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presqu'entiers, amoncelés jusqu'au plafond. On les avait retirés des fosses pour faire place à d'autres. Je ne crois pas que rien de plus hideux et de plus dégoûtant puisse s'offrir aux regards humains.

Ainsi à Naples on fait aux morts des funérailles, non pour les honorer, mais pour honorer les vivans, et en donner un spectacle au peuple. Dès que le trépassé n'est plus exposé aux yeux du public, il est traité aussi mal qu'un chien que l'on jette à la voirie.

Les Napolitains sacrifient tout aux apparences; ceux qui ne sont pas riches veulent le paraître; ils ont de bons équipages et de mauvais dîners, des maisons belles à l'extérieur, mais sales à l'intérieur et mal meublées. Ils promènent en grande pompe, à travers la ville, leurs parens décédés ; les rues resplendissent de l'éclat des cierges et d'un lit de parade, et ils refusent un linceul et une bière à ces mêmes parens, lorsqu'ils sont en

tête à tête avec le fossoyeur : cela doit-il étonner d'un peuple qui a eu l'habileté de passer par dessus la civilisation pour arriver à sa décadence, et qui possède le secret de se corrompre avant de s'instruire.

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PROSTITUTION

POUSSÉE A UN POINT EXTRAORDINAIRE

DANS LA VILLE DE NAPLES'.

Pour les catins, j'en fais assez de cas :
Leur art est doux et leur vie est joyeuse.
Si quelquefois leurs dangereux appas
A l'hôpital mènent un pauvre diable,
Un grand benêt qui fait l'homme agreable,
Je leur pardonne, il l'a bien mérité.
VOLTAIRE.

S'IL revenait ce temps où des pluies de soufre consumaient les cités dont les habitans étaient dominés par de viles passions qui outragent la nature, combien Naples devrait trembler! car nulle part cette dépravation n'est poussée à un tel excès. C'est ce qui explique pourquoi les filles publiques, peu nombreuses, ne se répandent ni dans les

1 Femmes scrupuleuses sur la chasteté du style, passez ce chapitre sans le lire.

rues, ni dans les carrefours de cette ville, comme à Paris et à Londres. A Naples, les prêtresses de Vénus traitent par ambassadeurs des individus à mine discrète s'approchent en tapinois des étrangers, et leur demandent s'ils ont besoin de leurs services; ils affirment qu'ils sont honnêtes gens, ayant la tromperie en horreur, et que pour tout l'or du Pérou ils ne voudraient pas compromettre leur excellente réputation.

Plusieurs femmes, afin d'éviter les frais de la diplomatie, et pour d'autres motifs, vont chercher dans les églises des dupes et des galans; elles se placent de manière à attirer l'attention, et dès qu'un homme les approche, elles lui glissent un petit papier contenant leur adresse. Quelquefois elles vont se promener dans les lieux publics, aujourd'hui en habits d'élégantes Phrynées, demain en costume de veuves éplorées. Ces manéges, direz-vous, se pratiquent dans toutes les grandes villes, oui; mais je vais citer des cir

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constances qui donnent à la ville de Naples une supériorité de dépravation sur toutes les autres capitales. Des mères de famille instruisent elles-mêmes leurs filles dans l'art de la séduction; elles cherchent avec elles et pour elles des hommes, les livrent à eux et en reçoivent le prix. Voulant ajouter à l'expérience d'autrui ma propre expérience, j'ai dû me résigner à faire moi-même l'épreuve de cette affreuse et révoltante dépravation de mœurs : Quelle est cette jeune personne qui est à vos côtés? » dis-je, à une vieille femme qui me lorgnait de temps à autre, dans l'église St-Ferdinand. « C'est ma fille, » et elle me jette son adresse dans mon chapeau, puis elle continue sa prière, se frappe la poitrine, prend de l'eau bénite, et sort; je la suis, je monte chez elle, et après cinq minutes d'entretien, je dis que je reviendrai; elle insiste pour que je reste, en disant: «Ma fille cadette vous plaira peut-être davantage?» Je parvins, non sans peine, à m'échapper.

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