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aux gens

de sa courmais

qu'il leur distribue

des terres, et par conséquent qu'on y lève peu de tributs. Que si le prince donne de l'argent, le tribut le plus naturel qu'il puisse lever est un tribut tête. Ce tribut ne peut par être que très-modique; car, comme on n'y peut pas faire diverses classes considérables à cause des abus qui en résulteraient, vu l'injustice et la violence du gouvernement, il faut nécessairement se régler sur le taux de ce que peuvent payer les plus misérables.

Le tribut naturel au gouvernement modéré est l'impôt sur les marchandises. Cet impôt étant réellement payé par l'acheteur, quoique le marchand l'avance, est un prêt que le marchand a déjà fait à l'acheteur; ainsi il faut regarder le négociant et comme le débiteur général de l'état, et comme le créancier de tous les particuliers. Il avance à l'état le droit que l'acheteur lui paiera quelque jour; et il a payé pour l'acheteur le droit qu'il a payé pour la marchandise. On sent donc que plus le gouvernement est modéré, que plus l'esprit de liberté règne, que plus les fortunes ont de sûreté, plus il est facile au marchand d'avancer à l'état et de prêter au particulier des droits considérables. En Angleterre, un marchand prête réellement à l'état cinquante ou soixante livres sterlings à chaque tonneau de vin qu'il reçoit. Quel est le marchand qui oserait faire une chose de cette espèce dans un pays gouverné comme la

Turquie ? et quand il l'oserait faire, comment le pourrait-il avec une fortune suspecte, incertaine, ruinée ?

CHAPITRE XV.

Abus de la liberté.

Ces grands avantages de la liberté ont fait que l'on a abusé de la liberté même. Parce que le gouvernement modéré a produit d'admirables effets, on a quitté cette modération : parce qu'on a tiré de grands tributs, on en a voulu tirer d'excessifs; et, méconnaissant la main de la liberté qui faisait ce présent, on s'est adressé à la servitude qui refuse tout.

La liberté a produit l'excès des tributs : mais l'effet de ces tributs excessifs est de produire à leur tour la servitude; et l'effet de la servitude de produire la diminution des tributs.

Les monarques de l'Asie ne font guère d'édits que pour exempter chaque année de tributs quelque province de leur empire (a) : les manifestations de leur volonté sont des bienfaits. Mais, en Europe, les édits des princes affligent même avant qu'on les ait vus, parce qu'ils y parlent toujours de leurs besoins, et jamais des nôtres.

D'une impardonnable nonchalance, que les (a) C'est l'usage des empereurs de la Chine.

ministres de ces pays-là tiennent du gouvernement et souvent du climat, les peuples tirent cet avantage, qu'ils ne sont point sans cesse accablés par de nouvelles demandes. Les dépenses n'y augmentent point, parce qu'on n'y fait point de projet nouveau ; et si par hasard on y en fait, ce sont des projets dont on voit la fin, et non des projets commencés. Ceux qui gouvernent l'état ne le tourmentent pas, parce qu'ils ne se tourmentent pas sans cesse eux-mêmes. Mais pour nous il est impossible que nous ayons jamais de règle dans nos finances, parce que nous savons toujours que nous ferons quelque chose, et jamais ce que nous ferons.

On n'appelle plus parmi nous un grand ministre celui qui est le sage dispensateur des revenus publics, mais celui qui est homme d'industrie et qui trouve ce qu'on appelle des expédiens.

CHAPITRE XVI.

Des conquêtes des mahométans.

Ce furent ces tributs (a) excessifs qui donnèrent lieu à cette étrange facilité que trouvèrent les mahométans dans leurs conquêtes. Les peuples, au

(a) Voyez dans l'histoire la grandeur, la bizarrerie, et même la folie de ces tributs. Anastase en imagina un pour respirer l'air : UT QUISQUE PRO HAUSTU AÊRIS PÉNDERET.

lieu de cette suite continuelle de vexations que l'avarice subtile des empereurs avait imaginée, se virent soumis à un tribut simple, payé aisément, reçu de même; plus heureux d'obéir à une nation barbare qu'à un gouvernement corrompu dans lequel ils souffraient tous les inconvéniens d'une liberté qu'ils n'avaient plus, avec toutes les horreurs d'une servitude présente.

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CHAPITRE XVII.

De l'augmentation des troupes.

Une maladie nouvelle s'est répandue en Europe; elle a saisi nos princes, et leur fait entretenir un nombre désordonné de troupes. Elle a ses redoublemens, et elle devient nécessairement contagieuse; car sitôt qu'un état augmente ce qu'il appelle ses troupes, les autres soudain augmentent les leurs; de façon qu'on ne gagne rien par-là que la ruine commune. Chaque monarque tient sur pied toutes les armées qu'il pourrait avoir si ses peuples étaient en danger d'être exterminés; et on nomme paix cet état (a) d'efforts de tous contre tous. Aussi l'Europe est-elle si ruinée, que les particuliers qui seraient dans la si

(a) Il est vrai que c'est cet état d'effort qui maintient principalement l'équilibre, parce qu'il éreinte les grandes puis

sances,

tuation où sont les trois puissances de cette partie du monde les plus opulentes n'auraient pas de quoi vivre. Nous sommes pauvres avec les richesses et le commerce de tout l'univers ; et bientôt, à force d'avoir des soldats, nous n'aurons plus que des soldats, et nous serons comme des Tartares (a).

Les grands princes, non contens d'acheter les troupes des plus petits, cherchent de tous côtés à payer des alliances, c'est-à-dire presque toujours à perdre leur argent.

La suite d'une telle situation est l'augmentation perpétuelle des tributs; et, ce qui prévient tous les remèdes à venir, on ne compte plus sur les revenus, mais on fait la guerre avec son capital. Il n'est pas inoui de voir des états hypothéquer leurs fonds pendant la paix même, et employer pour se ruiner des moyens qu'ils appellent extraordinaires, et qui le sont si fort, que le fils de famille le plus dérangé les imagine à peine.

CHAPITRE XVIII.

De la remise des tributs.

La maxime des grands empires d'Orient, de remettre les tributs aux provinces qui ont souffert,

(a) Il ne faut pour cela que faire valoir la nouvelle invention des milices établie dans presque toute l'Europe, et les porter au même excès que l'on a fait les troupes réglées.

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