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Pour comble de maux, un nouveau prodige de scélératesse désolait le royaume par des déprédations qui tendaient à affamer tous les habitans. Pierre de Tolède promit dix mille ducats à qui lui apporterait la tête de ce brigand. Un homme, un sac sur les épaules, se présente au palais du vice-roi; demande à lui parler. Admis en sa présence: Je viens, lui dit-il, réclamer les dix mille ducats; voici ce que tu as demandé. Il ouvre son sac, fait rouler une tête à ses pieds. Tolède la regarde et reconnaît son fils.

A considérer les choses sous leur véritable point de vue, les hordes de brigands, répandues sur le royaume de Naples, n'étaient coupables que de modeler leur conduite sur celle de leurs souverains, dont les diverses dynasties s'engraissèrent, dans une lâche indolence, de la substance du peuple. Ces dynasties avaient tellement la conscience de leur identité de but avec ces hordes, qu'on les voit souvent, dans le cours de l'histoire, les appeler à

leur aide pour dompter, c'est-à-dire, pour opprimer les régnicoles.

Cette tactique se développa de la façon la plus manifeste, à la fin du dix-huitième siècle. Le cardinal Ruffo, après avoir, par ses débauches et ses malversations, scandalisé même le sacré collége, vint, au nom de Ferdinand IV, inviter tous les brigands des Calabres à faire cause commune avec leur légitime souverain, afin d'anéantir la répu blique parthénopéenne, établie à Naples. Au nom seul de la république, ils frémissent de rage comme de petits rois absolus. Voilà le cardinal entouré de tous les chefs d'assassins, de bandits et de forçats, terreur des Calabres. Parmi eux se distinguaient le moine Fra Diovolo (frère diable), dont la présence était partout le signal de l'incendie, du meurtre et du pillage; l'abbé Pronio, son émule en forfaits, une foule d'autres moines et prêtres priant, volant, violant, et bénissant tour à tour. Ainsi le cardinal Ruffo

eut, en frappant la terre du pied, un redoutable et nombreux état-major, composé non-seulement de Calabrois, ses compatriotes, mais encore d'hommes d'église, ses confrères. Il nomma, pour son premier aide-de-camp, Mammone-Gaïtano, qui regrettait les heures employées à son sommeil et à sa nourriture, comme un temps dérobé aux crimes. Aussi, en prenant ses repas, il plaçait sur sa table une tête humaine fraîchement coupée, buvait dans un crâne, et s'entourait de membres palpitans. Le roi de Naples mettait en tête de ses lettres adressées à Mammone:

Mon général et mon ami 1.

Pourquoi s'étonner de ce langage? n'est-on pas toujours l'ami du roi qu'on aide à remonter sur le trône. Nul ne peut révoquer en doute que Ferdinand IV ne dut sa restauration aux brigands de son royaume, et spécialement à Mammone. Ce cannibale, rugissant de joie

I Saggio sulla revoluzione di Napoli, p. 255.

au milieu du carnage dont Naples fut le théâtre, faisait dresser des bûchers au milieu de ruisseaux de sang, et mangeait, disait-il, du républicain rôti1. Ivre de carnage, il pénétrait dans l'intérieur des maisons, et mettait en usage toutes les tortures, pour forcer les propriétaires à lui livrer leurs trésors. On cite de lui un mot empreint de toute l'élodu crime. Il avait mis sur des charquence bons ardens les pieds d'une jeune femme, qui eut assez de force d'âme pour regarder son époux avec un sourire; alors Mammone, s'apprêtant à faire subir le dernier outrage à sa pudeur, lui dit: Vous souriez dans les feux d'un brasier, voyons si vous sourirez dans les feux de l'amour. Sentiment infernal, exprimé énergiquement par ces

vers:

Puisque dans les tourmens vous trouvez des délices,
Il faut dans les plaisirs vous chercher des supplices.

Botta, histoire d'Italie, tom. IV, p. 190.

On voit par mon parallèle entre les brigands de Rome et ceux de Naples, que les premiers se distinguent par leur catholicisme, les seconds par leur royalisme. Auxquels donner la préférence? Ami lecteur

Devine si tu peux, et choisis si tu l'oses.

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