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chauds, on aime l'amour pour lui-même ; la cause unique du bonheur, il est la vie.

il est

Dans les pays du midi, une machine délicate, faible, mais sensible, se livre à un amour qui, dans un sérail, naît et se calme sans cesse; ou bien à un amour qui, laissant les femmes dans une plus grande indépendance, est exposé à mille troubles. Dans les pays du nord, une machine saine et bien constituée, mais lourde, trouve ses plaisirs dans tout ce qui peut remettre les esprits en mouvement, la chasse, les voyages, la guerre, le vin. Vous trouverez dans les climats du nord des peuples qui ont peu de vices, assez de vertus, beaucoup de sincérité et de franchise. Approchez des pays du midi, vous croirez vous éloigner de la morale même ; des passions plus vives multiplieront les crimes; chacun cherchera à prendre sur les autres tous les avantages qui peuvent favoriser ces mêmes passions. Dans les pays tempérés, vous verrez des peuples inconstans dans leurs manières, dans leurs vices mêmes et dans leurs vertus; le climat n'y a pas une qualité assez déterminée pour les fixer eux-mêmes.

La chaleur du climat peut être si excessive que le corps y sera absolument sans force. Pour lors l'abattement passera à l'esprit même; aucune curiosité, ancune noble entreprise, aucun sentiment généreux; les inclinations y seront toutes passives; la paresse y fera le bonheur; la plupart

des châtimens y seront moins difficiles à soutenir que l'action de l'âme, et la servitude moins insupportable que la force d'esprit qui est nécessaire pour se conduire soi-même.

CHAPITRE III.

Contradiction dans les caractères de certains peuples du midi.

Les Indiens (a) sont naturellement sans courage; les enfans (b) mêmes des Européens nés aux Indes perdent celui de leur climat. Mais comment accorder cela avec leurs actions atroces, leurs coutumes, leurs pénitences barbares? Les hommes s'y soumettent à des maux incroyables; les femmes s'y brûlent elles-mêmes; voilà bien de la force pour tant de faiblesse.

La nature, qui a donné à ces peuples une faiblesse qui les rend timides, leur a donné aussi une imagination si vive que tout les frappe à l'excès. Cette même délicatesse d'organe qui leur fait craindre la mort sert aussi à leur faire redouter mille choses plus que la mort. C'est la même sensibilité qui leur fait fuir tous les périls et les leur fait tous braver.

(a) « Cent soldats d'Europe, dit Tavernier, n'auraient pas grande peine à battre mille soldats indiens. »

(b) Les Persans mêmes qui s'établissent aux Indes

prennent, à la troisième génération, la nonchalance et la lâcheté indienne. Voyez Bernier, sur le Mogol, tome I, page 282.

Comme une bonne éducation est plus nécessaire aux enfans qu'à ceux dont l'esprit est dans sa maturité, de même les peuples de ces climats ont plus besoin d'un législateur sage que les peuples du nôtre. Plus on est aisément et fortement frappé; plus il importe de l'être d'une manière convenable, de ne recevoir pas de préjugés, et d'être conduit par la raison.

Du temps des Romains, les peuples du nord de l'Europe vivaient sans arts, sans éducation, presque sans lois; et cependant par le seul bon sens attaché aux fibres grossières de ces climats, ils se maintinrent avec une sagesse admirable contre la puissance romaine jusqu'au moment où ils sortirent de leurs forêts pour la détruire.

CHAPITRE IV.

Cause de l'immutabilité de la religion, des mœurs, des manières, des lois, dans les pays d'Orient.

Si, avec cette faiblesse d'organes qui fait recevoir aux peuples d'Orient les impressions du monde les plus fortes, vous joignez une certaine paresse dans l'esprit, naturellement liée avec celle du corps, qui fasse que cet esprit ne soit capable d'aucune action, d'aucun effet, d'aucune contention, vous comprendrez que l'âme qui a une fois reçu des impressions ne peut plus en changer, C'est ce

qui fait

res,

que les lois, les mœurs (a), et les manièmême celles qui paraissent indifférentes, comme la façon de se vêtir, sont aujourd'hui en Orient comme elles étaient il y a mille ans.

CHAPITRE V.

Que les mauvais législateurs sont ceux qui ont favorisé les vices du climat, et les bons sont ceux qui s'y sont opposés.

Les Indiens croient que le repos et le néant sont le fondement de toutes choses et la fin où elles aboutissent. Ils regardent donc l'entière inaction comme l'état le plus parfait et l'objet de leurs désirs. Ils donnent au souverain Etre (b) le surnom d'immobile. Les Siamois croient que la félicité (c) suprême consiste à n'être point obligé d'animer une machine et de faire agir un corps. Dans ces pays, où la chaleur excessive énerve et accable, le repos est si délicieux et le mouvement si pénible, que ce système de métaphysique paraît naturel; et Foé (d), législateur des Indes},

, que

(a) On voit par un fragment de Nicolas de Damas, recueilli par Constantin Porphyrogénète, la coutume était ancienne en Orient d'envoyer étrangler un gouverneur qui déplaisait : elle était du temps des Mèdes.

(b) Panamanak. Voyez Kircher.

(c) La Loubère, Relation de Siam, page 446.

(d) Foé veut réduire le cœur au pur vuide. « Nous avons des yeux et des oreilles; mais la perfection est de ne voir ni entendre une bouche, des mains, etc., la perfection est que ces membres soient dans l'inaction. » Ceci est tiré du dialogue d'un philosophe chinois, rapporté par le P. du Halde, tome III.

a suivi ce qu'il sentait, lorsqu'il a mis les hommes dans un état extrêmement passif : mais sa doctrine, née de la paresse du climat, la favorisant à son tour, a causé mille maux.

Les législateurs de la Chine furent plus sensés, lorsque, considérant les hommes, non pas dans l'état paisible où ils seront quelque jour, mais dans l'action propre à leur faire remplir les devoirs de la vie, ils firent leur religion, leur philosophie et leurs lois, toutes pratiques. Plus les causes physiques portent les hommes au repos, plus les causes morales les en doivent éloigner.

CHAPITRE VI.

De la culture des terres dans les climats chauds.

La culture des terres est le plus grand travail des hommes. Plus le climat les porte à fuir ce travail, plus la religion et les lois doivent y exciter. Ainsi les lois des Indes, qui donnent les terres aux princes, et ôtent aux particuliers l'esprit de propriété, augmentent les mauvais effets du climat, c'est-à-dire la paresse naturelle.

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