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où le peuple grec était un monde, et les villes grecques des nations: elle fit un plus grand commerce qu'Athènes. Elle avait un port pour recevoir les marchandises d'Asie; elle en avait un autre pour recevoir celles d'Italie : car, comme y avait de grandes difficultés à tourner le promontoire Malé, où des vents (a) opposés se rencontrent et causent des naufrages, on aimait mieux aller à Corinthe, et l'on pouvait même faire passer par terre les vaisseaux d'une mer à l'autre. Dans aucune ville on ne porta si loin les ouvrages de l'art. La religiou acheva de corrompre ce que son opulence lui avait laissé de mœurs. Elle érigea un temple à Vénus, où plus de mille courtisanes furent consacrées. C'est de ce séminaire que sortirent la plupart de ces beautés célèbres dont Athénée a osé écrire l'histoire.

Il paraît que du temps d'Homère l'opulence de la Grèce était à Rhodes, à Corinthe, et à Orcomène. « Jupiter, dit-il (b), aima les Rhodiens, et leur donna de grandes richesses. » Il donna à Corinthe (c) l'épithète de riche. De même quand il veut parler des villes qui ont beaucoup d'or, il cite Orcomène (d), qu'il joint à Thèbes d'Egypte. Rhodes et Corinthe conservèrent leur

(a) Voyez Strabon, liv. VIII.

(b) Iliade, liv. II. —(c) Ibid.

(d) Ibid., liv. I, vers 381. Voyez Strabon, liv. IX, p. 414, édition de 1620.

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puissance, et Orcomène la perdit. La position d'Orcomène près de l'Hellespont, de la Propontide, et du Pont-Euxin, fait naturellement penser qu'elle tirait ses richesses d'un commerce sur les côtes de ces mers, qui avait donné lieu à la fable de la toison d'or. Et effectivement le nom de Miniare est donné à Orcomène (a) et encore aux Argonautes. Mais, comme dans la suite ces mers devinrent plus connues, que les Grecs y établirent un très-grand nombre de colonies, que ces colonies négocièrent avec les peuples barbares, qu'elles communiquèrent avec leur métropole, Orcomène commença à déchoir, et elle rentra dans la foule des autres villes grecques.

Les Grecs, avant Homère, n'avaient guère négocié qu'entre eux et chez quelque peuple barbare; mais ils étendirent leur domination à mesure qu'ils formèrent de nouveaux peuples. La Grèce était une grande péninsule dont les caps semblaient avoir fait reculer les mers; et les golfes s'ouvrirent de tous côtés comme pour les recevoir encore. Si l'on jette les yeux sur la Grèce, on verra dans un pays assez resserré une vaste étendue de côtes. Ses colonies innombrables faisaient une immense circonférence autour d'elle; et elle y voyait pour ainsi dire tout le monde qui n'était pas barbare. Pénétra-t-elle en Sicile et en Italie, elle Ꭹ forma des nations. Navigua-t-elle vers les mers du Pont, vers les (a) Strabon, liv. IX, page 414.

côtes de l'Asie mineure, vers celles d'Afrique, elle en fit de même. Ses villes acquirent de la prospérité à mesure qu'elles se trouvèrent près de nouveaux peuples: et, ce qu'il y avait d'admirable, des îles sans nombre situées comme en première ligne l'entouraient encore.

Quelles causes de prospérité pour la Grèce que des jeux qu'elle donnait pour ainsi dire à l'univers, des temples où tous les rois envoyaient des offrandes, des fêtes où l'on s'assemblait de toutes parts, des oracles qui faisaient l'attention de toute la curiosité humaine, enfin le goût et les arts portés à un point, que de croire les' surpasser sera toujours ne les pas connaitre !

CHAPITRE VIII.

D'Alexandre. Sa conquête.

Quatre événemens arrivés sous Alexandre firent dans le commerce une grande révolution ; la prise de Tyr, la conquête de l'Égypte, celle des Indes, et la découverte de la mer qui est au midi de ce pays.

L'empire des Perses s'étendait jusqu'à l'Indus (a). Long-temps avant Alexandre, Darius (b) avait envoyé des navigateurs qui descendirent ce

(a) Strabon, liv. XV. - (b) Hérodote, IN MELPOMENE.

fleuve, et allèrent jusqu'à la mer Rouge. Comment donc les Grecs furent-ils les premiers qui firent par le midi le commerce des Indes? Comment les Perses ne l'avaient-ils pas fait auparavant? Que leur servaient des mers qui étaient si proches d'eux, des mers qui baignaient leur empire? Il est vrai qu'Alexandre conquit les Indes; mais faut-il conquérir un pays pour y négocier? J'examinerai ceci.

L'Ariane (a), qui s'étendait depuis le golfe Persique jusqu'à l'Indus, et de la mer du midi jusqu'aux montagnes des Paropamisades, dépendait bien en quelque façon de l'empire des Perses; mais, dans sa partie méridionale, elle était aride, brûlée, inculte, et barbare. La tradition (b) portait que les armées de Sémiramis et de Cyrus avaient péri dans ces déserts; ct Alexandre, qui se fit suivre par sa flotte, ne laissa pas d'y perdre une grande partie de son armée. Les Perses laissaient toute la côte au pouvoir des Ichthyophages (c), des Orittes, et autres peuples barbares. D'ailleurs les Perses (d) n'étaient pas navigateurs, et leur religion même leur ôtait. toute idée de commerce maritime. La navigation

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(c) Pline, liv. VI, cb, xxm; Strabon, liv. XV.

(d) Pour ne point souiller les élémens, ils ne naviguaient pas sur les fleuves. M. HYLDF., Religion des Perses. Encore aujourd'hui ils n'ont point de commerce maritime, et ils traitent d'athées ceux qui vont sur mer.

ESPRIT DES LOIS. T. III.

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que Darius fit faire sur l'Indus et la mer des Indes fut plutôt une fantaisie d'un prince qui veut montrer sa puissance, que le projet réglé d'un monarque qui veut l'employer. Elle n'eut de suite ni pour le commerce ni pour la marine; et si l'on sortit de l'ignorance, ce fut pour y retomber.

Il y a plus il était reçu (a), avant l'expédition d'Alexandre, que la partie méridionale des Indes était inhabitable (b); ce qui suivait de la tradition que Sémiramis (c) n'en avait ramené que vingt bommes, et Cyrus que sept.

Alexandre entra par le nord. Son dessein etait de marcher vers l'orient mais, ayant trouvé la partie du midi pleine de grandes nations, de villes et de rivières, il en tenta la conquête, et la fit.

Pour lors il forma le dessein d'unir les Indes avec l'occident par un commerce maritime 7 comme il les avait unies par des colonies qu'il avait établies dans les terres.

Il fit construire une flotte sur l'Hydaspe, descendit cette rivière, entra dans l'Indus, et navigua jusqu'à son embouchure. Il laissa son armée et sa flotte à Patale, alla lui-même avec

(a) Strabon, liv. XV.

(b) Hérodote, IN MELPOMENE, dit que Darius conquit les Indes. Cela ne peut être entendu que de l'Ariane. encore ne fut-ce qu'une conquête en idée.

(c) Strabon, liv. XV.

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