Statistique générale.

II

DE LA CONDITION ÉCONOMIQUE ET DES AMÉNAGEMENTS
DES GRANDS PORTS DE COMMERCE FRANÇAIS
DE L'ATLANTIQUE.

Situation d'ensemble.

Nous venons de rappeler brièvement, dans le chapitre qui précède, quelques-unes des éventualités que nous réserve un avenir prochain.

Avons-nous fait un effort en France pour nous y préparer? Avons-nous, en même temps, songé à la nécessité qui s'impose de nous outiller en vue des besoins nouveaux de la navigation moderne?

Il serait permis d'en douter si nous nous contentions de considérer Bordeaux. Dans les autres grands ports de l'Atlantique, au contraire, d'énergiques et fécondes initiatives se sont manifestées et nous tirerons un enseignement utile d'une revision si rapide soit-elle de la condition économique actuelle de ces centres maritimes et des travaux qui y ont été réalisés ou qui y sont en voie de préparation.

Dans cette étude sommaire, il nous sera difficile d'éviter la production d'un certain nombre de statistiques dont la lecture est plus instructive que plaisante. Nous nous en excusons d'avance. Au reste, nous nous efforcerons de nous borner à quelques documents précis, suffisants pour permettre de dégager une impression d'ensemble de la situation comparative de Dunkerque, Le Havre, Saint-Nazaire, Nantes, La Pallice, La Rochelle et Bordeaux.

Jetons d'abord un coup d'œil sur le mouvement général de ces ports.

On en trouvera les éléments résumés dans le tableau suivant :

On a le sentiment très net, au premier examen de ces chiffres que, d'une façon générale, la condition économique des ports de commerce français sur l'Atlantique se montre satisfaisante. Le trafic de la plupart d'entre eux suit un mouvement ascendant dont le rythme, pour certains, s'est considérablement accentué au cours des dernières années.

Malheureusement, dans cette marche en avant, dont nous croyons devoir rendre l'allure plus sensible par la production du graphique qu'on trouvera plus loin, Bordeaux n'avance point d'un pas aussi rapide qu'il serait souhaitable, puisque nous nous trouvons aujourd'hui distancés par Dunkerque et passons du troisième au quatrième rang.

Il faut reconnaître, cependant, que notre port a fait preuve, depuis 1903, d'une activité soutenue. Nous trouverions même dans l'examen de la courbe de son tonnage de précieux motifs de confiance et d'espoir si, comme nous le montrerons tout à l'heure, l'insuffisance et la mauvaise distribution des aménagements dont nous disposons ne menaçaient de nous arrêter brusquement dans notre essor.

Et puisque nous avons été amené à parler une première fois de la crise qui commence à étreindre le commerce local, nous tenons à faire, dès maintenant, une franche déclaration et à dire nettement pourquoi nous nous sommes fait une règle, dans ce travail, d'aborder de front et de mettre en pleine lumière des sujets sur lesquels ce fut trop longtemps une tradition sacrée pour les Bordelais « de garder de Conrart le silence prudent ».

. Nous estimons qu'il convient de rompre délibérément avec la politique qui consiste à jeter un voile sur nos faiblesses, sous prétexte de ne pas fournir des arguments à nos détracteurs.

C'est avec un pareil système que nous en sommes arrivés à nous endormir peu à peu dans une sécurité trompeuse et surtout à laisser l'opinion publique se désintéresser, chaque

1. Nous en devons la communication à l'obligeance du Secrétariat de la Chambre de Commerce.

jour davantage, de questions qui devraient la passionner d'autant plus vivement que de leur solution peut dépendre l'avenir de la cité.

Nous ne saurions, hélas! en disant toute la vérité, risquer d'ajouter au discrédit dans lequel notre port est tombé auprès des armateurs français et étrangers.

En revanche, c'est la conscience très nette des conséquences

redoutables de notre inertie qui peut seule réveiller l'opinion, nous imposer l'oubli des vaines querelles au milieu desquelles ont sombré déjà tant de projets utiles, nous apprendre à faire vite et grand, donner à ceux qui ont charge de préparer l'avenir, avec le souci de leurs responsabilités, l'autorité nécessaire pour engager résolument les lourdes dépenses qui sont inévitables.

D'ailleurs, usant vis-à-vis de nous-mêmes d'une entière franchise, nous nous trouverons d'autant plus à l'aise pour signaler les insuffisances ou les défectuosités que nous pourrons reconnaître dans l'outillage des autres ports de commerce de l'Atlantique.

Pour chacun de ceux-ci, nous allons examiner successivement:

le mouvement du commerce extérieur;

les aménagements actuels et les travaux en cours;
les travaux projetés.

Commerce extérieur.

Dunkerque.

Dunkerque a présenté, en 1906, une situation prospère1. Les importations ont augmenté de 495,256 tonnes, s'élevant de 1,843,776 à 2,339,032 tonnes. Elles sont alimentées principalement par les houilles, dont le tonnage s'est accru dans de fortes proportions à la suite de la grève prolongée des charbonnages français; par les minerais de fer, de zinc, de plomb et de cuivre; les céréales; les graines et fruits oléagineux (lin, pavot, moutarde, arachides, coton, etc.); les produits chimiques (le nitrate de soude à lui seul figure pour plus de 170,000 tonnes); les bois; les textiles (lin, jute, laines, etc.).

A l'exportation, les statistiques enregistrent un fléchissement de 66,196 tonnes, avec un chiffre de 573,352 tonnes contre

1. Cette prospérité de Dunkerque est due, pour une large part, aux facilités qu'offre à son commerce le vaste réseau de canaux qui relie le port tant avec l'intérieur du pays (canaux de Bergues et de Bourbourg) qu'avec la Belgique (canal de Furnes). Ces voies navigables sont, d'une façon générale, larges et sans écluses, les accidents de terrain étant ignorés dans la plaine flamande.