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ment de sa dignité personnelle. Il est remarquable qu'à Naples, il n'y a peut-être que le joueur de marionnettes qui s'abstienne de demander la charité.

RAPSODES.

J'aperçois une réunion nombreuse en ligne circulaire, ouvrant toutes ses oreilles à la voix d'un portefaix lettré, qui récite des passages de l'Arioste et du Tasse. Les cous sont allongés par l'attention; le plaisir épanouit les visages; c'est ainsi qu'en débitant des fragmens d'Homère, les rapsodes enchantaient les villes de la Grèce. Peu à peu le capucin perd son auditoire, qui, se rapprochant du rapsode napolitain, préfère Rodomont à St-Pierre, et Clorinde à la chaste Suzanne. Bientôt le moine désappointé est obligé de se retirer pour ne pas prêcher absolument dans le désert.

Touché de sa déconvenue, je lui adresse quelques paroles consolantes et flatteuses; mais je m'aperçois qu'il ignore les vrais prin

cipes de la capucinerie : c'est un niais du métier, un capucin sans charlatanisme, enfin un moine à montrer au doigt. Dieu le conduise! il n'ira pas loin.

FUNÉRAILLES.

On gémit; on le met sur le lit funéraire :
On étend au-dessus ses habits précieux,
Dépouille si connue et si chère à leurs yeux.
D'autres, le regard morne, et l'âme désolée
Triste et lugubre emploi, portent le Mausolée,
Suivant l'usage antique ; et, tremblant d'approcher,
En détournant les yeux allument le bûcher.
L'encens, l'huile, les mets, les offrandes pieuses
Que jettent dans le feu leurs mains religieuses,
Brûlent avec le corps : des parfums onctueux
Arrosent les débris qu'épargnèrent les feux.
La douleur les confie à l'urne sépulcrale;
Le rameau de la paix répand l'onde lustrale.
DELILLE.

J'AI beaucoup étudié à Naples tous les détails relatifs aux funérailles, persuadé que je suis qu'on apprend à apprécier les vivans par leurs procédés envers les morts. Les Egyptiens, les Grecs, les Romains, chez lesquels la civilisation fut poussée au plus haut degré de perfection, prodiguaient, à leurs parens et amis décédés, les soins les plus tou

chans. Le divin Pythagore, par son ingénieuse métempsycose, ajoute encore à la religion des tombeaux. Les sauvages américains, pleins d'exaltation dans leurs sentimens soit de haine, soit d'amitié, font des choses incroyables pour témoigner leur tendresse à leurs morts ainsi le culte qu'on rend à ceux qui ont cessé d'exister, a sa source dans la nature; l'homme civilisé et l'homme sauvage protestent contre l'anéantissement. Ce besoin instinctif d'une vie future, lequel se fait si puissamment sentir dans tous les climats, doit donner à penser même aux matéria

listes.

A Naples, presque toutes les personnes jouissant d'une honnête médiocrité sont, à leur mort, portés comme en triomphe, visage découvert, dans un cercueil doré, au lieu de leur sépulture: ce cercueil est élevé sur un palanquin orné d'un grand tapis de velours rouge brodé d'or qui retombe presque jusqu'à terre, de manière à dérober aux re

gards les porteurs, dont on n'aperçoit que les pieds. Combien d'accidens ne doivent pas arriver à ces convois, dans une ville où l'immense quantité de voitures encombrent les rues!

Hier, 25 janvier, ce jour ne sortira jamais de mon souvenir, la rue de Chiaja me parut comme illuminée par des torches enflammées immobiles. J'avance avec peine à travers la foule des piétons et des équipages, et j'aperçois un convoi funèbre, du genre de ceux que je viens de décrire, lequel, engagé au milieu des brancards et des roues de voitures, ne pouvait ni avancer ni reculer. Les por teurs, en faisant de grands efforts pour sortir de cet embarras, glissent, trébuchent, et impriment au cercueil un mouvement pareil au roulis d'un navire jouet d'une mer orageuse d'élégantes napolitaines poussent un cri d'effroi en voyant une jeune femme morte, balancée au niveau de leurs têtes, et les menaçant à tout moment de tomber dans

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