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climat ne leur demande ni ne leur permet presque rien de ce qui vient de chez nous. Ils vont en grande partie nus; les vêtemens qu'ils ont, le pays les leur fournit convenables; et leur religion, qui a sur eux tant d'empire, leur donne de la répugnance pour les choses qui nous servent de nourriture. Ils n'ont donc besoin que de nos métaux, qui sont les signes des valeurs, et pour lesquels ils donnent des marchandises que leur frugalité et la nature de leur pays leur procurent en grande abondance. Les auteurs anciens qui nous ont parlé des Indes nous les dépeignent (a) telles que nous les voyons aujourd'hui, quant à la police, aux manières et aux moeurs. Les Indes ont été, les Indes seront, ce qu'elles sont à présent; et, dans tous les temps, ceux qui négocieront aux Indes y porteront de l'argent, et n'en rapporteront pas.

CHAPITRE II..

Des peuples d'Afrique:

La plupart des peuples des côtes de l'Afrique sont sauvages et barbares. Je crois que cela vient beaucoup de ce que des pays presque inhabitables séparent de petits pays qui peuvent être habités. Ils sont sans industrie; ils n'ont point

(a) Voyez Pline, liv. VI, ch. xix; et Strabon, liv. XV.

d'arts; ils ont en abondance des métaux précieux qu'ils tiennent immédiatement des mains de la nature. Tous les peuples policés sont donc en état de négocier avec eux avec avantage; ils peuvent leur faire estimer beaucoup des choses de nulle valeur, et en recevoir un très-grand prix.

CHAPITRE III.

Que les besoins des peuples du midi sont différens de ceux des peuples du nord.

peu

Il y a dans l'Europe une espèce de balancement entre les nations du midi et celles du nord. Les premières ont toutes sortes de commodités pour la vie et peu de besoins; les secondes ont beaucoup de besoins et de commodités pour la vie. Aux unes, la nature a donné beaucoup, et elles ne lui demandent que peu; aux autres, la nature donne peu, et elles lui demandent beaucoup. L'équilibre se maintient par la paresse qu'elle a donnée aux nations du midi, et par l'industrie et l'activité qu'elle a données à celles du nord. Ces dernières sont obligées de travailler beaucoup; sans quoi elles manqueraient de tout et deviendraient barbares. C'est ce qui a naturalisé la servitude chez les peuples du midi : comme ils peuvent aisément se passer de riches

ses,

ils peuvent encore mieux se passer de liberté. Mais les peuples du nord ont besoin de la liberté, qui leur procure plus de moyens de satisfaire tous les besoins que la nature leur a donnés. Les peuples du nord sont donc dans un état forcé, s'ils ne sont libres ou barbares: presque tous les peuples du midi sont en quelque façon dans un état violent, s'ils ne sont esclaves.

CHAPITRE IV..

Principale différence du commerce des anciens d'avec celui d'aujourd'hui.

Le monde se met de temps en temps dans des situations qui changent le commerce. Aujourd'hui le commerce de l'Europe se fait principalement du nord au midi. Pour lors la différence des climats fait que les peuples ont un grand besoin des marchandises les uns des autres. Par exemple, les boissons du midi, portées au nord, forment une espèce de commerce que les anciens n'avaient guère. Aussi la capacité des vaisseaux qui se mesurait autrefois par muids de blé, se mesuret-elle aujourd'hui par tonneaux de liqueurs.

Le commerce ancien que nous connaissons se faisant d'un port de la Méditerranée à l'autre, était presque tout dans le midi : or les peuples du même climat, ayant chez eux à peu près les

mêmes choses, n'ont pas tant de besoin de commercer entre eux que ceux d'un climat différent. Le commerce en Europe était donc autrefois moins étendu qu'il ne l'est à présent. Ceci n'est point contradictoiré avec ce que j'ai dit de notre commerce des Indes: la différence excessive du climat fait que les besoins relatifs sont nuls.

Le commerce,

CHAPITRE V.

Autres différences.

tantôt détruit par les conquérans, tantôt gêné par les monarques, parcourt la terre, fuit d'où il est opprimé, se repose où on le laisse respirer : il règne aujourd'hui où l'on ne voyait que des déserts, des mers et des rochers; là où il régnait il n'y a que des déserts...

A voir aujourd'hui la Colchide, 'qui n'est plus qu'une vaste forêt où le peuple, qui diminue tous les jours, ne défend sa liberté que pour se vendre en détail aux Turcs et aux Persans, on ne dirait jamais que cette contrée eût été, du temps des Romains, pleine de villes où le commerce appelait toutes les nations du monde. On n'en trouve aucun monument dans le pays; il n'y en a de traces que dans Pline (a) et Strabon (b). (a) Liv. VI. ——— (1) Lív. II.

L'histoire du commerce est celle de la communication des peuples. Leurs destructions diverses, et de certains flux et reflux de populations et de dévastations, en forment les plus grands événemens.

CHAPITRE VI.

Du commerce des anciens.

Les trésors immenses de (a) Sémiramis, qui ne pouvaient avoir été acquis en un jour, nous font penser que les Assyriens avaient eux-mêmes pillé d'autres nations riches, comme les autres nations les pillèrent après.

L'effet du commerce sont les richesses; la suite des richesses, le luxe; celle du luxe, la perfection des arts. Les arts, portés au point: où on les trouve du temps de Sémiramis (b), nous marquent un grand commerce déjà établi..

Il y avait un grand commerce de luxe dans les empires d'Asie. Ce serait une belle partie de l'histoire du commerce que l'histoire du luxe; le luxé des Perses était celui des Mèdes, comme celui des Mèdes était celui des Assyriens.

Il est arrivé de grands changemens en Asie. La partie de la Perse qui est au nord-est, l'Hyrcanie, la Margiane, la Bactriane, etc., étaient (a) Diodore, liv. II. (b) Ibid.

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