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IX. Etablira-t-on un comité pour assortir les lois civiles et criminelles à la constitution?

M. Brostaret. J'adopte en général les principes de M. Duport; j'aurai peu de chose à y ajouter.... Le comité vous a proposé des institutions très-rapprochées de l'ancien ordre; par exemple, il établit un corps électoral, c'est-à-dire, un corps de gens de robe dans lequel seul on prendrait les juges. Les gens de robe n'ont pas toujours existé parmi nous. (M. Brostaret entre dans des détails historiques sur l'origine des gens de robe, qu'il représente comme la source de la complication énorme de notre législation.) Les bases principales du plan du comité paraissent être l'amovibilité des juges, et leur nomination sur des listes données au roi... On n'a pas encore observé que le comité commence par ce qui regarde le civil, et qu'il semble repousser assez loin ˆce qui concerne le criminel. Je demande si dans un moment de trouble, si dans un moment où la nation a besoin de juges intègres, il ne serait pas plus important d'organiser la partie criminelle? Elle est la plus facile à établir; les jurés la simplifieront encore. Si l'on était obligé de conserver ou de maintenir quelque temps les tribunaux tels qu'ils sont, les jurés feraient disparaître tous les dangers de ces tribunaux, dont on redoute les principes et les antiques préjugés. Leur établissement serait extrêmement facile; tout citoyen pourrait à l'instant même remplir ces utiles fonctions; le juge dirait au juré : voilà un homme que l'on accuse, voilà le fait qu'on lui reproche, voilà la loi qui s'applique à ce fait, voilà la peine que prononce la loi..... Ainsi, nul ne serait mal jugé. Vous vous épargnerez la peine que vous allez prendre pour essayer de perfectionner le travail de peu de jours sur la réforme de l'instruction en matière criminelle, si vous chargez dès à présent un comité de s'occuper des moyens de réaliser cette idée.

M. Goupil de Préfeln. C'est avec bien de la raison que Montesquieu a dit: Le pouvoir de juger est un pouvoir terrible entre les hommes. Une nation qui veut être libre, doit prendre de grandes précautions. Quand vous méditerez cette matière, vous serez

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bientôt convaincus que la distinction du fait et du droit, et la décision de l'un et de l'autre, confiée à des juges différens, sont les moyens les plus efficaces pour assurer le bonheur et la liberté du peuple. On vous a dit cependant que cette distinction était impossible. Combien serions-nous malheureux! Il s'ensuivrait que nous serions livrés au despotisme des légistes et à l'aristocratie thémisque, la plus dangereuse de toutes les aristocraties. Que le jurisconsulte qui a mis en avant cette impossibilité se rappelle la manière dont il procédait lui-même. Cette distinction est l'opération que doit faire, soit le magistrat qui veut rendre un jugement équitable, soit le jurisconsulte qui veut donner un bon conseil.

Quand les Romains firent la conquête des Gaules, ils y trouvèrent le germe du gouvernement municipal; cette forme de gouvernement est un des grands pas que les hommes aient jamais faits vers la perfection sociale. De là résulta l'établissement des jurés, puisque les citoyens étaient assesseurs des magistrats. Dans des temps plus rapprochés de nous, de braves aventuriers, venus du nord, ces hommes aussi sages qu'intrépides, établirent dans la province de Normandie les plus heureuses institutions : l'une d'elle fut le jugement par jurés, qu'un de ses ducs porta ensuite en Angleterre lorsqu'il en fit la conquête. Mais, dira-t-on, cette institution est abolie, parce que sans doute on en a reconnu les inconvéniens on dira mal. Hugues-Capet monté sur le trône, se trouvant le chef honoraire d'un royaume démembré et presque sans territoire, conçut le noble projet de rendre à la monarchie sa première unité, son premier ensemble. Il fallait dépouiller les grands féodaux, il fallait opposer des corps à des corps, des juges permanens à des ennemis permanens : alors le système judiciaire fut imaginé, et les grands tribunaux furent créés. Ainsi la méthode des jugemens par jurés n'a point été oubliée, parce qu'on la trouvait abusive; mais elle a cédé à un nouvel ordre de choses nécessaires pour exécuter un grand plan.... C'est pour soustraire l'homme à l'empire de l'homme qu'il faut le soumettre à l'empire de la loi. Quel est le juge qui, après avoir rendu un jugement, sort content de lui-même, en paix avec sa conscience?

Quand il n'existera plus rien d'arbitraire, quand le fait et le droit auront été distingués, il sera calme, il sera sûr qu'il aura jugé avec justice.... Je conclus à ce que le plan de M. Duport obtienne la priorité pour être mis à la discussion, sauf les amendemens.

M. Garat l'aîné. Avant de décider auquel des trois plans qui vous ont été proposés, vous accorderez la priorité, je persiste à demander que la discussion soit fermée, et qu'on attende, pour prononcer, que les trois plans aient été imprimés, médités et connus. Je crois que ce moyen est le seul pour obtenir un jugement sain et avantageux à la chose publique. J'adopterais cependant préalablement la série de questions proposées par M. Barrère de Vieuzac; car il ne suffit pas de savoir auquel des plans vous accorderez la priorité, mais il faut savoir si celui auquel vous l'accorderez sera praticable.

M. de Crillon demande aussi que l'ordre de travail proposé par M. Barrère de Vieuzac, soit adopté.

M. Desmeuniers. Avant de mettre aux voix l'ordre de travail proposé par M. Barrère de Vieuzac, je prie cet orateur de considérer que sa première question ne doit pas être posée ainsi qu'il l'a lui-même demandé : Établira-t-on, ou n'établira-t-on pas des jurés? car il paraît que tout le monde est d'accord sur la nécessité d'en établir; mais il faut savoir auparavant s'il est possible d'en établir dès à présent. Je demande donc qu'on ajoute à la question ces mots, dès à présent. Votre comité ne l'a pas cru possible; et puisque j'ai la parole, je vais vous offrir quelques-unes des réflexions qui ont déterminé son opinion. (On interrompt l'orateur, en criant que ce n'est pas le moment d'offrir ses réflexions.)

M. Barrère de Vieuzac.. C'est un principe constitutionnel qu'il s'agit de décréter en ce moment. Quand on aura décidé s'il y aura ou non des jurés, on discutera les moyens de les établir : par exemple, on cherchera, comme je l'ai posé dans une de mes questions, à déterminer si l'on peut, dès à présent, les établir en matière criminelle, comme le pensent beaucoup de gens, et pas encore en matière civile, comme le pensent encore beaucoup

de gens.

On demande d'aller aux voix.

L'ordre de travail proposé par M. Barrère de Vieuzac est relu et adopté.

Le cours de ces débats fut assez irrégulièrement suivi; ce n'est pas que les questions accidentelles fussent moins nombreuses, mais les séances du soir leur avaient été spécialement consacrées. Ce fut dans une de ces séances, le 13 au soir, que Castellane vint, pour la seconde fois, demander que l'on prît un parti sur les détenus par lettres-de-cachet, et présenter un projet en plusieurs articles sur ce sujet. Le premier ordonnait que dans six semaines, toutes les personnes détenues sans jugement préalable, seraient mises en liberté. Aussitôt l'abbé Maury courut à la tribune.

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Messieurs, dit-il, nous sommes placés entre deux grands intérêts: celui de la liberté, qui doit s'étendre également sur tout; celui de la société, qui ne doit jamais être troublé. Le premier article qui est soumis à notre discussion, ne regarde, ne parle que des condamnés, des décrétés et des fous. Il est évident que ce premier article, qui semble d'abord mettre à couvert la liberté publique, ne serait très-souvent qu'illusoire, car il accorde la liberté à des hommes coupables, peut-être, des plus grands forfaits. Nous commençons nos opérations par où nous devrions les finir. Organisons d'abord le pouvoir judiciaire et les tribunaux; il sera beau ensuite d'appeler à la liberté tous ceux qui pourront en jouir sans blesser les intérêts de la société. Quand bien même leur détention actuelle serait injuste, c'est un sacrifice qu'ils doivent faire à la société. S'il existe des innocens dans les prisons d'Etat, n'y a-t-il pas aussi un bien plus grand nombre de personnes accusées sans preuves? A la vérité, ce sont des maris qui ont empoisonné leurs femmes, des fils qui ont empoisonné leurs pères. Il n'existe aucune accusation légale contre ces personnes; les rendrez-vous pour cela à la société? Je ne conclus pas cependant que leur captivité doive être éternelle, mais seulement qu'il ne faut s'occuper de ces individus qu'après avoir

réglé l'intérêt général; et il ne peut exister dans la nation de volonté générale, s'il n'existe pas de loi. Touché du malheur d'être privé de la liberté, j'opine avec douleur, mais pénétré du sentiment profond de l'intérêt public, à ce que nous nous occupions d'abord de la confection des lois; aussitôt qu'elles seront faites, qu'il soit permis aux prisonniers d'invoquer la justice ordinaire. Celui qui ne l'invoquera pas doit rester dans les prisons; son silence prouvera qn'on peut l'y laisser sans injustice.

M. de Robespierre. En me bornant au premier article soumis à votre discussion, j'observe que c'est sur le sort des personnes qui ne sont accusées d'aucun crime que nous avons à prononcer. Nous ne favoriserons pas, sans doute, ces actes de despotisme; des législateurs n'ont autre chose à faire que d'anéantir ces abus. Comment les anéantir s'ils laissent gémir ceux qui sont dans l'oppression? En vertu de quoi ont-ils été privés de leur liberté? En vertu d'un acte illégal. Ne serait-ce pas consacrer cet acte illégal que d'ordonner des délais? Si quelque chose peut nous affecter, c'est le regret de siéger depuis dix mois, sans avoir encore prononcé la liberté de ces malheureux, victimes d'un pouvoir arbitraire. L'assemblée sera, sans doute, étonnée de voir que, lorsqu'il est question de la cause de l'innocence, on lui parle sans cesse, non pas de ces infortunés détenus, souvent pour leurs vertus, pour avoir laissé échapper quelques preuves d'énergie et de patriotisme; mais qu'on fixe son attention sur des hommes emprisonnés à la sollicitation des familles. Vous n'avez pas, sans doute, oublié cette maxime: Il vaut mieux faire grâce à cent coupables, que punir un seul innocent. Je propose pour amendement au premier article que tous ceux qui seront détenus seront mis en liberté le jour même de la publication du présent décret, et que dans huit jours votre décret sera publié. ›

Telle n'était pas l'intention du côté droit. Pour défendre l'effet des lettres-de-cachet, il attaqua l'institution du comité des recherches, et demanda en quelque sorte la suppression de celui-ci pour prix de l'abolition de l'autre. Non, s'écria Chapelier, il faut que le comité soit conservé pour répandre parmi les mal

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