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VOLEURS.

Puisque dans les tourmens vous trouvez des délices,
Il faut dans les plaisirs vous chercher des supplices.

CORNEILLE.

LEQUEL du patrimoine de St-Pierre ou du royaume de Naples a le plus de droits au titre de terre promise du brigandage? Jette un coup d'œil, ami lecteur, sur mes Tablettes Romaines, et sois juge de cette grande question. Pour moi, en m'attribuant ici une voix purement consultative, je te ferai observer entre les Mandrins des deux états, quelques nuances de caractère touchant la vie dévote.

Le brigand de Rome, fidèle observateur des commandemens de l'église, se confesse, communie, récite son chapelet; il reçoit de l'aumônier de la troupe (car aucun crime n'enlève à un prêtre son sacré caractère)

tous les sacremens, toutes les onctions dont il a besoin pour vivre et mourir en bon larron catholique.

Le brigand de Naples se dispense de toutes ces pratiques : il vit sans remords, meurt dans l'impénitence; il prie Jésus-Chrit, non de lui pardonner les vols et les meurtres, mais de le seçonder. Le manche de son poignard figure un crucifix. A-t-il enfoncé ce stilet dans le sein de sa victime, il se prosterne devant le divin simulacre et lui rend grâce du succès de son entreprise.

Les voleurs des états ecclésiastiques adorent St-Antoine, St-Nicolas, la Ste Vierge et le pape, et négligent entièrement les trois personnes de la Trinité.

Les voleurs vésuviens dirigent toutes leurs oraisons vers la seconde personne, sans s'inquiéter de tout le reste de la hiérarchie céleste, même ils n'entendent la messe que rarement, et dans des circonstances extraordinaires; s'agit-il, par exemple, d'attaquer

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Ite missa est.

deux ou trois riches voitures chargées d'Anglais, et bien escortées. Alors, un prêtre de la bande détache son calice suspendu près de son poignard; il choisit parmi des rochers confusément entassés celui qui présente une petite plate-forme, il y dépose les ustensiles indispensables à l'office divin, et dit avec recueillement : introibo ad altare dei, le plus jeune brigand répond: ad Deum qui lœtificat juventutem meam. L'officiant arrive de suite à la consécration, un cliquetis de poignards accompagne l'élévation, enfin le prêtre prononce avec énergie ite missa est. Si le hasard amène les voitures à dévaliser au moment de l'ite missa est, les brigands regardent cette coïncidence comme le plus heureux des présages, et ils se précipitent sur les voyageurs comme des gens sûrs du succès de leur entreprise.

Le voleur romain traite d'hérétique le voleur napolitain, qui lui répond par l'épithète de superstitieux. Cette dissidence d'opi

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