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Perse qu'il se tiendrait toujours éloigné des cô tes de la mer (a) de la carrière d'un cheval.

L'extrême éloignement de nos colonies n'est point un inconvénient pour leur sûreté; car, si la métropole est éloignée pour les défendre, les nations rivales de la métropole ne sont pas moins éloignées pour les conquérir.

De plus cet éloignement fait que ceux qui vont s'y établir ne peuvent prendre la manière de vivre d'un climat si différent ; ils sont obligés de tirer toutes les commodités de la vie du pays d'où ils sont venus. Les Carthaginois (b), pour rendre les Sardes et les Corses plus dépendans, leur avaient défendu, sous peine de la vie, de planter, de semer, et de faire rien de semblable; ils leur envoyaient d'Afrique des vivres. Nous sommes parvenus au même point sans faire des lois si dures. Nos colonies des îles Antilles sont admirables; elles ont des objets de commerce que nous n'avons ni ne pouvons avoir, elles manquent de ce qui fait l'objet du nôtre.

L'effet de la découverte de l'Amérique fut de lier à l'Europe l'Asie et l'Afrique; l'Amérique fournit à l'Europe la matière de son commerce avec cette vaste partie de l'Asie qu'on appela les Indes orientales. L'argent, ce métal si utile au commerce

(a) Le roi de Perse s'obligea, par un traité, de ne naviguer avec aucun vaisseau de guerre au-delà des Roches Scyanées et des Chelidoniennes. Plutarque, Vie de Cimon.

(b) Aristote, DES CHOSES MERVEILLEUSES. Tite-Live, liv. VII de la seconde décade.

comme signe, fut encore la base du plus grand commerce de l'univers comme marchandise. Enfin la navigation d'Afrique devint nécessaire; elle fournissait des hommes pour le travail des mines et des terres de l'Amérique.

L'Europe est parvenue à un si haut degré de puissance, que l'histoire n'a rien à comparer làdessus, si l'on considère l'immensité des dépenses, la grandeur des engagemens, le nombre des troupes, et la continuité de leur entretien, même lorsqu'elles sont le plus inutiles, et qu'on ne les a que pour l'ostentation.

Le père du Halde (a) dit que le commerce intérieur de la Chine est plus grand que celui de toute l'Europe. Cela pourrait être si notre com→ merce extérieur n'augmentait pas l'intérieur l'Europe fait le commerce et la navigation des trois autres parties du monde, comme la France, l'Angleterre et la Hollande, font à peu près la navigation et le commerce de l'Europe.

CHAPITRE XXII.

Des richesses que l'Espagne tira de l'Amérique.

Si l'Europe (b) a trouvé tant d'avantages dans le commerce de l'Amérique, il serait naturel de

(a) Tome II, page 170.

(b) Ceci parut il y a plus de vingt ans dans un petit ouvrage manuscrit de l'auteur, qui a été presque tout fondu dans celui-ci.

croire que l'Espagne en aurait reçu de plus grands. Elle tira du monde nouvellement découvert une quantité d'or et d'argent si prodigieuse, l'on en avait eu jusqu'alors ne pou

que ce que

vait y être comparé.

Mais (ce qu'on n'aurait jamais soupçonné) la misère la fit échouer presque partout. Philippe II, qui succéda à Charles-Quint, fut obligé de faire la célèbre banqueroute que tout le monde sait; et il n'y a guère jamais eu de prince qui ait plus souffert que lui des murmures, de l'insolence et de la révolte de ses troupes toujours mal payées.

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Depuis ce temps, la monarchie d'Espagne déclina sans cesse. C'est qu'il y avait un vice intérieur et physique dans la nature de ses richesses qui les rendait vaines; et ce vice augmenta tous les jours.

L'or et l'argent sont une richesse de fiction ou de signe ces signes sont très-durables et se détruisent peu, comme il convient à leur nature. Plus ils se multiplient, plus ils perdent de leur prix, parce qu'ils représentent moins de choses.

Lors de la conquête du Mexique et du Pérou, les Espagnols abandonnèrent les richesses naturelles pour avoir des richesses de signe qui s'avilissaient par elles-mêmes. L'or et l'argent étaient très-rares en Europe; et l'Espagne, maîtresse tout-à-coup d'une très-grande quantité de ces métaux, conçut des espérances qu'elle n'avait ja

mais eues. Les richesses que l'on trouva dans les pays conquis n'étaient pourtant pas proportionnées à celles de leurs mines. Les Indiens, en cachèrent une partie; et de plus, ces peuples, qui ne faisaient servir l'or et l'argent qu'à la magnificence des temples des dieux et des palais des rois, ne les cherchaient pas avec la même avarice que nous; enfin ils n'avaient pas le secret de tirer les métaux de toutes les mines, mais seulement de celles dans lesquelles la séparation le feu, se fait par ne connaissant la manière d'employer le mercure, ni peut-être le mercure même.

pas

Cependant l'argent ne laissa pas de doubler bientôt en Europe; ce qui parut en ce que le prix de tout ce qui s'acheta fut environ du double.

Les Espagnols fouillèrent les mines, creuserent les montagnes, inventèrent des machines pour tirer les eaux, briser le minerai, et le séparer; et comme ils se jouaient de la vie des Indiens, ils les firent travailler sans ménagement. L'argent doubla bientôt en Europe, et le profit diminua toujours de moitié pour l'Espagne, qui n'avait chaque année que la même quantité d'un métal qui était devenu la moitié moins précieux.

Dans le double du temps, l'argent doubla encore, et le profit diminua encore de la moitié.

Il diminua même de plus de la moitié : voici

comment.

Pour tirer l'or des mines, pour lui donner les

préparations requises et le transporter en Europe, il fallait une dépense quelconque ; je suppose qu'elle fût comme est à 64 : quand l'argent fut doublé une fois, et par conséquent la moitié moins précieux, la dépense fut comme 2 sont à 64. Ainsi les flottes qui portèrent en Espagne la même quantité d'or portèrent une chose qui réellement valait la moitié moins, et coûtait la moitié plus.

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l'on travaille

Si l'on suit la chose de doublement en doublement, on trouvera la progression de la cause de l'impuissance des richesses de l'Espagne. Il y a environ deux cents ans que les mines des Indes. Je suppose que la quantité d'argent qui est à présent dans le monde qui commerce soit à celle qui était avant la découverte comme 32 est à 1, c'est-à-dire qu'elle ait doublé cinq fois, dans deux cents ans encore la même quantité sera à celle qui était avant la découverte comme 64 est à 1, c'est-à-dire qu'elle doublera encore. Or à présent cinquante (a) quintaux de minerai pour l'or donnent quatre, cinq et six onces d'or; et, quand il n'y en a que deux, le mineur ne retire que ses frais. Dans deux cents ans, lorsqu'il n'y en aura que quatre, le mineur ne retirera aussi que ses frais il y aura donc peu de profit à tirer sur l'or. Même raisonnement sur l'argent, excepté que le travail des mi

(a) Voyez les Voyages de Frézier.

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