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des combinaisons rythmiques et harmoniques qui enrichissent sa palette orchestrale, par l'importance qu'il attribue à la symphonie instrumentale en vue de renforcer et d'intensifier, soit l'expression dramatique, soit la déclamation lyrique, il a largement ouvert les voies au drame lyrique contemporain tel qu'est en train de le réaliser et de le pousser à son point d'achèvement la jeune école française dont nous avons cité les chefs les plus autorisés.

Précisément, en raison de son influence spéciale et limitée, l'œuvre de Chabrier continuera de tenir une place très honorable dans l'évolution du drame lyrique moderne. A ce point de vue, le directeur du Grand-Théâtre de Bordeaux a droit aux éloges des amis de l'Art pour avoir remis en lumière un ouvrage trop peu connu de la génération actuelle, trahissant, il est vrai, par le manque d'unité et d'homogénéité de sa facture, l'époque intermédiaire où il a vu le jour, mais où, par les défauts comme par les qualités, la personnalité du compositeur se dégage tout entière, et porte la marque indélébile du remarquable talent musical d'E. Chabrier.

TH. FERNEUIL.

UN POÈTE BORDELAIS DU XVII SIÈCLE

ÉLIE DE BÉTOULAUD

Dans un repli de la vallée de la Dordogne, rivale méconnue de la Loire par le pittoresque de ses châteaux et le vallonnement de ses paysages, se cache la petite ville de Saint-Émilion, aujourd'hui bien déchue, mais qui eut dans la Guyenne son heure de célébrité et qui doit encore à ses vins une renommée sans cesse grandissante.

Proche de cette petite ville et sur un des coteaux qui domine la plaine de Castillon, où la guerre de Cent ans vécut sa dernière bataille et qu'illustra la mort de Talbot, se dresse une assez vaste demeure, jadis résidence favorite d'un Gascon dont le nom, peu connu à l'heure actuelle, eut cependant quelque réputation dans cette société d'« honnêtes gens », qui fleurit au XVIIe siècle, à la cour, à la ville et même en province.

Poète souvent heureux, penseur ingénieux, courtisan idolâtre de Louis XIV, Élie de Bétoulaud n'a trouvé jusqu'à ce jour que des biographes rapides, la plupart dédaigneux de son œuvre et de sa vie pourtant intéressantes.

Certains sans doute, et parmi les récents et les plus érudits, durent à une documentation scrupuleuse et éclairée de ne point tomber dans les erreurs matérielles de leurs devanciers, mais aucun n'a cru devoir' consacrer plus de vingt ou trente lignes d'une notice sommaire à cette très curieuse figure, où se concilient à la fois tous les défauts et toutes les qualités de la race gasconne.

Le but de cette étude serait de contribuer à combler cette lacune d'histore provinciale, à l'aide des documents assez nombreux qu'une parenté, d'ailleurs fort éloignée avec Élie de Bétoulaud, a fait tomber dans nos mains.

LA FAMILLE DE BÉTOULAUD.

Dans le sottisier de M. de Raoul, pamphlet qui renferme sur tous et chacun des personnages en vue de Guyenne et de Gascogne les épigrammes les plus acérées, se lit le quatrain suivant, dont la crudité des termes et l'infériorité de la forme s'allient par une conciliation toute mondaine à l'inexactitude malveillante :

Ci-gît le vain et puant Bétoulaud,

Issu d'un grand apothicaire,

Qui, après avoir renversé son cerveau,
Rendit son âme par derrière.

Cette critique de la famille de Bétoulaud est errónée, comme la plupart des satires.

Notre poète se piquait de noblesse, on verra qu'il n'avait point tout à fait tort; en tout cas, il critiquait avec vivacité ceux qui prenaient de cette « savonnette» sans y avoir droit, à en juger du moins par l'épigramme que, de son côté, il lançait contre les parvenus et les arrivés de son temps.

Je te veux bien par charité
Croire un homme de qualité,
Tu le dis à toute la terre,
Mais afin de le prouver mieux
Fais démolir près de Saint-Pierre'
La boutique de tes aïeux 2.

Il est probable que si son origine avait été aussi modeste que le veut le sottisier, Bétoulaud aurait mis une sourdine prudente à l'expression de sa pensée.

Sans doute M. Leo Drouyn, dans ses Variétés girondines (t. II, p. 19), parle bien d'une Marguerite d'Agès, mariée avec Pierre Bousson, maître apothicaire, desquels serait née une fille mariée avec un Bétoulaud; mais ce renseignement, dont nous ignorons la source, ne saurait confirmer l'épigramme, l'ascendance directe et collatérale des Bétoulaud n'offrant aucune alliance de ce nom.

1. Église et paroisse de Bordeaux.

2. Archives de Ferrand, épigrammes de M. de Bétoulaud.

La famille des Bétoulaud, en effet, sans être ancienne, appartenait à cette noblesse de robe dont le rôle fut si important dans le Bordelais. Par ses alliances et ses charges, elle se rattachait à ce monde parlementaire auquel parfois le talent et presque toujours la fortune et l'honorabilité d'une existence consacrée à ce qui paraissait être l'intérêt général, donnaient en province un éclat incontesté et une influence prépondérante. Ce n'était plus guère, d'ailleurs, qu'à la cour et dans certaines régions, telles que le Languedoc, la Bretagne et le Dauphiné, que la distinction des deux noblesses de robe et d'épée s'affirmaient, parfois un peu blessante pour la première. Encore peut-on dire que, durant les deux premiers tiers du XVII° siècle, la Cour elle-même se montra peu scrupuleuse sur cette ancienneté de race qui, au xvш° siècle, devint pour les « présentés » l'intérêt capital de l'existence et l'origine des fraudes les plus curieuses et des passe-droits les plus marqués.

Henri IV et Louis XIII regardaient plus aux services rendus et aux fidélités loyales qu'aux trois parchemins par génération exigés par Chérin ou d'Hozier.

Du reste, quand un gouvernement exclut, sous quelque prétexte que ce soit, telle ou telle partie de la nation de ses conseils et de sa vie, c'est que sa décadence est proche et que sa faiblesse ne peut plus s'appuyer que sur des abus.

Le plus anciennement connu des Bétolaud, pour conserver l'orthographe ancienne, paraît être André Bétolaud, écuyer, licencié en droit, seigneur de Château-Renaud, dans le vicomté de Bridiers, sénéchal et juge ordinaire de la Souterraine en Limousin. Il naquit à la fin du xv° siècle et testa le 15 janvier 1554. Un incendie qui détruisit les Archives de la petite ville

1. Armorial général (5 janvier 1698) Gabriel de Bétoulaud, écuyer. Armes : d'argent à un peuplier arraché de sinople et une bordure d'azur, chargée d'étoiles sans nombre.

Cette bordure paraît avoir été ajoutée par le poète Élie de Bétoulaud, les armes primitives de la famille ne la comportent pas.

On lit dans Meller, Armorial du Bordelais, t. I" De Bétoulaud, seigneurs de S' Poly, Ferrand, Jangueblanc. Famille fixée dans le S' Emilionnais au xvi' siècle. Bourgeois de Bordeaux 1610. Emplois : Un conseiller au Parlement de Bordeaux (1642); un premier jurat de S' Emilion, jurat de Bordeaux (1650); un poète célèbre; un capitaine du régiment d'Artois. Alliances: De Marcins, de S' Sever (161.), de Saintout (161.), de Forquier (163.), Bouquey (158.), de Bellepierre (1685.).

de la Souterraine au xvr° siècle n'a pas permis de remonter plus loin cet essai généalogique.

De ses trois fils, le second, Gabriel, quitta le Limousin et vint en Guyenne. La raison de ce départ est inconnue, mais elle paraît avoir eu pour cause le mariage en 1580 de Gabriel avec Marie Bouquey, d'une famille bourgeoise très ancienne de Saint-Émilion, et en possession bien longtemps avant cette époque de la terre de Saint-Poly qui, depuis, est demeurée dans la famille de Bétoulaud ou dans celle de ses héritiers 1.

Ce mariage fut, sans doute, dû aux relations de la femme d'André Bétoulaud, Claude Dalesme, ou d'Alesme avec le monde parlementaire de Bordeaux auquel appartenait sa famille 2.

Gabriel habita tour à tour Saint-Poly, Saint-Émilion où il occupait les fonctions de juge, Bordeaux où il se fit inscrire au barreau.

Dès cette génération le nom de Bétolaud commença à s'écrire Bétoulaud, orthographe qui devint, pour ainsi dire définitive avec le fils de Gabriel, Hélie, écuyer, seigneur de Saint-Poly, avocat à la Cour comme son père et jurat de Bordeaux. Hélie obtint le 31 juillet 1610 des lettres de bourgeoisie et, dans presque tous les actes de sa vie, il prit ou reçut la particule dite nobiliaire.

Celle-ci lui fut même donnée dans plusieurs actes officiels et notamment sous les signatures de Louis XIII et de la régente Anne d'Autriche, consécrations légales, aux dires de certains héraldistes, d'une prise de possession que légitimaient peut-être l'ancienneté de la famille et les charges qu'elle avait remplies.

Hélie de Bétoulaud ne fit pas de Saint-Émilion sa résidence habituelle; il se fixa à Bordeaux pour y exercer sa profession d'avocat et s'y maria le 27 août 1606 avec Catherine de Saint

1. Dans Meller, loc. cit., t. I" : Bouquey. Sieurs de la Grave, Fonrazade-la-Croix. Famille bourgeoise de S' Émilion. Emplois : un jurat de S'Émilion (1555); un procureur du roi ; des maires, cinq fois (de 1589 à 1790); des jurats (14 fois de 1485 à 1782); un lieutenant du régiment de Montmorin; un garde du roi. Alliances: de Cases (16..), de Soze (1701 et 1797), de Lescure (15..), Dureau (1717), Dupeyrat (17..).

La célèbre Madame Bouquey, connue pour son dévouement aux Girondins, appartenait à cette famille.

2. Meller, loc. cit., t. I. D'Alesme, M" de S' Pierre de Limeuil (érection de 1761), barons d'Ambès, etc. Ancienne famille connue en Périgord depuis 1305, etc.

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