Page images
PDF
EPUB

les mains de celui qui avait déjà la puissance exécutrice. Dès ce moment le monarque devenait terrible. Mais en même temps, comme il n'avait pas la législation, il ne pouvait pas se défendre contre la législation; il avait trop de pouvoir, et il n'en avait pas assez.

On n'avait pas encore découvert que la vraie fonction du prince était d'établir des juges et non pas de juger lui-même. La politique contraire rendit le gouvernement d'un seul insupportable. Tous ces rois furent chassés. Les Grecs n'imaginèrent point la vraie distribution des trois pouvoirs dans le gouvernement d'un seul ; ils ne l'imaginèrent que dans le gouvernement de plusieurs, et ils appelèrent cette sorte de constitution police (a).

CHAPITRE XII.

Du gouvernement des rois de Rome, et comment les trois pouvoirs y furent distribués.

Le gouvernement des rois de Rome avait quelque rapport à celui des rois des temps héroïques chez les Grecs. Il tomba comme les autres par son vice général, quoiqu'en lui-même et dans sa nature particulière il fût très-bon.

Pour faire connaître ce gouvernement, je dis(a) Voyez Aristote, Polit., liv. IV, ch. vIII.

tinguerai celui des cinq premiers rois, celui de Servius Tullius, et celui de Tarquin.

La couronne était élective; et, sous les cinq premiers rois, le sénat eut la plus grande part à l'élection.

Après la mort du roi, le sénat examinait si l'on garderait la forme du gouvernement qui était établie. S'il jugeait à propos de la garder, il nom-mait un magistrat (a) tiré de son corps qui élisait un roi; le sénat devait approuver l'élection, le peuple la confirmer, les auspices la garantir. Si une de ces trois conditions manquait, il fallait faire une autre élection.

La constitution était monarchique, aristocratique, et populaire; et telle fut l'harmonie du pouvoir, qu'on ne vit ni jalousie ni dispute dans les premiers règnes. Le roi commandait les armées et avait l'intendance des sacrifices; il avait la puissance de juger les affaires civiles (b) et criminelles (c); il convoquait le sénat; il assemblait le peuple; il lui portait de certaines affaires, et réglait les autres avec le sénat (d).

(a) Denys d'Halicarnasse, liv. II, page 120; et liv. IV, pages 242 et 243.

(b) Voyez le discours de Tanaquil, dans Tite-Live, liv. I, décade I; et le réglement de Servius Tullius, dans Denys d'Halicarnasse, liv. IV, page 229.

(c) Voyez Denys d'Halicarnasse, livre II, page 118; et liv. III, page 171.

(d) Ce fut par un sénatus-consulte que Tullus Hostilius endétruire Albe, Denys d'Halicarnasse, liv. III, pages 167 et 172.

voya

Le sénat avait une grande autorité. Les rois prenaient souvent des sénateurs pour juger avec eux; ils ne portaient point d'affaires au peuple qu'elles n'eussent été delibérées (a) dans le

sénat.

Le peuple avait le droit d'élire (b) les magistrats, de consentir aux nouvelles lois; et, lorsque le roi le permettait, celui de déclarer la guerre et de faire la paix. Il n'avait point la puissance de juger. Quand Tullus Hostilius renvoya le jugement d'Horace au peuple, il eut des raisons particulières que l'on trouve dans Denys d'Halicarnasse (d).

La constitution changea sous (e) Servius Tullius. Le sénat n'eut point de part à son élection; il se fit proclamer par le peuple. Il se dépouilla des jugemens (e) civils, et ne se réserva que les criminels. Il porta directement au peuple toutes les affaires; il le soulagea des taxes; et en mit tout le fardeau sur les praticiens. Ainsi, à mesure qu'il affaiblissait la puissance royale et

(a) Denys d'Halicarnasse, liv. IV, p. 276.

à

(b) Ibid, liv. II. Il fallait pourtant qu'il ne nommât pas toutes les charges, puisque Valerius Publicola fit la fameuse loi qui défendait à tout citoyen d'exercer aucun emploi s'il ne l'avait obtenu par le suffrage du peuple.

(c) Livre III, page 159.

(d) Livre IV.

(e) Il se priva de la moitié de sa puissance royale, dit Denys d'Halicarnasse, liv. IV, page 229.

l'autorité du sénat, il augmentait le pouvoir du peuple (a).

Tarquin ne se fit élire ni par le sénat ni par le peuple; il regarda Servius Tullius comme un usurpateur, et prit la couronne comme un droit héréditaire; il extermina la plupart des sénateurs; il ne consulta plus ceux qui restaient, et ne les appela pas même à ses jugemens (b). Sa puissance augmenta. Mais ce qu'il y avait d'odieux dans cette puissance devint plus odieux encore: il usurpa le pouvoir du peuple; il fit des lois sans lui; il en fit même contre lui (c). il aurait réuni les trois pouvoirs dans sa personne; mais le peuple se souvint un moment qu'il était législateur, et Tarquin ne le fut plus.

CHAPITRE XIII.

Réflexions générales sur l'état de Rome après l'expulsion des rois.

On ne peut jamais quitter les Romains: c'est ainsi qu'encore aujourd'hui, dans leur capitale, on laisse les nouveaux palais pour aller chercher des ruines; c'est ainsi que l'oeil qui s'est reposé

(a) On croyait que, s'il n'avait pas été prévenu par Tarquin, il aurait établi le gouvernement populaire. Denys d'Halicarnasse, liv. IV, p. 243.

[blocks in formation]

sur l'émail des prairies aime à voir les rochers et les montagnes.

Les familles patriciennes avaient eu de tout temps de grandes prérogatives. Ces distinctions, grandes sous les rois, devinrent bien plus importantes après leur expulsion. Cela causa la jalousie des plébéiens, qui voulurent les abaisser. Les contestations frappaient sur la constitution, sans affaiblir le gouvernement; car, pourvu que les magistrats conservassent leur autorité, il était assez indifférent de quelle famille étaient les magistrats.

Une monarchie élective, comme était Rome, suppose nécessairement un corps aristocratique puissant qui la soutienne, sans quoi elle se change d'abord en tyrannie ou en état populaire. Mais un état populaire n'a pas besoin de cette distinction de familles pour se maintenir. C'est ce qui fit que les patriciens, qui étaient des parties nécessaires de la constitution du temps des rois, en devinrent une partie superflue du temps des copsuls; le peuple put les abaisser sans se détruire lui-même, et changer la constitution sans la corrompre.

Quand Servius Tullius eut avili les patriciens, Rome dut tomber des mains des rois dans celles du peuple. Mais le peuple, en abaissant les patriciens, ne dut point craindre de retomber dans celles des rois.

Un état peut changer de deux manières : ou

« PreviousContinue »