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LIVRE SEIZIÈME.

COMMENT LES LOIS DE L'ESCLAVAGE DOMESTIQue ont DU RAPPORT AVEC LA NATURE DU CLIMAT.

CHAPITRE PREMIER.

De la servitude domestique.

Les esclaves sont plutôt établis pour la famille qu'ils ne le sont dans la famille : ainsi je distinguerai leur servitude de celle où sont les femmes dans quelques pays, et que j'appellerai proprement la servitude domestique.

CHAPITRE II.

Que, dans les pays du midi, il y a dans les deux sexes
une inégalité naturelle.

Les femmes sont nubiles (a), dans les climats chauds, à huit, neuf et dix ans : ainsi l'enfance

(a) Mahomet épousa Cadhisja à cinq ans, coucha avec elle à huit. Dans les pays chauds d'Arabie et des Indes, les filles y sont nubiles à huit ans, et accouchent l'année d'après. PriJeaux, Vie de Mahomet. On voit des femmes, dans les royaumes d'Alger, enfanter à neuf, dix et onze ans. Laugier de Tassis, Histoire du royaume d'Alger, , page 61.

et le mariage y vont presque toujours ensemble. Elles sont vieilles à vingt ans; la raison ne se trouve donc jamais chez elles avec la beauté. Quand la beauté demande l'empire, la raison le fait refuser; quand la raison pourrait l'obtenir, la beauté n'est plus. Les femmes doivent être dans la dépendance, car la raison ne peut leur procurer dans leur vieillesse un empire que la beauté ne leur avait pas donné dans la jeunesse même. Il est donc très-simple qu'un homme, lorsque la religion ne s'y oppose pas, quitte sa femme pour en prendre une autre, et que la polygamie s'introduise.

Dans les pays tempérés, où les agrémens des femmes se conservent mieux, et où elles sont plus tard nubiles, et où elles ont des enfans dans un âge plus avancé, la vieillesse de leur mari suit en quelque façon la leur; et, comme elles y ont plus de raison et de connaissance quand elles se marient, ne fût-ce que parce qu'elles ont plus long-temps vécu, il a dû naturellement s'introduire une espèce d'égalité dans les deux sexes, et par conséquent la loi d'une seule femme.

Dans les pays froids, l'usage presque nécessaire des boissons fortes établit l'intempérance parmi les hommes. Les femmes, qui ont à cet égard une retenue naturelle, parce qu'elles ont toujours à se défendre, ont donc encore l'avantage de la raison sur eux.

La nature, qui a distingué les hommes par la

force et par la raison, n'a mis à leur pouvoir de terme que celui de cette force et de cette raison. Elle a donné aux femmes les agrémens, et a voulu leur ascendant finît avec ces agrémens; mais, dans les pays chauds, ils ne se trouvent que dans les commencemens et jamais dans le cours de leur vie.

que

Ainsi la loi qui ne permet qu'une femme se rapporte plus au physique du climat de l'Europe qu'au physique du climat de l'Asie. C'est une des raisons qui ont fait que le mahométisme a trouvé tant de facilité à s'établir en Asie, et tant de difficulté à s'étendre en Europe; que le christianisme s'est maintenu en Europe, et a été détruit en Asie; et qu'enfin les mahométans font tant de progrès à la Chine, et les chrétiens si peu. Les raisons humaines sont toujours subordonnées à cette cause suprême, qui fait tout ce qu'elle veut et se sert de tout ce qu'elle veut.

Quelques raisons particulières à Valentinien (a) lui firent permettre la polygamie dans l'empire. Cette loi violente pour nos climats fut ôtée (b) par Théodore, Arcadius et Honorius.

(a) Voyez Jornandès DE REGNO ET TEMPOR. SUCCES. et les historiens ecclésiastiques.

(b) Voyez la loi VII, au Code, DE JUDÆIS ET CÆLICOLIS ; et ja nov. XVIII, chap. v.

CHAPITRE III.

Que la pluralité des femmes dépend beaucoup de leur entretien.

Quoique dans les pays où la polygamie est une fois établie, le grand nombre des femmes dépende beaucoup des richesses du mari, cependant on ne peut pas dire que ce soient les richesses qui fassent établir dans un état la polygamie: la pauvreté peut faire le même effet, comme je le dirai en parlant des sauvages.

La polygamie est moins un luxe que l'occasion d'un grand luxe chez des nations puissantes. Dans les climats chauds on a moins de besoins (a); il en coûte moins pour entretenir une femme et des enfans. On y peut donc avoir un plus grand nombre de femmes.

CHAPITRE IV.

De la polygamie; ses diverses circonstances.

Suivant les calculs que l'on a faits en divers endroits de l'Europe, il y naît plus de garçons.

(a) A Ceylan, un homme vit pour dix sous par mois : on n'y mange que du riz et du poisson. Recueil des Voyages qui ont servi à l'établissement de la compagnie des Indes, tome II, partie II.

:

que de filles (a) au contraire, les relations de l'Asie (b) et de l'Afrique (c) nous disent qu'il y naît beaucoup plus de filles que de garçons. La loi d'une seule femme en Europe, et celle qui en permet plusieurs en Asie et en Afrique, ont donc un certain rapport au climat.

Dans les climats froids de l'Asie il naît, comme en Europe, plus de garçons que de filles. C'est, disent les lamas (d), la raison de la loi qui, chez eux, permet à une femme d'avoir plusieurs maris (e).

Mais je ne crois pas qu'il y ait beaucoup de pays où la disproportion soit assez grande pour qu'elle exige qu'on y introduise la loi de plusieurs femmes ou la loi de plusieurs maris. Cela veuț dire seulement que la pluralité des femmes, ou même la pluralité des hommes, s'éloigne moins de la nature dans de certains pays que dans

d'autres.

J'avoue

que

si ce que

les relations nous disent

(a) M. Arbutnot trouve qu'en Angleterre le nombre des garçons excède celui des filles : on a eu tort d'en conclure que ce fût la même chose dans tous les climats.

(b) Voyez Kempfer, qui nous rapporte un dénombrement de Méaco, où l'on trouve 182,072 mâles, et 223,573 femelles. (b) Voyez le Voyage de Guinée, de M. Smith, partie seconde, sur le pays d'Anté.

(d) Du Halde, Mémoires de la Chine, tome IV, page 46. (e) Albuzéir-el-hassen, un des deux mahométans arabes qui allèrent aux Indes et à la Chine au neuvième siècle, prend cet usage pour une prostitution, C'est que rien ne choquait tant les idées mahométanes.

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