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climats qui ont formé les différéntes manières de vivre; et ces différentes manières de vivre ont formé les diverses sortes de lois. Que dans une nation les hommes se communiquent beaucoup, il faut de certaines lois; il en faut d'autres chez un peuple où l'on ne se communique point.

CHAPITRE XI.

Des lois qui ont du rapport aux maladies du climat.

Hérodote (a) nous dit que les lois des Juifs sur la lèpre ont été tirées de la pratique des Egyptiens. En effet, les mêmes maladies demandaient les mêmes remèdes. Les lois furent inconnues aux Grecs et aux premiers Romains, aussi bien que le mal. Le climat de l'Egypte et de la Palestine les rendit nécessaires; et la facilité qu'a cette maladie à se rendre populaire nous doit bien faire sentir la sagesse et la prévoyance de ces lois.

Nous en avons nous-mêmes éprouvé les effets. Les croisades nous avaient apporté la lèpre; les réglemens sages que l'on fit l'empêchèrent de gagner la masse du peuple.

On voit, par la loi (b) des Lombards, que cette maladie était répandue en Italie avant les croisades, et mérita l'attention des législateurs. Ro

(a) Liv. II. (b) Liv. II, tit. I, § 3; et tit. XVIII, § 1.

tharis ordonna qu'un lépreux, chassé de sa maison et relégué dans un endroit particulier, ne pourrait disposer de ses biens, parce que, dès le moment qu'il avait été tiré de sa maison, il était censé mort. Pour empêcher toute communication avec les lépreux, on les rendait incapables des effets civils.

Je

pense que cette maladie fut apportée en Italie par les conquêtes des empereurs grecs, dans les armées desquels il pouvait y avoir des milices de la Palestine ou de l'Egypte. Quoi qu'il en soit, les progrès en furent arrêtés jusqu'au temps des croisades.

On dit que les soldats de Pompée, revenant de Syrie, rapportèrent une maladie à peu près pareille à la lèpre. Aucun réglement fait pour lors n'est venu jusqu'à nous : mais il y a apparence qu'il y en eut, puisque ce mal fut suspendu jusqu'au temps des Lombards.

Il y a deux siècles qu'une maladie inconnue à nos pères passa du nouveau monde dans celuici, et vint attaquer la nature humaine jusque dans la source de la vie et des plaisirs. On vit la plupart des plus grandes familles du midi de l'Europe périr par un mal qui devint trop commun pour être honteux, et ne fut plus que funeste. Ce fut la soif de l'or qui perpétua cette maladie; on alla sans cesse en Amérique ; et on en rapporta toujours de nouveaux levains.

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Des raisons pieuses voulurent demander qu'on laissât cette punition sur le crime: mais eette calamité était entrée dans le sein du mariage, et avait déjà corrompu l'enfance même.

Comme il est de la sagesse des législateurs de veiller à la santé des citoyens, il eût été sensé d'arrêter cette communication par des lois faites sur le plan des lois mosaïques.

La peste est un mal dont les ravages sont encore plus prompts et plus rapides. Son siège principal est en Egypte, d'où elle se répand partout l'univers. On a fait dans la plupart des états de l'Europe de très-bons réglemens peur l'empêcher d'y pénétrer, et on a imaginé de nos jours un moyen admirable de l'arrêter : on forme une ligne de troupes autour du pays infecté, qui empêche toute communication.

Les (a) Turcs, qui n'ont à cette égard aucune police, voient les chrétiens dans la même ville échapper au danger, et eux seuls périr : ils achètent les habits des pestiférés, s'en vêtent, et vont leur train. La doctrine d'un destin rigide qui règle tout fait du magistrat un spectateur tranquille : il pense que Dieu a déjà tout fait, et que lui n'a rien à faire.

(a) Ricaut, de l'Empire ottoman, page 284.

CHAPITRE XII.

Des lois contre ceux qui se tuent (a) eux-mêmes.

Nous ne voyons point dans les histoires que les Romains se fissent mourir sans sujet : mais les Anglais se tuent sans qn'on puisse imaginer aucune raison qui les y détermine; ils se tuent dans le sein même du bonheur. Cette action, chez les Romains, était l'effet de l'éducation; elle tenait à leurs manières de penser et à leurs coutumes. Chez les Anglais, elle est l'effet d'une maladie (b); elle tient à l'état physique de la machine, et est indépendante de toute autre cause.

Il y a apparence que c'est un défaut de filtration du suc nerveux; la machine, dont les forces motrices se touvent à tout moment sans action, est lasse d'elle-même ; l'âme ne sent point de douleur, mais une certaine difficulté de l'existence. La douleur est un mal local qui nous porte au désir de voir cesser cette douleur : le poids de la vie est un mal qui n'a point de lieu particulier, et qui nous porte au désir de voir finir cette vie.

(a) L'action de ceux qui se tuent eux-mêmes est contraire à la loi naturelle et à la religion révélée.

1

(b) Elle pourrait bien être compliquée avec le scorbut, qui, surtout dans quelques pays, rend un homme hizarre et insupportable à lui-même. Voyage de François Pyrard, partie II, chap. XXI.

Il est clair

que

les lois civiles de quelques pays ont eu des raisons pour flétrir l'homicide de soimême : mais en Angleterre on ne peut pas plus le punir qu'on ne punit les effets de la démence.

CHAPITRE XIII.

Effets qui résultent du climat d'Angleterre.

Dans une nation à qui une maladie du climat affecte tellement l'âme qu'elle pourrait porter le dégoût de toutes choses jusqu'à celui de la vie, on voit bien que le gouvernement qui conviendrait le mieux à des gens à qui tout serait insupportable serait celui où ils ne pourraient pas se prendre à un seul de ce qui causerait leurs chagrins; et où les lois gouvernant plutôt que les hommes, il faudrait, pour changer l'état, les renverser elles-mêmes.

Que si la même nation avait encore reçu du climat un certain caractère d'impatience qui ne lui permît pas de souffrir long-temps les mêmes choses, on voit bien que le gouvernement dont nous venons de parler serait encore le plus convenable.

Ce caractère d'impatience n'est pas grand par lui-même; mais il le peut devenir beaucoup quand il est joint avec le courage.

Il est différent de la légèreté, qui fait que l'on

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