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LE VOYAGE DE LA COUR DANS LE MIDI

(1659-1660)

D'APRÈS LA CORRESPONDANCE

DE L'ABBÉ ET DU MARQUIS DE COISLIN

(Suite)

Et maintenant, c'est de Toulon où une revue des galères avait paru nécessaire, que l'abbé nous donne des nouvelles du royal déplacement:

>> Monseigneur,

<< De Toulon le X feurier 1660 1.

>> Le roy arriua icy samedi dernier après auoir esté à la Ste Beaume passant touiours dans les rochers et mesme la reyne était contrainte de se faire porter en chaise. Le roy a trouué toulon si beau qu'il y demeurera encore dix ou douze iours. Son Eminence, donna hier. acolation a leurs maiestés dans une bastide qui est sur le bord de la mer et elles y furent dans la galère de S. E. Le roy va remettre les vaisseaux et les galères en estat mais l'on ne scaict pas encor pour quelle dessein. On croit que l'affaire de Marceille pourra s'accommoder. Le capitaine des guides a reçu ordre de faire raccommoder les chemins pour aller d'icy à Marceille. Mademoiselle partit il y a quatre ou cinq iours pour s'en aller trouuer Monsieur à cause de l'extrémité en laquelle il est. Il se fit hier à hières un combat entre quelques mousqueterres. Voilà tout

1. Le 10 février, disons-nous, et non le 4, ainsi que l'indique M. Kerviler. 2. Mazarin, naturellement.

ce que ie scay. Je vous prie de vouloir auoir touiours de l'amitié pour moy et de me croire avec respect.

>> Monseigneur

» vostre très humble et très obéissant serviteur et fils.

» L'ABBÉ DE Coislin. >>

« Monsieur, » c'est-à-dire Gaston d'Orléans, oncle du roi, dont le loyalisme suspect et si souvent défaillant avait causé tant d'embarras à Richelieu d'abord, à Mazarin ensuite durant la Fronde, alors mourant et près duquel Mademoiselle se rendait en toute hâte pour l'assister dans ses derniers moments; Mademoiselle, duchesse de Montpensier sa fille, la «grande Mademoiselle », l'une des grandes vaincues de cette époque, comme son émule Longueville, aussi comme Condé, comme Conti jadis, l'ancien chef des forces de la Fronde en Guienne dont nous dit également deux mots l'abbé dans le billet suivant daté de Brignoles, car la cour, au lieu de se rendre directement à Marseille, avait changé d'itinéraire et retournait préalablement à Aix.

«De Briniolle1 ce 21 feurier 1660.

» Je vous diray pour nouuelles que Mr le prince de Conty a le gouuernement de Languedoc sans auoir pourtant la disposition des places. Le roy reprend les gouuernements du Languedoc de ceux entre les mains de qui Monsieur Le Duc d'Orléans les auroit mis et les donnera à d'autres. Le roy a cassé tous les capitaines des galères affin d'y pouuoir commettre toutes les fois qu'il les enverra en mer. Il arriva hier au soir icy un courrier d'Espagne qui apportoit que le roy seroit sur la frontière au uintièmme du mois d'auril. Mr Le Mareschal de Grammont 3 doit partir demain d'Aix pour bayonne affin de faire son mariage auparavant que le roy y arrive.

>> C. »

1. Briniolle, et non Criniolle que transcrit M. Kerviler.

2. C'est-à-dire les postes du gouvernement militaire de la province du Languedoc que le roi se réserve de pourvoir à l'exclusion du prince de Conti, gouverneur général.

3. Le maréchal de Grammont, envoyé officiel pour demander la main de l'Infante.

Désormais on sent ici la main du maître. «< Tout ce qui restait du règne passé allait être anéanti1. >>

Des actes du duc d'Orléans le roi fait litière, ses créatures sont destituées; Conti, encore que rentré depuis quelque temps en grâce, se voit privé de la Guienne et dans son nouveau poste a des pouvoirs fort amoindris. Le temps n'est-il pas proche d'ailleurs où repentant, humble et soumis, sous l'influence des plus nobles scrupules, il versera pour des œuvres diverses 1,600,000 livres en compensation des dégâts causés par lui dans les troubles du Bordelais, où la duchesse de Longueville s'efforcera, elle aussi, pour réparer ses désordres, d'opérer des restitutions analogues. Décidément le roi est maître et l'on a pu dire en toute vérité de ce voyage, qu'il fut une marche triomphale.

Et passant sur deux billets sans grand intérêt de cette correspondance, nous voici de nouveau à Aix.

« De Aix, le 28 feurier 1660.

>> Monseigneur,

Après vous auoir asseuré de mes respects, ie vous diray que iay eu grande ioye d'apprendre par la bouche du sieur Olrine, huissier du Conseil, la parfaitte santé en laquelle vous este, on dict icy que vous l'aves enuoyé pour quelque différent que vous avies eu auec M. le premier président. Il a enuoyé aussy un courier et a addressé son pacquet à M. de Lionne 2. La communauté du pays donne au roy sept cent soisante et quatre mil liure et ne laisserons pas d'entretenir touttes choses comme à l'ordinaire: Ils n'auoient donné les autres années que trois cent mil liure. On croit que M. le marquis de Castre aura le gouuernement de Montpellier en donnant une bonne somme d'argent. Le roy s'en ira dans deux ou trois jours à Marseille et vers le quinsième du mois qui vient il partira pour le Languedoc. Ie ne

1. Mémoires de M" de Motteville.

2. Alors ministre d'Etat. L'année suivante nommé ministre des affaires étrangères, en raison des services rendus par lui, lors des négociations avec l'Espagne.

scay que cela qui puisse estre digne de vous estre mandé. le demeureray touiours avec respect

>> Monseigneur

» Votre très humble et très obéissant serviteur et fils,

» L'ABBÉ De Coislin. »

On remarquera ce don fait par la Provence au Trésor, de 764,000 livres, grosse somme, impôt déguisé sous couleur de loyalisme; usage plutôt onéreux qui pouvait rendre redoutable la faveur d'une visite royale. Bordeaux, peu avant, en avait fait l'expérience quand, la ville désireuse de témoigner dignement sa joie, le ministre lui avait fait comprendre que rien plus qu'un cadeau de ce genre ne pouvait plaire à Louis XIV. Ci 70,000 livres dont le commerce bordelais, fort éprouvé, s'était saigné1.

Est-ce à dire que la faveur pour une ville de province de la visite des grands ait cessé d'être onéreuse? Il suffirait pour s'édifier et n'en douter, de consulter les registres de nos jurades modernes. Au surplus, nous reviendrons sur celte pénurie du Trésor au temps de Louis XIV.

D'Aix, la cour, nous le savons, devait se rendre et même depuis quelque temps à Marseille.

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>> Estant hier dans la Chambre du Roy, quelques personnes vinrent à parler des Capucins de Turenne et elles dirent qu'ils en auoint emprisonné un du contraire partit. Il y eust un mareschal des logis du Roy qui dict que son frère auoit esté mis en prison par eux et qu'il ne scauoit pas où il estoit, ce qui obligea tout le monde à me prier de vous escrire pour vous supplier de leurs ordonner de le mettre en liberté, que s'ils ont peurs de luy quand il sera dehors il demande pour

1. P. MELLER, Louis XIV à Bordeaux, p. 2, note 2.

2. Vieux soldats de Turenne ayant suivi les avatars de leur illustre chef.

prison, le chasteau d'Angers ou bien le lieu qu'il vous plaira luy ordonner. Ie demeureray touiours avec respect

>> Monseigneur

>> vostre très humble et très obéissant seruiteur et fils. » L'ABBÉ DE COISLIN. >>

L'abbé est ici tout à fait dans son rôle. Intermédiaire pour le bien entre la cour et son parent le chancelier, on peut croire qu'il dut avec empressement s'interposer entre les << capucins» de Turenne et leur victime bien infortunée; car, pour le noter en passant, l'incarcération dans le sombre château d'Angers, sollicitée comme une faveur, laisse deviner en quel état lamentable on supposait le prisonnier.

Enfin, tout à Marseille calmé, tout aplani, la cour revint pour un dernier séjour à Aix, où auprès de d'Oppède, le Président du Parlement, le roi n'avait cessé de trouver efficace appui et conseils éclairés.

Là on apprend que la date de la venue du roi d'Espagne, précédemment annoncée, est sensiblement retardée ce qui paraît plutôt contrarier cette cour un peu lasse d'un camp volant incessant et de ce séjour par trop prolongé pour elle en province.

>> Monseigneur,

<< De Aix, le 13 mars 1660

» Après vous auoir asseuré de mes respects ie vous diray que ce matin i'ay demanday au roy s'il feroit la Cène 1. Il m'a respondu qu'il ne scauoit pas s'il la feroit ne scachant pas où il seroit pour ce temps là. Le roy d'Espagne ne partira de Madrid que le vingt quatre du mois prochain, ce qui nous attriste fort et qui nous faict appréhender que le mariage ne se fasse qu'au mois d'Octobre. La ieune princesse d'Orange ayant depuis quelques années prié le roy de faire sortir de la citadelle d'Orange le conte de Dona, le roy estant venu à bout de cela par le moyen de deux cent mil liure qu'on lui donnoit, de

1. Cérémonies du Jeudi saint auxquelles le Roi présidait et prenait part selon les antiques traditions.

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