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la loi salique, tient aux institutions d'un peuple qui ne cultivait point les terres, ou du moins les cultivait peu.

La loi salique (a) veut que, lorsqu'un homme laisse des enfans, les mâles succèdent à la terre salique au préjudice des filles.

c'était

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Pour savoir ce que c'était que les terres saliques, il faut chercher ce que que les pro propriétés ou l'usage des terres chez les Francs, avant qu'ils fussent sortis de la Germanie.

M. Echard a très-bien prouvé que le mot salique vient du mot sala, qui signifie maison : et qu'ainsi la terre salique était la terre de la maison. J'irai plus loin, et j'examinerai ce que c'était la maison et la terre de la maison chez que les Germains.

<< Ils n'habitent point de villes, dit Tacite (b); et ils ne peuvent souffrir que leurs maisons se touchent les unes les autres;' chacun laisse autour de sa maison un petit terrain ou espace qui est clos et fermé. » Tacite parlait exactement; car plusieurs lois des codes: (c) barbares ont des

(a) Tit. LXII.

(b) « Nullas Germanorum populis urbes habitari satis notum est, ne pati quidem inter se junctas sedes. Colunt discreti ac diversi, ut fons, ut campus, ut nemus placuit. Vicos locant, non in nostrum morem connexis et cohærentibus ædificiis : suam quisque domum spatio circumdat. DE MORIBUS GERM. » (c) La loi des Allemands, chap. X ; et la loi des Bavarois, tit. X, S1 et 2.

ESPRIT DES LOIS. T. III.

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dispositions différentes contre ceux qui renversaient cette enceinte, et ceux qui pénétraient dans la maison même.

Nous savons, par Tacite et César, que les terres que les Germains cultivaient ne leur étaient données que pour un an, après quoi elles redevenaient publiques. Ils n'avaient de patrimoine que la maison, et un morceau de terre dans l'enceinte autour de la maison(a). C'est ce patrimoine particulier qui appartenait aux mâles. En effet, pourquoi aurait-il appartenu aux filles? Elles passaient dans une autre maison..!

La terre salique était donc cette enceinte qui dépendait de la maison du Germain ; c'était la seule propriété qu'il eût. Les Francs, après la conquête, acquirent de nouvelles propriétés, et on continua à les appeler des terres saliques.

Lorsque les Franes vivaient dans la Germanie, leurs biens étaient des esclaves, des troupeaux, des chevaux, des armes, etc. La maison et la petite portion de terre qui y était jointe étaient naturellement données aux enfans mâles qui devaient y habiter. Mais, lorsqu'après la conquête les Francs eurent acquis de grandes terres, on trouva dur que les filles et leurs enfans ne pussent y avoir de part. Il s'introduisit un usage qui permettait au père de rappeler sa fille et les enfans de sa fille. On fit taire la loi; et il fallait bien que ces

(a) Cette enceinte s'appelait CURTIS dans les chartres.

sortes de rappels fussent communs, puisqu'on en fit des formules (a).

Parmi toutes ces formules j'en trouve une singulière (b). Un aïeul rappelle ses petits-enfans pour succéder avec ses fils et avec ses filles. Que devenait donc la loi salique? Il fallait que dans ces temps-là même elle ne fût plus observée, ou que l'usage continuel de rappeler les filles eût fait regarder leur capacité de succéder comme le cas le plus ordinaire.

La loi salique n'ayant point pour objet une certaine préférence d'un sexe sur un autre, elle avait encore moins celui d'une perpétuité de famille, de nom ou de transmission de terre : tout cela n'entrait point dans la tête des Germains. C'était une loi purement économique, qui donnait la maison et la terre dépendante de la maison, aux mâles qui devaient l'habiter, et à qui par conséquent elle convenait le mieux.

Il n'y a qu'à transcrire ici le titre des aleux de la loi salique, ce texte si fameux dont tant de gens ont parlé, et que si peu de gens ont lu.

1° « Si un homme meurt sans enfans, son père on sa mère lui succéderont. 2o S'il n'a ni père ni mère, son frère ou sa sœur lui succéderont. 3o S'il n'a ni frère ni sœur, la sœur de sa mère

(a) Voyez Marculfe, liv. II, form. To et 12, l'appendice de Marculfe, form. 49; et les formules anciennes, appelées de Sirmond, form. 22.

(b) Form. 55, dans le recueil de Lindembrock.

lui succédera. 4° Si sa mère n'a point de sœur, la sœur de son père lui succédera. 5° Si son père n'a point de sœur, le plus proche parent par mâle lui succédera. 6° Aucune portion (a) de la terre salique ne passera aux femelles; mais elle appartiendra aux mâles, c'est-à-dire que les enfans mâles succéderont à leur père.

>>

Il est clair que les cinq premiers articles concernent la succession de celui qui meurt sans enfans; et le sixième, la succession de celui qui a des enfans.

Lorsqu'un homme mourait sans enfans, la loi voulait qu'un des deux sexes n'eût de préférence sur l'autre que dans de certains cas. Dans les deux premiers degrés de succession, les avantages des mâles et des femelles étaient les mêmes; dans le troisième et le quatrième, les femmes avaient la préférence; et les mâles l'avaient dans le cinquième.

Je trouve les semences de ces bizarreries dans Tacite. « Les enfans (b) des sœurs, dit-il, sont chéris de leur oncle comme de leur propre père. y a des gens qui regardent ce lien comme plus

Il

(a) « De terra vero salica in mulierem nulla portio hæreditatis transit; sed hoc virilis sexus acquirit, hoc est, filii in ipsa hæreditate succedunt. Tit. LXII, § 6.

(b) << Sororem filiis idem apud avunculum quam apud patrem honor. Quidam sanctiorem arctioremque hunc nexum sanguinis arbitrantur, et in accipiendis obsidibus magis exigunt tanii et animum firmius et domum latius teneant. » DE MO

quam
RIBUS GERM.

étroit et même plus saint; ils le préférent quand ils reçoivent des ôtages. » C'est pour cela que nos premiers historiens (a) nous parlent tant de l'amour des rois francs pour leur sœur et les enfans de leur sœur. Que si les enfans des sœurs étaient regardés dans la maison comme les enfans mêmes, il était naturel que les enfans regardassent leur tante comme leur propre mère.

La sœur de la mère était préférée à la sœur du père; cela s'explique par d'autres textes de la loi salique. Lorsqu'une femme était veuve (b), elle tombait sous la tuetlle des parens de son mari; la loi préférait pour cette tuteile les parens par femmes aux parens par mâles. En effet, une femme qui entrait dans une famille, s'unissant avec les personnes de son sexe, elle était plus liée avec les parens par femmes qu'avec les parens par mâles. De plus, quand un (c) homme en avait tué un autre, et qu'il n'avait pas de quoi satisfaire à la peine pécuniaire qu'il avait encoula loi lui permettait de céder ses biens, et les parens devaient suppléer à ce qui manquait. Après le père, la mère et le frère, c'était la sœur de la mère qui payait, comme si ce lien avait

rue,

(a) Voyez dans Grégoire de Tours, liv. VIII, ch. XVIII et XX, liv. IX, chap. XVI et XX, les fureurs de Gontran sur les mauvais traitemens faits à Ingunde, sa nièce, par Leuvigilde; et comme Childebert, son frère, fit la guerre pour la

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