pas censées interrompues, s'il est continué.

M. d'André. L'amendement est hors de la question; il s'agit seulement de savoir si, quand le peuple aura élu un juge, le roi lui donnera une patente pour l'investir.

On propose d'ajourner à demain, et de renvoyer au comité de constitution la question principale de l'amendement.

On demande la question préalable sur cette proposition. M. de Mirabeau l'aîné. Il me paraît parfaitement inutile de renvoyer au comité ce qui est évident. Nous nous séparons sans connaître le point de la question. On s'est servi, tantôt du mot investiture, tantôt du mot institution; leur signification respective a besoin d'être déterminée. Le préopinant a énoncé la vériritable définition, en disant qu'il ne s'agit que de la patente qui rend notoire que le juge a été élu par des gens capables de l'élire. Si telle est la question, elle sera facilement résolue. La justice se rend au nom du roi; il n'y a nul doute que ce ne soit au prince à affirmer que tel homme a été légalement élu pour

rendre la justice au nom de lui, exécuteur suprême des volontés de la nation. Mais si par institution vous avez entendu le choix des juges, le droit de rejeter les juges nommés par le peuple, c'est une autre question, et j'en demande l'ajournement, parce qu'elle n'a pas été débattue.

M. de Cazalès. Il n'y a pas de doute sur la véritable question : elle est énoncée dans la série que vous avez décrété de suivre, elle est telle que vous l'avez posée en ouvrant la discussion. L'assemblée, en la décidant, ne sera pas liée sur les questions subséquentes.

Après quelques débats, et le refus obstiné de la partie droite de la salle, qui s'opposait à ce que l'ajournement fût mis aux voix, l'ajournement est prononcé.

La séance est levée. ]

La séance du 6 fut tout entière employée à discuter la manière de poser la question. Les débats furent longs et orageux, mêlés des interpellations les plus vives. Mais comme ils ne pourraient nous apprendre autre chose sur l'hostilité des deux côtés extrêmes de l'assemblée, que ce que nous savons déjà, nous avons cru devoir les supprimer. Ils furent fermés par l'adoption d'une motion de Beaumetz sur la position des questions.

SÉANCE DU 7 MAI.

[La discussion est ouverte sur les questions posées la veille par M. de Beaumetz, en ces termes : ‹ 1o Le roi aura-t-il le pouvoir de refuser son consentement à l'installation d'un juge élu par le peuple? 2o Les électeurs présenteront-ils plusieurs sujets pour qu'il choisisse entre les sujets proposés? 3o Le juge choisi par le peuple recevra-t-il du roi des patentes scellées du sceau national?

M. Roederer. La question peut être considérée sous deux points de vue, et ça été ainsi jusqu'à présent. On peut demander si le concours de la volonté du roi, pour la nomination des juges donnera à la nation de meilleurs juges que l'institution nationale sans

concours et sans partage : voilà le premier aspect de la question. On peut demander aussi si le concours du roi, pour la nomination des juges, est nécessaire à la constitution monarchique, et si le défaut de ce concours nous jetterait dans la démocratie. M. Barnave ne m'a laissé rien à dire sur le premier objet; j'ajouterai seulement qu'à l'époque d'une révolution qui laissera beaucoup de haines et de projets de vengeance, le concours des ministres et de ce qui les entoure, serait funeste dans l'élection des juges: nous n'aurions pas de juges populaires. Je passe au second objet; je l'examinerai succinctement.

On s'est élevé hier avec véhémence contre l'opinant qui a dit

que

le pouvoir judiciaire devait être séparé du pouvoir exécutif. On a cru voir dans cette opinion, le but de détruire la monarchie; on a cru avoir surpris le secret de quelques partisans cachés d'une démocratie outrée. On a dit qu'il eût été plus loyal, ou moins coupable, de ne pas tenir depuis long-temps ce secret enseyeli. Eh bien! cette opinion secrète, cette vue cachée et malfaisante d'un parti dissimulé, était celle de Montesquieu ; elle était réalisée dans nos usages et dans notre droit public; elle est daus la nature des choses.

Montesquieu n'a jamais confondu le pouvoir judiciaire avec le - pouvoir exécutif. Il y a, dit-il, trois pouvoirs dans tout gouvernement: le pouvoir législatif, le pouvoir exécutif, et le pouvoir judiciaire. Tout est perdu, dit-il ailleurs, quand le prince exerce luimême la justice. Nous ne devions pas nous attendre que l'on trouverait étrange dans un membre de cette assemblée, une distinction qui a été établie par un écrivain politique, qu'on oppose sans cesse aux opinions populaires.

Mais ce qui est bien plus étrange, c'est qu'on ait regardé, dénoncé comme une spoliation de l'autorité royale, l'indépendance absolue du pouvoir judiciaire. Cette indépendance a toujours été dans nos principes et dans nos usages. Jamais le roi n'a jugé; jamais le conseil n'a jugé; l'inamovibilité des juges a été substituée pour que les juges ne dépendissent pas du roi, et ne fussent pas soumis à son influence. Il est si vrai que les tribu

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naux n'ont jamais dépendu du roi, que M. de Lamoignon ou ses secrétaires, dans leur édit de la cour plénière, ont déclaré que les parlemens n'ayant jamais eu de juges, il était temps de leur en donner. M. l'abbé Maury n'aurait pas dù oublier cet édit. Ainsi donc, il est certain que dans nos usages le roi n'exerçait aucune influence sur les juges. La main de justice, a dit M. l'abbé Maury, a toujours été un des attributs de la royauté. Oui, et la balance de la justice a toujours été l'attribut des tribunaux. Rien n'explique mieux les vérités fondamentales que ces emblèmes ; car les tribunaux pèsent les droits du peuple, et le roi emploie la force de son bras à l'exécution des jugemens rendus par les tribunaux. Les rois ne peuvent juger; ils n'ont aucune des formes pour juger. Un arrêt du conseil n'a jamais pu être qu'un jugement de cassation, et à charge de renvoi devant un tribunal régulier et compétent. Une décision privée du roi, dans des intérêts privés, n'a jamais pu être qu'une lettre de cachet, et une letttre de cachet n'a jamais été qu'un jugement. Louis XII alla plusieurs fois prendre séance au parlement; mais ce fut pour y requérir, non pour y rendre la justice; pour y inspecter les juges, et non pour juger. Sous Louis XVI, de perfides ministres ont jugé; ils ont jugé des magistrats; ils les ont frappés dans le sanctuaire même de la justice: mais alors la main de justice a été une main de fer, un instrument de vengeance particulière dirigé par les plus vils subalternes.

La nature du pouvoir judiciaire justifie l'opinion de Montesquieu et les anciens usages de la monarchie. Le pouvoir judiciaire, le pouvoir d'appliquer les lois, est le plus voisin du pouvoir de les faire: il y touche de si près qu'il ne peut jamais être aliéné par le peuple. Le peuple n'a des lois que pour vivre à leur abri, et les lois ne peuvent servir d'abri aux hommes qu'autant qu'elles auront elles-mêmes des gardiens sûrs et incorruptibles, nommés immédiatement par le peuple, sans concours et sans partage. D'un autre côté, quand ce pouvoir pourrait faire partie du pouvoir exécutif, je penserais encore qu'il doit être séparé des autres branches de ce pouvoir. Et en effet, le grand principe

auquel il faut s'attacher invariablement, c'est que le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif ne doivent jamais être confondus : or, pour garantir que cette confusion n'aura jamais lieu, il faut absolument séparer le pouvoir du jugement du pouvoir des armes. La réunion de ces pouvoirs donnerait le moyen de détruire, et d'attirer sur la tête du prince le pouvoir législatif; car on peut en imposer aux hommes, et par l'action et par l'appareil de la force, et encore par l'action et l'appareil de la justice. Quand on peut aider toutes les ambitions, toutes les inimitiés, toutes les affections, par la justice qui s'applique à tous les droits et à tous les intérêts des hommes, on n'a qu'un pas à faire pour les priver de toute espèce de liberté. Ainsi, la nécessité de tenir le pouvoir législatif séparé du pouvoir exécutif, obligerait à séparer le pouvoir judiciaire de ce pouvoir exécutif, quand même il n'en différerait pas essentiellement. Ces principes posés, si l'on demande ce qui restera au roi dans les pouvoirs politiques nationaux, je répondrai : 1o que le roi aura non-seulement l'exécution des jugemens, mais encore le droit de surveiller les juges aux tribunaux, et de les citer devant la Cour suprême s'ils s'écartent de leur devoir; le droit d'y citer, par des officiers de son choix, composant le ministère public, tous les délits, tous lès attentats contre les propriétés et contre la liberté; 2o il aura la nomination aux emplois de notre armée fiscale, qui, malheureusement, sera long-temps encore très-nombreuse; il aura la nomination aux emplois de notre armée proprement dite; et ici j'observe que notre armée sera beaucoup plus sous la main du roi, et qu'ayant moins de nominations à faire, ces nominations auront une plus grande influence. Je répondrai en quatrième lieu que le roi est déjà chef suprême des corps administratifs ; que une municipalité, un district, entraient en insurrection, tout le département serait obligé, sur l'ordre du roi, de réprimer cette insurrection; que si un département entier s'élevait contre l'ordre public, le roi aurait la puissance nécessaire pour armer tous les départemens. S'il veut plus d'autorité, il aura une grande ressource à sa disposition : c'est l'amour de son peuple, qui ne

si

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