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... Quand une bouche adorée
Murmure à l'oreille enivrée

Les doux noms de gloire et d'amour.

Quand dans les yeux d'une maitresse
On lit l'enivrante promesse

D'un siècle de gloire et d'amour...

Cette bouche, cette oreille, ces yeux, tous ces détails faisaient naître des visions trop précises de femme. Le poète les atténua d'abord, puis, trouvant que la strophe conservait encore trop de couleur, il la sacrifia complètement. Un peu plus loin, et pour les mêmes raisons il a supprimé « les couples d'amants fortunes », les doux baisers de nos amantes et, dans la strophe VI, après avoir écrit deux fois

2

La beauté crédule ou volage
Vola dans nos bras entr'ouverts,
Tomba dans nos bras entr'ouverts,

il n'a pas fait grâce à ce dernier vers, si joliment xvin siècle, mais un peu trop évocateur.

Nous surprendrons des tendances analogues dans la genèse du paysage lamartinien. Notons immédiatement que le paysage sort ici tout entier d'une pensée : Avant d'avoir vu « la colline où le voyageur s'arrête », le poète a senti le moment où il faut s'arrêter dans la vie ». Il commence un tableau de la campagne à l'heure de midi :

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C'est l'heure où sous le doux ombrage...

mais les vers descriptifs restent inachevés, il laisse des « blancs » dans sa strophe et va droit aux derniers vers, à ceux qui traduisent le paysage en formules sentimentales et qui l'élargissent en symbole :

Et c'est l'heure où l'âme qui pense
Se retourne, et voit l'Espérance
Qui l'abandonne en son chemin.

1. Variante du manuscrit pour la strophe VII.
2. Variante du manuscrit pour la strophe VIII.

3. Il va sans dire que cette étude du paysage lamartinien ne saurait valoir que pour les Méditations. Il n'y a pas que des paysages intérieurs chez Lamartine. Il a connu vers le tard, - mais il a connu le paysage pittoresque ». Sur cette transformation du paysage lamartinien, cf. une de mes leçons sur loppement de l'inspiration chez Lamartine (Revue des Cours et Conférences, 10 novembre 1904).

4. Lettre à Virieu du 30 août 1821.

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le déve

Ces vers sont les derniers de la strophe; dans la réalité psychologique ils en sont les premiers: ce sont eux qui ont fait surgir le paysage et qui en expliquent la disposition'. Mais pour peindre ce paysage symbolique, qui baigne dans la pensée et le sentiment comme dans un ciel, il faut procéder, si l'on ose ainsi dire, à des estompages de formes et à des lavages de couleur; il faut, en effet, que l'œil ne se laisse pas distraire par un dessin trop net ou par des tons trop vifs, mais que l'esprit puisse s'abandonner tout entier a la suggestion du symbole, qui se dégage des grandes lignes simplifiées. Reprenons le tableautin rustique de la deuxième strophe. Certaines images familières se présentent à l'esprit du poète : les attelages de « taureaux domestiques » le « bouvier » et son aiguillon, le voyageur trempé de « sueur » sur la route ensoleillée. Enote ces images dans ses vers d'essai. A la reprise, tous ces details lui semblent trop particuliers le bouvier et les taureaux disparaissent, le voyageur ne sue plus. En revoyant dans ses Souvenirs la petite île de Nisida, il écrit d'abord :

Combien de fois sur les rivages

Où Nisida brise les mers...

C'était ru; il retouche; et voici, qui est senti:

Combien de fois près du rivage

Où Nisida dort sur les mers 2...

Il regarde le fleuve qui « s'épanche parmi des coteaux »; en Coulant devant lui, le fleuve prend une âme et devient « épris de ses coteaux. Il se rappelle « la lune amie >> protégeant ses erreurs amoureuses; mais il la sent bientôt si « amie », qu'il en fait une déesse amie »

Jetant sur la vague endormie
Le voile parfumé des nuits".

Ce paysage, ainsi atténué, estompé et humanisé, n'est plus qu'une Vision morale. Les vents qui y soufflent et les torrents qui y lent sont moins des forces de la nature que des pensées errantes: Pestle flot des années » et c'est « le souffle des jours ». Le

1. C. la premiere rédaction manuscrite de la strophe II (vol. III, fo 31).

Correction de la strophe VII.

. Correction de la strophe XIII.

4. Correction de la strophe VII. Dans cette même strophe, l'onde est devenue trast-ente, de caressante qu'elle était, pour éviter une rime trop pauvre.

1 Strophe XVII.

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Res. D'RIST, LITTER. DE LA FRANCE (12° Ann.). - XII.

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laboureur qui y creuse le sillon, le voyageur qui y gravit le chemin de la colline, n'est plus un laboureur ou un voyageur de rencontre le sillon, c'est le sillon de la journée humaine; le voyageur, c'est l'éternel voyageur de l'éternel chemin : le chemin de la vie. Alors dans cette nature spiritualisée, il ne reste plus que quelques grandes images symboliques, qui trouvent leur grandeur même dans leur irréalité : les hommes rêvant assis à l'ombre des tombeaux',

Ou semant de leurs mains tardives
Leurs espérances fugitives 2;

<< la douleur et le remords germant sur les traces» de nos pas. Quelques mots incolores et doux, repris avec la monotonie d'un refrain, les mots d'a onde », de « flots », de « vents », de « souffle », d'eaux courantes »>, rendues plus courantes encore par la profusion des rimes féminines, - achèvent de donner au paysage quelque chose d'instable et de flottant. Sur cette instabilité imprécise dort une demi-lumière confuse, dont on ne saurait dire si elle est faite de soleil couchant, d'étoile matutinale ou de lune « adoucie ». A vouloir d'ailleurs trop minutieusement l'analyser, l'incohérence de ce paysage apparaîtrait manifeste. « Arrêtons-nous sur la colline», dit le poète en commençant,

Arrêtons-nous sur la colline

A l'heure où, partageant les jours,
L'astre du matin qui décline,
Semble précipiter son cours.

Et pour finir :

Levons les yeux vers la colline

Où luit l'étoile du matin!

Mais cette incohérence du paysage est toute superficielle. L'effet général n'est pas désharmonique parce que, de la première strophe à la dix-neuvième, l'évolution des sentiments a préparé le renouvellement du décor. L'ensemble, dans sa fluidité légère, offre une traduction subtile de cet état d'âme en mouvement qui commence par la lassitude et qui finit dans la confiance. La mélancolie du passé s'arrête sur la colline pour regarder ces jours de joie, rapides et fugaces, disparaître vers le couchant. L'espérance

1. Strophe VI.

2. Première rédaction de la strophe XVIII.

3. Strophe XIV.

de l'éternité s'arrête au pied de la colline pour contempler le lever de l'aube, l'aube de cette splendeur divine

Et le

Qui n'a ni zénith ni déclin'.

paysage lamartinien retrouve son unité dans l'unité même du Furce cœur de désirs épuisé »2 mais « que l'espoir éclaire » 3. MAURICE MASSON.

1. Variante du manuscrit pour la strophe XIX. 2 Strophe XVII bis.

3. Variante du manuscrit pour la strophe XXII.

BOSSUET ET JOSEPH DE MAISTRE
D'APRÈS DES DOCUMENTS INÉDITS

DEUXIÈME PARTIE

LE RÔLE HISTORIQUE DE BOSSUET JUGÉ PAR J. DE MAISTRE.

J. de Maistre a surtout attaqué le rôle joué par Bossuet dans l'assemblée de 1682 et dans les querelles qui furent la préface de la Bulle Unigenitus. Mais l'insuffisance de son information et sa partialité affaiblissent singulièrement la valeur des accusations de gallicanisme et de jansénisme qu'il a portées contre son adversaire.

I. Le Gallicanisme de Bossuet.

Déjà dans Le Pape, J. de Maistre avait pris à partie Bossuet et les évêques qui participèrent à la fameuse assemblée de 1682; il disait (texte du Ms.):

Qu'une poignée d'évêques assemblés, animés, égarés par la passion, et de plus, effrayés par l'autorité, s'avisent de prononcer sur les bornes. de la souveraineté qui a droit de les juger eux-mêmes, ce libertinage d'orgueil et de déraison ne saurait avoir d'autre importance que celle du mal qu'il a fait et ne mérite d'ailleurs que le plus profond mépris. Ceux qui prononcèrent ces prétendus oracles, ne sont pas même ce qu'ils disent être : ils n'ont point de nom, et pour leur honneur même, il ne faut pas les connaître 2.

Mais isolons Bossuet de ses collègues, et étudions non la Déclaration elle-même, mais les responsabilités encourues par Bossuet à son propos.

D'abord il semble que J. de Maistre affecte de diminuer ces responsabilités le chapitre vi de la II partie de l'Eglise gallicane était primitivement intitulé: Autorité de Bossuet faussement invoquée en faveur des IV articles. On voit où tendait le raisonne

1. Voir la Revue d'Histoire littéraire d'avril-juin 1904, p. 263.

2. Pape, I, vшII. Quelques-unes de ces vivacités ont disparu, sur les conseils de Guy-Marie de Place, qui lui disait « Personne plus que moi ne gémit sur le mal qu'a causé l'assemblée de 1682. Personne moins que moi ne songe à défendre les meneurs; mais tous ne furent pas ce que l'auteur veut qu'ils aient été. Les évêques étaient au nombre de 34. La majeure partie n'eut pas à s'imputer un libertinage d'orgueil et de déraison, quoiqu'ils aient fait une déclaration qui favo risera jusqu'à la fin le libertinage de l'orgueil et de la déraison. Je suis faché d'être obligé de le dire cet alinéa aigrira mal à propos des hommes qu'il faudrait calmer afin qu'ils fussent plus accessibles à la raison. »

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