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c'est

Il y avait encore une chose admirable, que la division de Servius Tullius par classes étant pour ainsi dire le principe fondamental de la constitution, il arrivait que l'équité, dans la levée des tributs, tenait au principe fondamental du gouvernement, et ne pouvait être ôtée qu'avec

lui.

Mais pendant que la ville payait les tributs sans peine, ou n'en payait point du tout (a), les provinces étaient désolées par les chevaliers, qui étaient les traitans de la république. Nous avons parlé de leurs vexations, et toute l'histoire en est pleine.

«Toute l'Asie m'attend comme son libérateur, disait Mithridate (b), tant ont exité de haine contre les Romains les rapines des proconsuls (c), les exactions des gens d'affaires, et les calomnies des jugemens (d).

Voilà ce qui fit que la force des provinces n'ajouta rien à la force de la république, et ne fit au contraire que l'affaiblir. Voilà ce qui fit que les provinces regardèrent la perte de la liberté de Rome comme l'époque de l'établissement de la

leur.

(a) Après la conquête de la Macédoine, les tributs cessèrent

à Rome.

(b) Harangue tirée de Trogue Pompée, rapportée par Justin, liv. XXXVIII.

(c) Voyez les oraisons contre Verrès.

(d) On sait que ce fut le tribunal de Varus qui fit révolter les Germains.

CHAPITRE XX.

Fin de ce livre.

Je voudrais chercher, dans tous les gouvernemens modérés que nous connaissons, quelle est la distribution des trois pouvoirs, et calculer parlà les degrés de liberté dont chacun d'eux peut jouir. Mais il ne faut pas toujours tellement épuiser un sujet, qu'on ne laisse rien à faire au lecteur. Il ne s'agit pas de faire lire, mais de faire

penser.

LIVRE DOUZIÈME.

DES LOIS QUI Forment la liberté politique danNS SON

RAPPORT AVEC LE CITOYEN.

CHAPITRE PREMIER.

Idée de ce livre.

Ce n'est pas assez d'avoir traité de la liberté politique dans son rapport avec la constitution, il faut la voir dans le rapport qu'elle a avec le citoyen.

J'ai dit que, dans le premier cas, elle est formée pas une certaine distribution des trois pouvoirs; mais, dans le second, il faut la considérer sous une autre idée. Elle consiste dans la sûreté, ou dans l'opinion que l'on a de sa sûreté.

Il pourra arriver que la constitution sera libre, et que le citoyen ne le sera point. Le citoyen pourra être libre, et la constitution ne l'être pas. Dans ces cas, la constitntion sera libre de droit, et non de fait; le citoyen sera libre de fait, et non pas de droit.

Il n'y a que la disposition des lois, et même des lois fondamentales, qui forme la liberté dans son rapport avec la constitution. Mais, dans le

ESPRIT DES LOIS. T. II.

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rapport avec le citoyen, des mœurs, des maniè res, des exemples reçus, peuvent la faire naître, et de certaines lois civiles la favoriser, comme nous allons voir dans ce livre-ci.

De plus, dans la plupart des états, la liberté étant plus gênée, choquée ou abattue, que leur constitution ne le demande, il est bon de parler des lois particulières qui, dans chaque constitution peuvent aider ou choquer le principe de la liberté dont chacun d'eux peut être susceptible.

CHAPITRE II.

De la liberté du citoyen.

La liberté philosophique consiste dans l'exercice de sa volonté, ou du moins (s'il faut parler dans tous les systèmes) dans l'opinion où l'on est que l'on exerce sa volonté. La liberté politique consiste dans la sûreté, ou du moins dans l'opinion l'on a de sa sûreté.

que

Cette sûreté n'est jamais plus attaquée que dans les accusations publiques ou privées. C'est donc de la bonté des lois criminelles que dépend principalement la liberté du citoyen.

Les lois criminelles n'ont pas été perfectionnées tout d'un coup. Dans les lieux mêmes où l'on a le plus cherché la liberté, on ne l'a pas toujours trouvée. Aristote (a) nous dit qu'à Cumes les pa(a) Polit., liv. II. .

rens de l'accusateur pouvaient être témoins. Sous les rois de Rome, la loi était si imparfaite, que Servius Tullius prononça la sentence contre les enfans d'Ancus Martius, accusé d'avoir assassiné le roi son beau-père (a). Sous les premiers rois des Francs, Clotaire fit une loi (b) pour qu'un accusé ne pût être condamné sans être ouï; ce qui prouve une pratique contraire dans quelque cas particulier ou chez quelque peuple barbare. Ce fut Charondas qui introduisit les jugemens contre les faux témoignages (c). Quand l'innocence des citoyens n'est pas assurée, la liberté ne l'est pas non plus.

Les connaissances que l'on a acquises dans quelque pays, et que l'on acquerra dans d'autres, sur les règles les plus sûres que l'on puisse tenir dans les jugemens criminels, intéressent le humain plus qu'aucune chose qu'il y ait au monde.

Ce n'est que sur la pratique de ces connaissances que la liberté peut être fondée dans un état qui aurait là-dessus les meilleures lois possibles, un homme à qui on ferait son procès, et qui devrait être pendu le lendemain, serait plus libre qu'un bacha ne l'est en Turquie.

(a) Tarquinius Priscus. Voyez Denys d'Halicarnasse, liv. IV. (b) De l'an 560.

(c) Aristote, Polit., liv. II, ch. xi. Il donna ses lois à Thurium, dans la quatre-vingt-quatrième olympiade.

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