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J'ose croire que c'est uniquement par ce même principe, parce que la masse du feu qui les choquait n'était point assez puissante, il fallait que la quantité du feu vainquit la quantité de résistance de l'atmosphère de ces charbons cette atmosphère est très-dense et très-sensible. Tous les corps en ont une; mais celle du charbon est beaucoup plus épaisse, elle augmente à mesure qu'ils sont échauffés, elle les défend contre l'action de ce feu qui n'est que médiocre. Je suis très-persuadé que, si on avait jeté ma boîte de fer dans un feu plus violent qui eût pu la fondre, ces charbons se seraient embrasés dans leur boîte sans le secours de l'air extérieur.

Il paraît donc qu'il ne s'agit dans tout ceci que du plus et du moins dans tous les cas possibles; on peut donc admettre cette règle « qu'un petit feu a besoin d'air et qu'un grand feu n'en a nul besoin. »>

Il n'y a pas d'apparence que le feu du soleil subsiste par le secours d'aucune matière environnante semblable à l'air; car cette matière, étant dilatée en tous sens par ce feu prodigieux d'un globe un million de fois plus gros que le nôtre, perdrait bientôt tout son ressort et toute sa force.

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Nous avons déjà été obligés de prévenir cet article en parlant de l'aliment du feu (article précédent); car il était impossible de traiter de ce qui le nourrit, sans supposer ce qui l'éteint.

On dit d'ordinaire que le feu est éteint, et le vulgaire croit qu'il cesse de subsister, quand on cesse de le voir et de le sentir; cependant la même quantité de feu subsiste toujours: ce qui s'est exhalé d'une forêt embrasée s'est répandu dans l'air et dans les corps circonvoisins; il ne se perd pas un atome de feu, il en reste toujours beaucoup dans les corps dont on fait cesser l'embrasement.

Ce que l'on doit entendre par l'extinction du feu n'est autre chose que la matière embrasée, réduite à ne contenir que la quantité de masse et de mouvement de feu proportionnelle à la quantité de matière qui

reste.

Un métal en fusion, par exemple, ne contient plus, quand il est refroidi, qu'une masse de feu déterminée, dont l'action est surmontée par la masse du métal; et il s'est exhalé la masse de feu étrangère, dont l'action avait surmonté la résistance de ce métal.

Si ce métal ne s'est enflammé que par le mouvement, comme l'essieu d'un carrosse, il n'a point acquis de feu étranger; mais la masse de feu contenue dans sa substance a acquis un mouvement nouveau; et la vitesse multipliée par cette même masse de feu ayant échauffé le corps, la cessation de ce mouvement étranger le refroidit. Pour éteindre un feu quelconque, il faut donc diminuer sa masse ou son mouvement.

L'air incessamment renouvelé, servant de soufflet pour entretenir tout feu médiocre, l'absence de cet air suffit pour que le feu s'éteigne. L'eau jetée sur le feu l'éteint pour deux raisons: premièrement, parce qu'elle touche la matière embrasée et se met entre l'air et elle secon

dement, parce qu'elle contient bien moins de feu que le corps embrasé qu'elle touche.

L'huile, au contraire, contenant beaucoup de feu, augmente l'embrasement au lieu de l'éteindre.

Comme l'extinction du feu dépend toujours de la quantité de la force de cet élément, et de la force qu'on lui oppose, un charbon ardent, un fer ardent même, s'éteignent dans l'huile la plus bouillante comme dans l'eau froide.

La raison en est que ces petites masses de feu n'ont pas la force de séparer les flegmes de l'huile, et que cette huile bouillante n'ayant qu'une chaleur déterminée qui la rend froide, par comparaison au fer ardent, elle le refroidit en le touchant, en appliquant à sa surface des parties froides qui diminuent le mouvement du feu qui pénétrait ce fer ardent.

Le même fer embrasé s'éteindra dans l'alcool le plus pur, quoique cet alcool soit empreint de feu; et cela précisément par la même raison qu'il s'éteint dans l'huile : mais pour que du fer embrasé s'éteigne dans l'alcool, il faut que ce fer ne jette point de flamme; car s'il en jette, cette flamme touchera l'alcool avant que le fer soit plongé, et alors la liqueur s'enflammera.

La raison en est que les vapeurs légères de l'alcool sont aisément divisées par les parties fines de la flamme; mais le feu du fer ardent, tout chargé de grosses molécules de fer, entre brusquement dans cet espritde-vin, dont la partie aqueuse le touche en tous ses points, et refroidit tout ce qu'elle touche.

Un charbon ardent, et tout feu médiocre, s'éteint plus vite aux rayons du soleil et dans un air chaud que dans un air froid, par la raison cidessus alléguée, que l'air est un soufflet nécessaire à tout feu médiocre, et que ce charbon est plus pressé dans un air froid moins dilaté, que dans un air chaud plus dilaté.

Un flambeau s'éteint dans l'air non renouvelé par la même raison, et parce que la fumée retombant sur la flamme, s'y applique, et ralentit le mouvement du feu.

Un flambeau s'éteint dans la machine du vide, parce que l'air n'y a plus aucune force qui puisse faire monter la cire dans la mèche en pressant sur elle.

Ce qu'on aurait encore à dire sur cette matière se trouve en partie à l'article précédent, et l'on craint d'abuser de la patience des juges.

VIE DE M. J. B. ROUSSEAU.

(1738.)

I. Sa naissance, son éducation et sa comédie du Café.

Jean-Baptiste Rousseau naquit à Paris dans la rue des Noyers, en 16701. Dieu, qui donne comme il lui plaît ce que les hommes appellent la grandeur et la bassesse, le fit naître dans un état très-humilié. Sa mère avait été longtemps servante et son père garçon cordonnier. Mais une petite succession étant venue au père, il devint maître cordonnier et acquit même de la réputation dans son métier et dans son corps. Il en fut syndic, et il était regardé par ceux avec qui il vivait comme un trèshonnête homme; réputation aussi difficile à acquérir parmi le peuple que chez les gens du monde. Le père n'épargna rien pour donner à son fils une éducation qui pût le mettre au-dessus de sa naissance. Il le destinait d'abord à l'Eglise, profession où l'on fait souvent fortune avec du mérite sans naissance, et même sans l'un et sans l'autre ; mais les mœurs du jeune homme n'étaient pas tournées de ce côté-là. Le père de Rousseau, par une destinée assez singulière, chaussait depuis longtemps M. Arouet, trésorier de la chambre des comptes, père de celui qui a été depuis si célèbre dans le monde sous le nom de Voltaire et qui a eu avec Rousseau de si grands démêlés. Le sieur Arouet se chargea de placer le jeune Rousseau chez un procureur nommé Gentil. Rousseau ne se sentait pas plus destiné aux lois qu'à l'Église : il lisait Catulle chez son maître : il allait aux spectacles, et ne travaillait point.

Un jour son maître lui ayant ordonné d'aller porter des papiers chez un conseiller du parlement, le petit Rousseau dit à ce conseiller, avec la vanité d'un jeune homme : « M. Gentil, mon ami, m'a prié, monsieur, de vous rendre ces papiers en passant dans votre quartier. » Le conseiller étant venu le jour même chez le procureur, et voyant ce jeune homme dans les fonctions de son emploi, avertit le maître de la petite vanité du clerc; le procureur battit son clerc, lequel ́sortit et renonça à la pratique. Cette aventure valut à la France un poëte distingué.

Rousseau débuta, l'an 16942, par la comédie du Café, petite pièce d'un jeune homme sans aucune expérience, ni du monde, ni des lettres, ni du théâtre, et qui semblait même n'annoncer aucun génie; un jeune officier fit cet impromptu en ma présence à cette comédie : Le Café toujours nous réveille;

Cher Rousseau, par quel triste effort,

1. Jean-Baptiste Rousseau est né à Paris le 6 avril 1671. (ÉD.) 2. Le 2 août. (ÉD.)

Fais-tu qu'ici chacun sommeille?
Le Café chez toi seul endort.

Cette comédie valut à l'auteur quelque argent, mais nulle réputation. Il avait une écriture assez bonne, qui lui fut alors plus utile que l'esprit; elle lui procura une place de copiste dans la secrétairerie de M. de Tallard, ambassadeur en Angleterre et depuis maréchal de France.

Son génie pour les vers et pour la satire commençait déjà à se développer; il eut l'impudence de faire une épigramme contre M. de Tallard, qui se contenta de le chasser de sa maison.

II. Ses premiers maîtres et ses premières satires.

Revenu en France assez pauvre, il fut domestique chez un évêque de Viviers. Ce fut là qu'il composa la Moisade 1; et l'évêque, ayant vu cet ouvrage écrit de la main de Rousseau, le chassa très-ignominieusement. Obligé de chercher un maître, il entra dans la secrétairerie de l'ambassade de Suède et n'y resta que très-peu de temps: son goût et ses talents le voulaient à Paris; chargé à son retour d'une lettre pour le baron de Breteuil, introducteur des ambassadeurs, il lui récita quelques-uns de ses vers. M. de Breteuil avait beaucoup de goût et de culture d'esprit. Il retint Rousseau chez lui en qualité de secrétaire et d'homme de lettres; il eut pour lui beaucoup de bontés.

Dans les maisons un peu grandes, il y a souvent des querelles et castilles entre les principaux domestiques. Rousseau, qui avait cet amourpropre dangereux qu'inspire la supériorité du génie, quand la raison ne le retient point, fut assez maltraité dans un voyage qu'il faisait avec eux à Preuilly, terre du baron en Touraine. Rousseau fit retomber sur le maître le désagrément qu'il recevait de ses gens. Il composa contre lui une petite satire intitulée la Baronnade, comme il avait intitulé sa pièce contre Moïse, la Moisade, et comme depuis il appela celle contre M. de Francine, la Francinade: il l'avoua quelques années après à Mme la duchesse de Saint-Pierre, sœur de M. de Torcy. Le bruit de cette satire vint aux oreilles du baron; mais Rousseau lui protesta avec serment que c'était une calomnie. Il lui fut aisé de persuader son maître, car il n'avait donné aucune copie de cette satire. Son maître résta son protecteur; il le mit chez M. Rouillé, intendant des finances, dans l'espérance que M. Rouillé lui procurerait un emploi, à l'aide duquel il pourrait cultiver son talent. M. Rouillé avait lui-même quelque disposition à la poésie; il faisait des chansons de table assez passablement, et ce fut chez lui que Rousseau fit ses premières épigrammes dans le goût de Marot, et quelques vaudevilles.

M. Rouillé avait une maîtresse, nommée Mlle de Louvancourt, qui avait une très-jolie voix et qui quelquefois composa les paroles de ses chansons. Rousseau apprit un peu de musique pour leur plaire, il composa

Elle est de Lourdet. (ED.)

aussi les paroles des cantates que Bernier, maître de la Sainte-Chapelle, mit en musique, et ce sont les premières cantates que nous ayons eues en français. Il les retoucha depuis. Il y en a de très-belles; c'est un genre nouveau dont nous lui avons l'obligation.

Cette vie qu'il menait chez M. Rouillé eût été délicieuse; mais le malheureux penchant qu'il avait pour la satire lui fit perdre bientôt son bonheur et ses espérances. M. Rouillé avait fait une chanson qui commençait ainsi :

Charmante Louvancourt,

Qui donnez chaque jour

Quelque nouvel amour, etc.

Rousseau la parodia d'une manière injurieuse :

Catin de Louvancourt,

Qui prenez chaque jour

Quelque nouvel amour.

Le reste contient des expressions que la pudeur ne permet pas de rapporter.

Voilà donc encore Rousseau chassé de chez ce nouveau patron; et c'est pourquoi, dans les éditions qu'il a faites en Hollande de ses ouvrages, il a ôté le nom de M. Rouillé de la dédicace d'une ode qu'il lui avait adressée, qui commence ainsi :

Digne et noble héritier des premières vertus

Qu'on adora jadis sous l'empire de Rhée.

Il désigna aussi, dans une satire très-violente, Mlle de Louvancourt et ses deux sœurs, par ces vers:

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III. Sa comédie du Flatteur; ses opéras.

Rousseau, privé de toute ressource dans le monde, songea à réussir au théâtre. Il ne jouait pas mal la comédie son dessein était d'abord d'établir une troupe et d'y jouer; mais cette idée n'eut aucune suite. Cependant, dans les intervalles de ses aventures, il avait fait la comédie du Flatteur, dans laquelle on voit un style très-supérieur à la comédie du Café. La pièce fut jouée en 1695. Elle était bien écrite, naturelle, sagement conduite; elle eut une espèce de succès, quoique un peu froide, et qu'elle fût une imitation assez faible du Tartuffe de Molière.

Son père, qui vivait encore et qui tenait toujours sa boutique rue des Noyers, ayant entendu dire que son fils avait fait une pièce de théâtre où tout Paris courait, se crut trop payé des peines qu'il avait prises pour l'éducation d'un fils qui lui faisait tant d'honneur. Quoique l'auteur, depuis qu'il était répandu dans le monde, eût méprisé le cordon

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