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veut apaiser les soldats, tant enfin on sera heureux (a).

Rome était inondée de sang quand Lépidus triompha de l'Espagne; et, par une absurdité sans exemple, sous peine d'être proscrit (b), il ordonna de se réjouir.

CHAPITRE XIX.

Comment on suspend l'usage de la liberté dans la république.

Il y a, dans les états où l'on fait le plus de cas de la liberté, des lois qui la violent contre un seul pour la garder à tous. Tels sont en Angleterre les bill appelés d'attainder (c). Ils se rap(a) « Quod felix faustumque sit. >>

(b) « Sacris et epulis dent hunc diem : qui secus faxit, proscriptos esto.

inter

(c) Il ne suffit pas, dans les tribunaux du royaume, qu'il y ait une preuve telle que les juges soient convaincus; il fant encore que cette preuve soit formelle, c'est-à-dire légale et la loi demande qu'il y ait deux témoins contre l'accusé; une autre preuve ne suffirait pas. Or, si un homme présumé coupable de ce qu'on appelle haut crime avait trouvé le moyen d'écarter les témoins, de sorte qu'il fût impossible de le faire condamner par la loi, on pourrait porter contre lui un BILL particulier D'ATTAINDER, c'est-à-dire, faire une loi singulière sur sa personne. On y procède comme pour tous les autres BILLS: il faut qu'il passe dans deux chambres, et que le roi y donne son consentement, sans quoi il n'y a point de BILL, c'est-à-dire de jugement. L'accusé peut faire parler ses avocats contre le BILL, et on peut parler dans la chambre pour le BILL.

portent à ces lois d'Athènes qui statuaient contre un particulier (a), pourvu qu'elles fussent faites par le suffrage de six mille citoyens : ils se rapportent à ces lois qu'on faisait à Rome contre des citoyens particuliers, et qu'on appelait priviléges (b); elles ne se faisaient que dans les grands états du peuple. Mais de quelque manière que le peuple les donne, Cicéron veut qu'on les abolisse, parce que la force de la loi ne consiste qu'en ce qu'elle statue sur tout le monde (c). J'avoue pourtant que l'usage des peuples les plus libres qui aient jamais été sur la terre me fait croire qu'il y a des cas où il faut mettre pour un moment un voile sur la liberté, comme l'on cache les statues des dieux.

CHAPITRE XX.

Des lois favorables à la liberté du citoyen dans la république.

Il arrive souvent dans les états populaires que les accusations sont publiques, et qu'il est permis a tout homme d'accuser qui il veut. Cela a fait établir des lois propres à défendre l'innocence des citoyens. A Athènes, l'accusateur qui

(a) « Legem de singulari aliquo ne rogato, nisi sex millibus ita visum. Ex Andocide de mysteriis » : C'EST L'OSTRACISME. (b) De privatis hominibus latæ. Cicéron, de leg. liv. IIĮ. (c) Scitum est jussum in omnes. Cicéron, ibid.

n'avait point pour lui la cinquième partie des suffrages payait une amende de mille dragmes. Eschines, qui avait accusé Stésiphon, y fut condamné (a). A Rome, l'injuste accusateur était noté d'infamie (b); on lui imprimait la lettre K sur le front. On donnait des gardes à l'accusateur pour qu'il fût hors d'état de corrompre les juges ou les témoins (c).

J'ai déjà parlé de cette loi athénienne et romaine qui permettait à l'accusé de se retirer avant le jugement.

CHAPITRE XXI.

De la cruauté des lois envers les débiteurs dans la république

Un citoyen s'est déjà donné une assez grande supériorité sur un citoyen, en lui prêtant un argent que celui-ci n'a emprunté que pour s'en défaire, et que par conséquent il n'a plus. Que sera-ce dans une république, si les lois augmentent cette servitude encore davantage?

A Athènes et à Rome (d), il fut d'abord per

(a) Voyez Philostrate, liv. I, Vie des sophistes, Vie d'Eschines. Voyez aussi Plutarque et Photius.

(b) Par la loi Remnià.

(c) Plutarque, au traité, «< comment on pourrait recevoir de l'utilité de ses ennemis. »

(d) Plusieurs vendaient leurs enfans pour payer leurs dettes. Plutarque, Vie de Solon.

mis de vendre les débiteurs qui n'étaient pas en état de payer. Solon corrigea cet usage à Athènes (a): il ordonna que personne ne serait obligé par corps pour dettes civiles. Mais les décemvirs (b) ne réformèrent pas même l'usage de Rome; et quoiqu'ils eussent devant les yeux le réglement de Solon, ils ne voulurent pas le suivre. Ce n'est pas le seul endroit de la loi des douze tables où l'on voit le dessein des décemvirs de choquer l'esprit de la démocratie.

Ces lois cruelles contre les débiteurs mirent bien des fois en danger la république romaine. Un homme couvert de plaies s'échappa de la maison de son créancier, et parut dans la place (c). Le peuple s'émut à ce spectacle. D'autres citoyens, que leurs créanciers n'osaient plus retenir, sortirent de leurs cachots. On leur fit des promesses; on y manqua : le peuple se retira sur le Mont-Sacré. Il n'obtint pas l'abrogation de ces lois, mais un magistrat pour le défendre. On sortait de l'anarchie, on pensa tomber dans la tyrannie. Manlius, pour se rendre populaire, allait retirer des mains des créanciers les citoyens qu'ils avaient réduits en esclavage (d). On pré

(a) Plusieurs vendaient leurs enfans pour payer leurs dettes. Plutarque, Vie de Solon.

(b) Il paraît par l'histoire que cet usage était établi chez les Romains avant la loi des douze tables. Tite - Live, décade I, liv. II.

(c) Denys d'Halicarnasse, Antiquités rom. liv. VI. (d) Plutarque, Vie de Furius Camillus,

vint les desseins de Manlius; mais le mal restait toujours. Des lois particulières donnèrent aux débiteurs des facilités de payer (a); et, l'an de Rome 428, les consuls portèrent une loi (b) qui ôta aux créanciers le droit de tenir les débiteurs en servitude dans leurs maisons (c). Un usurier nommé Papirius avait voulu corrompre la pudicité d'un jeune homme nommé Publius, qu'il tenait dans les fers. Le crime de Sextus donna à Rome la liberté politique; celui de Papirius y donna la liberté civile.

Ce fut le destin de cette ville, que des crimes nouveaux y confirmèrent la liberté que des crimes anciens lui avaient procurée. L'attentat d'Appius sur Virginie remit le peuple dans cette horreur contre les tyrans que lui avait donnée le malheur de Lucrèce. Trente-sept ans (d) après le crime de l'infâme Papirius, un crime pareil (e) fit que le peuple se retira sur le Janicule (f), et

(a) Voyez ci-après le chap. xxiv du liv. XXII.

(b) Cent vingt ans près la loi des douze tables. EO ANNO

PLEBI ROMANÆ VELUT ALIUD INITIUM LIBERTATIS FACTUM

EST, QUOD NECTI DESIERUNT. Tite-Live, liv. VIII.

(c) Bona debitoris, non corpus obnoxium esset. Ibid.

(d) L'an de Rome 465.

(e) Celui de Plautius, qui attenta contre la pudicité de Veturius. Valère Maxime, liv. VI, art. ix. On ne doit point confondre ces deux événemens ; ce ne sont ni les mêmes personnes ni les mêmes temps.

(f) Voyez un fragment de Denys d'Halicarnasse dans l'extrait des Vertus et des Vices; l'épitome de Tite-Live, liv. XII; et Freinshemius, liv. XI.

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