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fleuves, pourvu que l'autre restât libre pour les filets et pour les bateaux; il fallait qu'il y eût de commerce dans les pays qu'ils avaient

bien peu conquis.

C

Dans ces temps-là s'établirent les droits insensés d'aubaines et de naufrage: les hommes pensèrent que les étrangers ne leur étant unis par aucune communication du droit civil, ils ne leur devaient d'un côté aucune sorte de justice, et de l'autre aucune sorte de pitié.

Dans les bornes étroites où se trouvaient les peuples du nord, tout leur était étranger : dans leur pauvreté, tout était pour eux un objet de richesse. Etablis avant leurs conquêtes sur les côtes d'une mer resserrée et pleine d'écueils, ils avaient tiré parti de ces écueils mêmes.

Mais les Romains, qui faisaient des lois pour tout l'univers, en avaient fait de très-humaines sur les naufrages (a): ils réprimèrent à cet égard les brigandages de ceux qui habitaient les côtes; et, ce qui était plus encore, la rapacité de leur fisc (b).

(a) Toto titulo, ff. DE INCEND. RUIN, NAUFRAG. et Cod. DE NAUFRAGIIS; et leg. III, ff. de leg. Cornel. DE SICARIIS.

(b) Leg. I, Cod. DE NAUFRAGIIS.

CHAPITRE XVIII.

Règlement particulier.co

La loi (a) des Wisigoths fit pourtant une disposition favorable au commerce; elle ordonna que ·les marchands qui venaient de delà la mer seraient jugés, dans les différends qui naissaient entre eux, par les lois et par des juges de leur nation. Ceci était fondé sur l'usage établi chez tous ces peuples mêlés, que chaque homme vécut sous sa propre loi; chose dont je parlerai beaucoup dans la suite.

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Du commerce depuis l'affaiblissement des Romains en orient.

Les mahométans parurent, conquirent, et se divisèrent. L'Egypte eut ses souverains particuliers: elle continua de faire le commerce des Indes. Maîtresse des marchandises de ce pays, elle attira les richesses de tous les autres. Ses soudans furent les plus puissans princes de ces temps-là : on peut voir dans l'histoire comment, avec une force constante et bien ménagée, ils arrêtèrent l'ardeur, la fougue, et l'impétuosité des croisés.

(a) Liv. XI, tit. III, § 2

CHAPITRE XX. O

Comment le commerce se fit jour en Europe à travers la barbarie.

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La philosophie d'Aristote ayant été portée en occident, elle plut beaucoup aux esprits subtils, qui, dans les temps d'ignorance, sont les beaux esprits. Des scholastiques s'en infatuèrent, et prirent de ce philosophe (a) bien des explications sur le prêt à intérêt, au lieu que la source en était si naturelle dans l'évangile, ils le condamnèrent indistinctement et dans tous les cas. Par-là le commerce, qui n'était que la profession des

es gens vils, devint encore celle des malhonnêtes gens; car, toutes les fois que l'on défend une chose naturellement permise ou nécessaire, on ne fait que rendre malhonnêtes gens ceux qui la font.

Le commerce passa à une nation pour lors couverte d'infamie; et bientôt il ne fut plus distingué des usures les plus affreuses, des mono poles, de la levée des subsides, et de tous les moyens malhonnêtes d'acquérir de l'argent.

Les Juifs (b), enrichis par leurs exactions,

(a) Voyez Aristote, Polit. liv. I, chap 1x et x

(b) Voyez dans Marca Hispanica les constitutions d'Aragon des années 1228 et 1231; et dans Brussel, l'accord de l'année 1206, passé entre le roi, la comtesse de Champagne, et Guy de Dampierre.

étaient pillés par les princes avec la même tyrannie chose qui consolait les peuples, et ne les soulageait pas.

Ce qui se passa en Angleterre donnera une idée de ce qu'on fit dans les autres pays. Le roi Jean (a) ayant fait emprisonner les Juifs pour avoir leur bien, il y en eut peu qui n'eussent au moins quelque œil crevé : ce roi faisait ainsi sa chambre de justice. Un d'eux, à qui on arracha sept dents, une chaque jour, donna dix mille marcs d'argent à la huitième. Henri III tira d'Aaron, juif d'Yorck, quatorze mille marcs d'argent, et dix mille pour la reine. Dans ces temps-là, on faisait violemment ce qu'on fait aujourd'hui en Pologne avec quelque mesure. Les rois, ne pouvant fouiller dans la bourse de leurs sujets à cause de leurs priviléges, mettaient à la torture les Juifs, qu'on ne regardait pas comme citoyens.

Enfin il s'introduisit une coutume qui confisqua tous les biens des Juifs qui embrassaient le christianisme. Cette coutume si bizarre, nous la savons par la loi (b) qui l'abroge. On en a donné des raisons bien vaines; on a dit qu'on voulait les éprouver, et faire en sorte qu'il ne restât rien de l'esclavage du démon. Mais il est visible que cette confiscation était une espèce de droit (c)

(a) Slowe, in his survey of London, liv. III, page 54. (b) Edit donné à Basville le 4 avril 1392.

(c) En France, les Juifs étaient serfs, main mortables, et les

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d'amortissement, pour le prince ou pour les seigneurs, des taxes qu'ils levaient sur les Juifs, et dont ils étaient frustrés lorsque ceux-ci embrassaient le christianisme. Dans ce temps-là, on regardait les hommes comme des terres. Et je remarquerai en passant combien on s'est joué de cette nation d'un siècle à l'autre. On confisquait leurs biens lorsqu'ils voulaient être chrétiens, et bientôt après on les fit brûler lorsqu'ils ne voulurent pas l'être.

Cependant on. vit le commerce sortir du sein de la vexation et du désespoir. Les Juifs, proscrits tour-à-tour de chaque pays, trouvèrent le moyen de sauver leurs effets. Par là ils rendirent pour jamais leurs retraites fixes; car tel prince qui voudrait bien se défaire d'eux ne serait pas pour cela d'humeur à se défaire de leur

argent.

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Ils (a) inventèrent les lettres-de-change; et, par ce moyen, le commerce put éluder la violence et se maintenir partout, le négociant le plus riche n'ayant que des biens invisibles qui

seigneurs leur succédaient. M. Brussel rapporte un accord de l'an 1206, entre le roi et Thibaut, comte de Champagne, par lequel il était convenu que les Juifs de l'un ne prêteraient point dans les terres de l'autre.

(a) On sait que, sous Philippe-Auguste et sous Philippe-leLong, les Juifs, chassés de France, se réfugièrent en Lombardie, et que là ils donnèrent aux négocians étrangers et aux voyageurs des lettres secrètes sur ceux à qui ils avaient confié leurs effets en France, qui furent acquittés.

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