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Voilà les changemens sur lesquels on propose de délibérer en ce moment. Il s'agit d'une décision qui entraîne la plus étonnante révolution, si vous délibérez aujourd'hui. Vous ne nous avez pas entendus, et vous ne pouvez délibérer saus nous avoir entendus. Les assignats qu'on nous propose n'ont pour objet que les quatre cents millions dont vous avez décrété la vente nécessaire. C'était d'abord une grande question de savoir si vous aviez le droit de décréter une vente des biens du clergé jusqu'à la concurrence de quatre cents millions. Si vous avez le droit d'anéantir ainsi les hypothèques des créanciers du clergé, la propriété des citoyenscréanciers est-elle donc une chimère que les législateurs ont le droit de faire évanonir? Mais si vous voulez envahir les biens du clergé, vous n'envahirez pas les titres. Vous verrez alors les parties intéressées à la conservation des titres réclamer contre les acquéreurs vous ne pourrez enlever aux citoyens, aux pauvres ce qui fut donné au clergé pour ces pauvres et par les pères des pauvres. Il n'y a pas de meilleurs moyens, je le dis hautement, pour détruire le crédit des assignats, que de les livrer aux réclamations que doit suggérer à tous les citoyens l'invasion des biens du clergé. Lorsqu'il fut prouvé pour nous que le dépérissement des finances était à son comble, et què vous étiez déterminés à sacrifier le clergé, nous crâmes que le clergé ne devait pas moins faire toutes les offres possibles pour venir au secours de l'État. Nous proposàmes alors un emprunt : en adoptant notre offre, les assignats auraient obtenu ce que ne peut leur donner toute votre autorité; vous auriez fait cet emprunt par parties successives; ainsi il aurait été successivement rempli, ainsi vos besoins auraient été satisfaits, et les propriétés respectées. Quelle est la fatale pensée qui vous a fait perdre tous vos avantages? Vous avez rejeté nos propositions; cependant les besoins extraordinaires se sont accrus; les barrières ont été renversées; les commis repoussés; votre décret sur la contribution patriotique presque méconna; et il est impossible d'observer ici que la gabelle pouvait être supprimée, mais qu'elle aurait dû l'être avant que le peuple se fut accoutumé à ne pas payer. Le

peuple n'a pas payé la gabelle; il n'a pas payé les autres impôts; encore une fois, les besoins se sont accrus avec l'impossibilité de les faire évanouir. Vous avez tout perdu, voilà ce qui en arrive. Que doit-il en arriver? Le voici :

Le peuple ne peut supporter 133 millions d'impôts; il est impossible d'augmenter l'imposition ; il faut penser que tous les contribuables ne paient pas la dîme; on a dit qu'on vendait les biens du clergé, le peuple a cru que quelques besoins seraient éteints, ses espérances seront trompées; la dette publique sera la même, ou plutôt elle sera accrue, et vous mettrez sur le peuple une imposition de 133 millions. Vous ne mettrez pas cet impôt, parce qu'en y réfléchissant vous en sentirez toute l'impossibilité. L'assemblée nationale ne sera pas plus dure que ne l'avait été le gouvernement; elle sentira qu'il faut faire aimer l'autorité nationale, et vous savez que l'impôt est la véritable mesure du mécontentement ou de la satisfaction du peuple. La perception de cet impôt sera d'ailleurs difficile; la banqueroute sera la suite d'une opération par laquelle on veut éviter la banqueroute. Vous ne le mettrez pas cet impôt, et cependant vous aurez détruit les propriétés du clergé! réfléchissez bien sur toutes ces considérations, sentez-en toutes les conséquences. Que reste-t-il donc à faire? ce que vous serez obligés de faire. Vous emploierez les biens-fonds du clergé au lieu de les dissiper, vous décréterez un emprunt de 400 millions sur les biens du clergé; nous vous en renouvelons l'offre, et nous en garantissons le succès. Si malgré nos observations, vous voulez délibérer sur les articles du comité, je supplie tous ceux qui sont dans cette assemblée de se bien pénétrer de cette vérité, que nous sommes ici par nos commettans et pour eux; nous ne cherchons point à vaincre, nous cherchons à persuader, nous n'avons d'autres armes que celles de la persuasion. Je dirai comme un ancien évêque, vous pouvez nous ravir nos biens, nous ne vous les donnons pas....

Nous épuiserons, sans nous lasser de nos efforts, tous les moyens de conciliation qui sont en notre pouvoir. Eu voici un. Il faut distinguer les deux puissances; c'est la puissance de l'église

qui a consacré les vœux religieux, et c'est la puissance civile qui leur a donné des effets civils.... Ce que les deux puissances ont établi, sous un rapport commun entre elles, ne peut être changé ou détruit que par le concours des deux puissances. Il ne s'agit point d'un ordre, c'est de l'église qu'il s'agit. Les négocians, les créanciers, les familles s'assemblent pour stipuler sur leurs intérêts, et quand on a fait à l'église de France un grand procès, vous ne voudriez pas que les parties intéressées se rassemblassent pour concerter leurs moyens de défense, pour demander ce que les lois leur ont donné. Les lois sont donc des crimes, si c'est un crime de réclamer les lois. Je parle, non pour le petit nombre d'ecclésiastiques qui se trouvent dans cette assemblée; mais pour tous les ecclésiastiques, mais pour les administrateurs de propriétés ecclésiastiques.... Voici nos offres et nos demandes.

1° Nous renouvelons l'offre solennelle d'un emprunt de 400 millions, lequel serait autorisé, garanti, décrété et levé par l'assemblée nationale, hypothéqué sur le clergé, qui en pajerait les intérêts, et rembourserait le capital par des ventes progressives, faites suivant les formes canoniques et civiles. Je remarque que ces ventes seraient indépendantes des ventes du domaine; ce qui ferait une ressource de 550 ou 600 millions.

2o Nous demandons qu'il soit décrété qu'il n'y a pas lieu à délibérer sur les articles proposés.

3o Et dans le cas où en délibérant, ces articles seraient adoptés, nous demandons la convocation d'un comité national, et qu'il nous soit donné acte de la déclaration que nous faisons de ne pouvoir participer en rien à ce décret; nous réservant de réclamer, pour les droits de la puissance ecclésiastique, suivant les conciles, les canons et les lois de l'église gallicane.

On demande l'impression du discours de M. l'archevêque d'Aix. M. Muguet de Nanthou. Comme le discours contient à la fin une sorte de protestation, il serait contraire aux principes de l'assemblée qu'elle consacrât, pour ainsi dire, cette protestation par 'une décision.

On demande la question préalable sur l'impression. L'as

semblée décide à une très-faible majorité qu'il n'y a pas lieu à délibérer.

M. le président annonce l'envoi fait par le ministre de la guerre, d'un projet d'organisation de l'armée.

Ce projet est renvoyé au comité militaire.

M. Thouret. Le temps se consume en longs débats, tantôt en plaintes plutôt qu'en raisons, tantôt en exposition systématique de ce qu'on croit que nous aurions dû faire pour nous écarter de ce qui est à faire; tantôt on offre, au nom d'un corps qui n'existe plus, au nom d'individus qui ne sont pas rassemblés, ou n'ont pas de pouvoir pour offrir ; cependant le temps est précieux : quand on a discuté, il faut opiner; pour opiner, il faut se rallier à des points fondamentaux. Aussi ne perdrai-je pas à suivre le préopinant, le temps que vous m'accordez et que demande la chose publique. Sans doute nous avons à traiter un sujet important, quand il s'agit pour la nation d'exercer ses droits. Les droits de la nation sur des biens qui n'étaient qu'un mode préféré, pour acquitter les frais du culte, sont-ils reconnus? Qui, ces droits sont reconnus. Les biens dont il s'agit sont à la nation, par un décret publié, applaudi et accueilli partout. Ce décret est, au moment où je parle, une loi de l'Etat, sanctionnée par l'opinion publique. Eloignons toute distinction subtile; rien ne peut faire que celui à qui appartient la disposition ne puisse pas disposer; il faut donc exécuter le décret du 2 novembre. Veut-on argumenter de la propriété? Mais les ecclésiastiques ne la demandent pas ; ils disent que la propriété appartient aux églises : nul droit ne sera blessé, quand la nation administrera pour les églises. Séparons dans cette dispute l'intérêt de la religion de l'intérêt de ses ministres. C'est la religion qui doit être arbitre entre eux et la nation; c'est elle qui a fixé leurs devoirs envers nous et nos devoirs envers eux. Quand la religion les a envoyés dans la société, leur a-t-elle dit : « Allez, prospérez, acquérez?» Non; elle leur a dit : « Prêchez ma morale et mes principes. Quand il a fallu assurer leur subsistance, elle a dit ce seul mot: Il est juste que le prêtre vive de l'autel. Et nous, nous avons dit, par une version exacte de

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ce mot: Il faut que le fonctionnaire public vive de ses fonctions. A-t-elle ordonné, a-t-elle déclaré que la jouissance des propriétés foncières était essentielle à la religion, au culte, aux ministres? Nul texte sacré ne le dit; cela répugne à la nature du sacerdoce. Si la religion est désintéressée, qui peut donc nous arrêter? Est-ce l'abus ou l'illusion du mot propriété? Mais ce point est aussi décrété ; car si le ministre était propriétaire, vous n'auriez pas décrété que les biens ecclésiastiques sont à la disposition de la nation. On ne peut pas dire que la propriété appartient aux églises; elle appartient au service qui se fait dans les églises; ce service est un service public. A qui appartient le service public? Au public, à la nation. Voici donc notre position: le clergé doit vivre de l'autel ; il a été salarié en biens-fonds; si le culte est rempli, si le clergé vit de l'autel, que ce soit, ou par un salaire pécuniaire, ou par une jouissance de propriété foncière, le devoir que nous imposait la religion est également rempli. Comme propriété publique, les biens ecclésiastiques sont toujours soumis au retrait public pour les grands besoins de la nation. Ce retrait est de fait; le fait prouve ici le principe, et l'exercice du droit concourt à établir le droit. Nous avons décrété la vente de 400 millions. Ou la nation a droit au tout, ou elle n'avait pas droit à la partie..... Eh bien! il faut agir. Peut-il y avoir un moment plus pressant? Y eut-il jamais une assemblée nationale revêtue d'un plus grand caractère?........... Je conclus, et je dis : qu'on ne fait point d'injustice au clergé en le salariant d'une manière pécuniaire et suffisante; le salut public l'exige, la nation en a le droit. Voyez maintenant et opinez; opinez pour le salut des principes, pour le salut du peuple. Ce décret, n'en doutez pas, vous assurera les bénédictions du pauvre au dedans, et au dehors l'admiration des nations.

M. l'abbé de Montesquiou. S'il a jamais été permis d'éprouver un sentiment pénible, en paraissant dans cette tribune, c'est sans doute lorsque, appelés à stipuler sur les plus grands intérêts, sur ce qui peut compromettre la religion et le respect dû aux propriétés, on aperçoit dans sa position particulière la défaveur de

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