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du peuple par la création d'un dictateur, devant lequel le souverain baissait la tête, et les lois les plus populaires restaient dans le silence (a).

CHAPITRE XVII.

De la puissance exécutrice dans la même république.

Si le peuple fut jaloux de sa puissance législative, il le fut moins de sa puissance exécutrice : il la laissa presque tout entière au sénat et aux consuls, et il ne se réserva guère que le droit d'élire les magistrats et de confirmer les actes du sénat et des généraux.

Rome, dont la passion était de commander, dont l'ambition était de tout soumettre, qui avait toujours usurpé, qui usurpait encore, avait continuellement de grandes affaires; ses ennemis conjuraient contre elle, ou elle conjurait contre ses ennemis.

Obligée de se conduire d'un côté avec un conrage héroïque, et de l'autre avec une sagesse consommée, l'état des choses demandait que le sénat cût la direction des affaires. Le peuple disputait au sénat toutes les branches de la puissance législative, parce qu'il était jaloux de sa liberté; il ne lui disputait point les branches de la puissance exécutrice, parce qu'il était jaloux de sa gloire.

(a) Comme celles qui permettaient d'appeler au peuple des ordonnances de tous les magistrats.

La part que le sénat prenait à la puissance exécutrice était si grande, que Polybe (a) dit que les étrangers pensaient tous que Rome était une aristocratie. Le sénat disposait des deniers publics et donnait les revenus à ferme; il était l'arbitre des affaires des alliés; il décidait de la guerre et de la paix, et dirigeait à cet égard les consuls; il fixait le nombre des troupes romaines et des troupes alliées; distribuait les provinces et les armées aux consuls ou aux préteurs; et, l'an du commandement expiré, il pouvait leur donner un successeur; il décernait les triomphes; il recevait des ambassades, et en envoyait; il nommait les rois, les récompensait, les punissait, les jugeait, leur donnait ou leur faisait perdre le titre d'alliés du peuple romain.

Les consuls faisaient la levée des troupes qu'ils devaient mener à la guerre ; ils commandaient les armées de terre ou de mer; disposaient des alliés ; ils avaient dans les provinces toute la puissance de la république ; ils donnaient la paix aux peuples vaincus, leur en imposaient les conditions, ou les renvoyaient au sénat.

Dans les premiers temps, lorsque le peuple prenait quelque part aux affaires de la guerre et de la paix, il exerçait plutôt sa puissance législative que sa puissance exécutrice : il ne fallait guère que confirmer ce que les rois, et après

(a) Liv. VI.

eux les consuls ou le sénat, avaient fait. Bien loin que le peuple fût l'arbitre de la guerre, nous voyons que les consuls ou le sénat la faisaient souvent malgré l'opposition de ses tribuns. Mais, dans l'ivresse des prospérités, il augmenta sa puissance exécutrice. Ainsi il (a) créa lui-même les tribuns des légions, que les généraux avaient nommés jusqu'alors; et, quelque temps avant la première guerre punique, il régla qu'il aurait seul le droit de déclarer le guerre (b).

CHAPITRE XVIII.

De la puissance de juger dans le gouvernement de Rome.

La puissance de juger fut donnée au peuple, au sénat, aux magistrats, à de certains juges. Il faut voir comment elle fut distribuée. Je commence par les affaires civiles.

Les consuls (c) jugèrent après les rois, comme les préteurs jugèrent après les consuls. Servius

(a) L'an de Rome 444. Tite-Live, première décade, liv. IX. La guerre contre Persée paraissant périlleuse, un sénatus-consulte ordonna que cette loi serait suspendue; et le peuple y consentit. Tite-Live, cinquième décade, liv. II.

(b) Il l'arracha du sénat, dit Freinshemius, deuxième décade, liv. VI.

(c) On ne peut douter que les consuls, avant la création des préteurs, n'eussent eu les jugemens civils. Voyez Tite-Live, décade I, liv. II, page 19; Denys d'Halicarnasse, liv. X, page 627; et même livre, page 645.

Tullius s'était dépouillé du jugement des affaires civiles; les consuls ne les jugèrent pas non plus, si ce n'est dans des eas très-rares (a), que l'on appeľa pour cette raison extraordinaires (b). Ils se contentèrent de nommer les juges et de former les tribunaux qui devaient juger. Il paraît, par le discours d'Appius Claudius dans Denys d'Halicarnasse (c), que, dès l'an de Rome 259, ceci était régardé comme une coutume établie chez les Romains; et ce n'est pas la faire remonter bien haut que de la rapporter à Servius Tullius.

Chaque année le préteur formait une liste (d) ou tableau de ceux qu'il choisissait pour faire la fonction de juges pendant l'année de sa magistrature. On en prenait le nombre suffisant pour chaque affaire cela se pratique à peu près de même en Angleterre. Et, ce qui était très-favorable à la (e) liberté, c'est que le préteur prenait les juges du consentement (f) des parties. Le

(a) « Nos ancêtres n'ont pas voulu, dit Cicéron, PRO CLUENTIO, qu'un homme dont les parties ne seraient pas convenues " pût être juge non seulement de la réputation d'un citoyen, mais même de la moindre affaire pécuniaire. »

(b) Voyez dans les fragmens de la loi Servilienne, de la Cornélienne, et autres, de quelle manière ces lois donnaient des juges dans les crimes qu'elles se proposaient de punir. Souvent ils étaient pris par le choix, quelquefois par le sort, ou enfin par le sort mêlé avec le choix.

(c) Souvent les tribuns jugèrent seuls; rien ne les rendit plus odieux. Denys d'Halicarnasse, liv. XI, page 709.

(d) JUDICIA EXTRAORDINARIA. Voyez les Institutes, liv. IV. (e) Liv. VI, page 360. (f) Album judicium.

grand nombre de récusations que l'on peut faire aujourd'hui en Angleterre revient a peu près à cet usage.

Ces juges ne décidaient que des questions de fait (a) par exemple, si une somme avait été payée, ou non; si une action avait été commise, ou non. Mais pour les questions de droit (b), comme elles demandaient une certaine capacité, elles étaient portées au tribunal des centumvirs. (c)

Les rois se réservèrent le jugement des affaires criminelles, et les consuls leur succédèrent en cela. Ce fut en conséquence de cette autorité que le consul Brutus fit mourir ses enfans et tous ceux qui avaient conjuré pour les Tarquins. Ce pouvoir était exorbitant. Les consuls ayant déjà la puissance militaire, ils en portaient l'exercice même dans les affaires de la ville; et leurs procédés, dépouillés des formes de la justice, étaient des actions violentes plutôt que des jugemens.

Cela fit faire la loi Valérienne, qui permit d'appeler au peuple de toutes les ordonnances des consuls qui mettraient en péril la vie d'un citoyen. Les consuls ne pureut plus prononcer une

(a) Sénèque, DE BENEF. liv. III, ch. VII, IN FINE.

(b) Voyez Quintilien, liv. IV, page 54, in-fol., édit. de Paris, an. 1541.

(c) Leg. II, §. 24, ff. DE ORIG. JUR. Des magistrats appelés décemvirs présidaient au jugement, le tout sous la direction d'un préteur.

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