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tions, le criminel, concurremment avee la loi, se choisisse des juges, ou du moins qu'il en puisse récuser un si grand nombre que ceux qui

restent soient censés être de son choix.

Les deux autres pouvoirs pourraient plutôt être donnés à des magistrats ou à des corps permanens, parce qu'ils ne s'exercent sur aucun particulier, n'étant l'un que la volonté générale de l'état, et l'autre que l'exécution de cette volonté générale.

Mais si les tribunaux ne doivent pas être fixes, les jugemens doivent l'être à un tel point qu'ils ne soient jamais qu'un texte précis de la loi. S'ils étaient une opinion particulière du juge, on vivrait dans la société sans savoir précisément les engagemens que l'on y contracte.

Il faut même que les juges soient de la condition de l'accusé, ou ses pairs, pour qu'il ne puisse pas se mettre dans l'esprit qu'il soit tombé entre les mains de gens portés à lui faire violence.

Si la puissance législative laisse à l'exécutrice le droit d'emprisonner des citoyens qui peuvent donner caution de leur conduite, il n'y a plus de liberté, à moins qu'ils ne soient arrêtés pour répondre sans délai à une accusation que la loi a rendue capitale; auquel cas ils sont réellement libres, puisqu'ils ne sont soumis qu'à la puissance de la loi.

Mais si la puissance législative se croyait en danger par quelque conjuration secrète contre

l'état, ou quelque intelligence avec les ennemis du dehors, elle pourrait, pour un temps court et limité, permettre à la puissance exécutrice de faire arrêter les citoyens suspects, qui ne perdraient leur liberté pour un temps que pour la conserver pour toujours.

Et c'est le seul moyen conforme à la raison de suppléer à la tyrannique magistrature des éphores, et aux inquisiteurs d'état de Venise, qui sont aussi despotiques.

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Comme dans un état libre tout homme qui est censé avoir une âme libre doit être gouverné par lui-même, il faudrait que le peuple encore eût la puissance législative mais comme cela est impossible dans les grands états, et est sujet à beaucoup d'inconvéniens dans les petits, il faut que le peuple fasse par ses représentans tout ce qu'il ne peut faire par lui-même.

L'on connaît beaucoup mieux les besoins de sa ville que ceux des autres villes, et on juge mieux de la capacité de ses voisins que de celle de ses autres compatriotes. Il ne faut donc pas que les membres du corps législatif soient tirés en général du corps de la nation; mais il convient que, dans chaque lieu principal, les habitans se choisissent un représentant.

Le grand avantage des représentans c'est qu'ils sont eapables de discuter les affaires. Le peuple n'y est point du tout propre; ce qui forme un des grands inconvéniens de la démocratie.

Il n'est pas nécessaire que les représentans qui ont reçu de ceux qui les ont choisis une instruction générale en reçoivent une particulière sur chaque affaire, comme cela se pratique dans les diètes d'Allemagne. Il est vrai que, de cette manière, la parole des députés serait plus l'expression de la voix de la nation; mais cela jetterait dans des longneurs infinies, rendrait chaque député le maître de tous les autres; et, dans les occasions les plus pressantes, toute la force de la nation pourrait être arrêtée par un caprice.

Quand les députés, dit très-bien M. Sidney, représentent un corps de peuple, comme en Hollande, ils doivent rendre compte à ceux qui les ont commis c'est autre chose lorsqu'ils sont députés par des bourgs, comme en Angleterre.

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Tous les citoyens, dans les divers districts, doivent avoir droit de donner leur voix pour choisir le représentant, excepté ceux qui sont dans un tel état de bassesse qu'ils sont réputés n'avoir point de volonté propre.

Il y avait un grand vice dans la plupart des anciennes républiques, c'est que le peuple avait droit d'y prendre des résolutions actives et qui demandent quelque exécution, chose dont il est entièrement incapable. Il ne doit entrer dans le gouvernement que pour choisir ses représentans, ce qui est très à sa portée. Car, s'il y a peu de gens qui connaissent le degré précis de la capacité des hommes, chacun est pourtant capable

de savoir en général si celui qu'il choisit est plus éclairé que la plupart des autres.

Le corps représentant ne doit pas être choisi non plus pour prendre quelque résolution active, chose qu'il ne ferait pas bien, mais pour faire des lois, ou pour voir si l'on a bien exécuté celles qu'il a faites; chose qu'il peut très-bien faire, et qu'il n'y a même que lui qui puisse bien faire.

II y a toujours dans un état des gens distingués par la naissance, les richesses ou les honneurs mais, s'ils étaient confondus parmi le peuple, et s'ils n'y avaient qu'une voix comme les autres, la liberté commune serait leur esclavage, et ils n'auraient aucun intérêt à la défendre, parce que la plupart des résolutions seraient contre eux. La part qu'ils ont à la législation doit donc être proportionnée aux autres avantages qu'ils ont dans l'état ; ce qui arrivera s'ils forment un corps qui ait droit d'arrêter les entreprises du peuple; comme le peuple a droit d'arrêter les leurs.

Ainsi la puissance législative sera confiée et au corps des nobles, et au corps qui sera choisi pour représenter le peuple, qui auront chacun leurs assemblées et leurs délibérations à part, et des vues et des intérêts séparés.

Des trois puissances dont nous avons parlé, celle de juger est en quelque façon nulle. Il n'en reste que deux; et comme elles ont besoin d'une puissance réglante pour les tempérer, la partie

du corps législatif qui est composée de nobles est très-propre à produire cet effet.

Le corps des nobles doit être héréditaire. Il l'est premièrement par sa nature; et d'ailleurs il fant qu'il ait un très-grand intérêt à conserver ses prérogatives, odieuses par elles-mêmes; et qui, dans un état libre, doivent toujours être en danger.

Mais, comme une puissance héréditaire pourrait être induite à suivre ses intérêts particuliers et à oublier ceux du peuple, il faut que dans les choses où l'on a un souverain intérêt à la corrompre, comme dans les lois qui concernent la levée de l'argent, elle n'ait de part à la législation que par sa faculté d'empêcher, et non pas par sa faculté de statuer.

J'appelle faculté de statuer, le droit d'ordonner par soi-même ou de corriger ce qui a été ordonné par un autre. J'appelle faculté d'empécher, le droit de rendre nulle une résolution prise par quelque autre ; ce qui était la puissance des tribuns de Rome. Et quoique celui qui a la faculté d'empêcher puisse avoir aussi le droit d'approuver, pour lors cette approbation n'est autre chose qu'une déclaration qu'il ne fait point d'usage de sa faculté d'empêcher, et dérive de cette faculté.

La puissance exécutrice doit être entre les mains d'un monarque, parce que cette partie du gouvernement, qui a presque toujours besoin

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