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LIVRE TREIZIÈME.

DES RAPPORTS Que la levée des tributs et LA GRANDEUR DES REVenus publics ONT AVEC LA LIBERTÉ.

CHAPITRE PREMIER.

Des revenus de l'état.

Les revenus de l'état sont une portion que char que citoyen donne de son bien pour avoir la sûreté de l'autre, ou pour en jouir agréablement.

Pour bien fixer ces revenus, il faut avoir égard et aux nécessités de l'état et aux nécessités des citoyens. Il ne faut point prendre au peuple sur ses besoins réels pour des besoins de l'état imaginaires.

Les besoins imaginaires sont ce que demandent les passions et les faiblesses de ceux qui gouvernent, le charme d'un projet extraordinaire, l'envie malade d'une vaine gloire, et une certaine impuissance d'esprit contre les fantaisies. Souvent ceux qui, avec un esprit inquiet, étaient sous le prince à la tête des affaires, ont pensé que les besoins de l'état étaient les besoins de leurs petites âmes.

Il n'y a rien que la sagesse et la prudence doivent plus régler, que cette portion qu'on ôte et cette portion qu'on laisse aux sujets.

Ce n'est point à ce que le peuple peut donner qu'il faut mesurer les revenus publics, mais à ce qu'il doit donner; et si on les mesure à ce qu'il peut donner, il faut que ce soit du moins à ce qu'il peut toujours donner.

CHAPITRE II.

Que c'est mal raisonner de dire que la grandeur des tributs soit bonne par elle-même.

On a vu, dans de certaines monarchies, que de petits pays exempts de tributs étaient aussi misérables que les lieux qui tout autour en étaient accablés. La principale raison en est que le petit état entouré ne peut avoir d'industrie, d'arts, ni de manufactures, parce qu'à cet égard il est gêné de mille manières par le grand état dans lequel il est enclavé. Le grand état qui l'entoure a l'in-.dustrie, les manufactures et les arts; et il fait des réglemens qui lui en procurent tous les avantages. Le petit état devient donc nécessairement pauvre, quelque peu d'impôts qu'on y lève.

On a pourtant conclu de la pauvreté de ces petits pays, que pour que le peuple fût industrieux, il fallait des charges pesantes. On aurait mieux fait d'en conclure qu'il n'en faut pas. Ce sont tous les misérables des environs qui se retirent dans ces lieux-là pour ne rien faire déjà .

découragés par l'accablement du travail, ils font consister toute leur félicité dans leur paresse.

L'effet des richesses d'un pays, c'est de mettre de l'ambition dans tous les coeurs. L'effet de la pauvreté est d'y faire naître le désespoir. La première s'irrite par le travail; l'autre se console par la paresse.

La nature est juste envers les hommes; elle les récompense de leurs peines; elle les rend laborieux, , parce qu'à de plus grands travaux elle attache de plus grandes récompenses. Mais, si un pouvoir arbitraire ôte les récompenses de la nature, on reprend le dégoût pour le travail, et l'inaction paraît être le seul bien.

CHAPITRE III.

Des tributs dans les pays où une partie du peuple est esclave de la glèbe.

L'esclavage de la glèbe s'établit quelquefois après une conquête. Dans ce cas, l'esclave qui cultive doit être le colon partiaire du maître. Il n'y a qu'une société de perte et de gain qui puisse réconcilier ceux qui sont destinés à travailler avec ceux qui sont destinés à jouir.

CHAPITRE IV.

D'une république en cas pareil.

Lorsqu'une république a réduit une nation à cultiver les terres pour elle, on n'y doit point souffrir que le citoyen puisse augmenter le tribut de l'esclave. On ne le permettait point à Lacédémone : on pensait que les Elotes (a) cultiveraient mieux les terres, lorsqu'ils sauraient que leur servitude n'augmenterait pas on croyait les maîtres seraient meilleurs citoyens, lorsque qu'ils ne désireraient que ce qu'ils avaient coutume d'avoir.

CHAPITRE V.

D'une monarchie en cas pareil.

Lorsque, dans une monarchie, la noblesse fait cultiver les terres à son profit par le peuple conquis, il faut encore que la redevance ne puisse augmenter (b). De plus, il est bon que le prince se contente de son domaine et du service militaire. Mais s'il veut lever des tributs en argent

(a) Plutarque.

(b) C'est ce qui fit faire à Charlemagne ses belles institutions là-dessus. Voyez le livre V des Capitulaires, art. 303.

sur les esclaves de sa noblesse, il faut que le seigneur soit garant (a) du tribut, qu'il le paie pour les esclaves et le reprenne sur eux; et, si l'on ne suit pas cette règle, le seigneur et ceux qui lèvent les revenus du prince vexeront l'esclave tour à tour, et le reprendront l'un après l'autre, jusqu'à ce qu'il périsse de misère ou fuie dans les bois.

CHAPITRE VI.

D'un état despotique en cas pareil.

Ce que je viens de dire est encore plus indispensable dans l'état despotique. Le seigneur, qui peut à tous les instans être dépouillé de ses terres et de ses esclaves, n'est pas si porté à les

conserver.

Pierre I, voulant prendre la pratique d'Allemagne et lever ses tributs en argent, fit un réglement très-sage que l'on suit encore en Russie. Le gentilhomme lève la taxe sur les paysans, et la paie au czar. Si le nombre des paysans diminue, il paie tout de même; si le nombre augmente, il ne paie pas davantage : il est donc intéressé à ne point vexer ses paysans.

(a) Cela se pratique ainsi en Allemagne,

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