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était vrai, qu'à Bantam (a) il y a dix femmes pour un homme, ce serait un cas bien particulier de la polygamie.

Dans tout ceci je ne justifie pas les usages, mais j'en rends les raisons.

CHAPITRE V.

Raison d'une loi du Malabar.

Sur la côte du Malabar, dans la caste des naïres (a), les hommes ne peuvent avoir qu'une femme, et une femme au contraire peut avoir plusieurs maris. Je crois qu'on peut découvrir l'origine de cette coutume. Les naïres sont la caste des nobles, qui sont les soldats de toutes ces nations. En Europe on empêche les soldats de se marier. Dans le Malabar, où le climat exige davantage, on s'est contenté de leur rendre le mariage aussi peu embarrassant qu'il est possible on a donné une femme à plusieurs hommes; ce qui diminue d'autant l'attachement pour

(a) Recueil des voyages qui ont servi à l'établissement de la compagnie des Indes, tome I.

(b) Voyages de François Pyrard, chap. XXVII. Lettres édifiantes, troisième et dixième recueils sur le Malléami, dans la côte du Malabar. Cela est regardé comme un abus de la profession militaire': et, comme dit Pyrard, une femme de la caste des bramines n'épouserait jamais plusieurs maris.

une famille et les soins du ménage, et laisse à ces gens l'esprit militaire.

CHAPITRE VI.

De la polygamie en elle-même.

A regarder la polygamie en général, indépendamment des circonstances qui peuvent la faire un peu tolérer, elle n'est point utile au genre humain ni à aucun des deux sexes, soit à celui qui abuse, soit à celui dont on abuse. Elle n'est pas non plus utile aux enfans : et un de ses grands inconvéniens est que le père et la mère ne peuvent avoir la même affection pour leurs enfans; un père ne peut pas aimer vingt enfans comme une mère en aime deux. C'est bien pis quand une femme a plusieurs maris; car pour lors l'amour paternel ne tient plus qu'à cette opinion qu'un père peut croire, s'il veut, ou que les autres peuvent croire, que de certains enfans lui appartiennent.

On dit que le roi de Maroc a dans son sérail des femmes blanches, des femmes jaunes. Le malheureux! à peine a-t-il besoin d'une couleur.

La possession de beaucoup de femmes ne prévient pas toujours les désirs (a) pour celle d'un autre il en est de la luxure comme de l'avarice,

(a) C'est ce qui fait que l'on cache avec tant de soin les femmes en Orient.

elle augmente la soif par l'acquisition des tré

sors.

Du temps de Justinien, plusieurs philosophes, gênés par le christianisme, se retirèrent en Perse, auprès de Cosroès. Ce qui les frappa le plus, dit Agathias (a), ce fut que la polygamie était permise à des gens qui ne s'abstenaient pas même de l'adultère.

La pluralité des femmes (qui le dirait!) mène à cet amour que la nature désavoue: c'est qu'une dissolution en entraîne toujours une autre. A la révolutiou qui arriva à Constantinople, lorsqu'on déposa le sultan Achmet, les relations disaient que le peuple ayant pillé la maison du chiaya, on n'y avait pas trouvé une seule femme. On dit qu'à Alger (b) on est parvenu à ce point qu'on n'en a pas dans la plupart des sérails.

CHAPITRE VII.

De l'égalité du traitement dans le cas de la pluralité
des femmes.

De la loi de la pluralité des femmes suit celle de l'égalité du traitement. Mahomet, qui en permet quatre, veut que tout soit égal entre elleş, nourriture, habits, devoir conjugal. Cette

(a) De la vie et des actions de Justinien,
(b) Laugier de Tassis, Histoire d'Alger.

page 403.

loi est aussi établie aux Maldives (a), où on peut épouser trois femmes.

La loi de Moïse (b) veut même que si quelqu'un a marié son fils à une esclave, et qu'ensuite il épouse une femme libre, il ne lui ôte rien des vêtemens, de la nourriture et des devoirs. On pouvait donner plus à la nouvelle épouse; mais il fallait que la première n'eût pas moins.

CHAPITRE VIII.

De la séparation des femmes d'avec les hommes,

C'est une conséquence de la polygamie, que dans les nations voluptueuses. et riches on ait un très-grand nombre de femmes. Leur séparation d'avec les hommes, et leur clôture, suivent naturellement de ce grand nombre. L'ordre domestique le demande ainsi : un débiteur insolvable cherche à se mettre à couvert des poursuites de ses créanciers. Il y a de tels ́ climats où le physique a une telle force, que la morale n'y peut presque rien. Laissez un homme avec une femme, les tentations seront des chutes, l'attaque sûre, la résistance nulle. Dans ces pays, au lieu de préceptes, il faut des verroux.

(a) Voyages de François Pyrard, chap. XII. (b) Exod., chap. XXI, vers, 10 et 11.

Un livre classique (a) de la Chine regarde comme un prodige de vertu de se trouver seul dans un appartement reculé avec une femme sans faire violence.

CHAPITRE IX.

Liaison du gouvernement domestique avec le politique.

Dans une république, la condition des citoyens est bornée, égale, douce, modérée ; tout s'y ressent de la liberté publique. L'empire sur les femmes n'y pourrait pas être si bien exercé; et lorsque le climat a demandé cet empire, le gouvernement d'un seul a été le plus convenable. Voilà une des raisons qui ont fait que le gouvernement populaire a toujours été difficile à établir en Orient.

Au contraire, la servitude des femmes est trèsconforme au génie du gouvernement despotique, qui aime à abuser de tout. Aussi a-t-on vu dans tous les temps, en Asie, marcher d'un pas égal la servitude domestique et le gouvernement despotique.

Dans un gouvernement où l'on demande sur

(a) Trouver à l'écart un trésor dont on soit le maître, ou une belle femme seule dans un appartement reculé, entendre la voix de son ennemi qui va périr si on ne le secourt, admirable pierre de touche. Traduction d'un ouvrage chinois sur la morale, dans le P. du Halde, tome III, page 151.

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